Écho de presse

Être enterré vivant : la hantise du XIXe siècle

le 01/01/2021 par Pierre Ancery
le 24/08/2020 par Pierre Ancery - modifié le 01/01/2021
La taphophobie, ou peur d'être enterré vif, traverse tout le XIXe siècle. Elle est entretenue par la littérature d'épouvante et amplifiée par les nombreux récits de cas « réels » cités par les journaux.  
Imaginez : vous vous réveillez allongé dans un lieu étroit, sans lumière, presque dépourvu d'oxygène... Vous tentez de vous relever, mais votre tête heurte une surface rigide. Horreur : vous avez été enterré vivant ! Une situation digne d'un conte d'Edgar Allan Poe (qui en fit le sujet de L'Inhumation prématurée, nouvelle parue en 1844), et qui fut l'une des hantises les plus persistantes du XIXe siècle.

La taphophobie, ou peur d'être enterré vivant, se développe d'abord au siècle précédent. La médecine était alors peu fiable et il arrivait qu'on ne diagnostique pas avec certitude un décès, notamment dans le cas des morts apparentes (coma, catalepsie, léthargie). Les conséquences pouvaient alors être dramatiques...

La crainte d'être enterré trop tôt se répand si bien que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, certains législateurs interviennent. La Gazette rapporte ainsi en 1777 la décision du grand-duc de Toscane d'imposer un délai minimum de 24 heures avant l'inhumation :

« Nous établissons, pour règle générale, que désormais on ne pourra plus donner la sépulture aux corps que vingt-quatre heures après la mort ; dans le cas de morts promptes ou subites, telles que celles qui sont la suite des attaques d'apoplexie, de paralysie, d'épilepsie, catalepsie, syncopes, convulsions, exhalaisons de vapeurs venimeuses, suffocations, hémorragies, ou de toute autre cause capable de produire l'apparence de la mort, il sera nécessaire de donner un plus long terme à la sépulture [...]. »

En France, l'article 77 du Code Napoléon prévoit en 1804 le même délai obligatoire de 24 heures avant l'enterrement. Mais rien n'y fait : la hantise de « l'inhumation précipitée » traverse tout le XIXe siècle, sous forme de récits d'épouvante, de légendes urbaines et d'anecdotes complaisamment relayées par la presse.

En 1836, La Gazette du Languedoc relate par exemple une histoire horrible survenue en Transylvanie (région qui deviendra plus tard célèbre pour ses macchabées quelque peu récalcitrants) :

« Un triste événement qui vient de se passer à Hermannstadt en Transylvanie prouve de nouveau combien il est nécessaire de recommander l’examen attentif de l’état du cadavre avant son inhumation.

Le lieutenant-colonel Elsasser, lieutenant-auditeur général de cette ville, référendaire judiciaire du commandement militaire général de la Transylvanie, a été cru mort du choléra et enterré sans autre investigation. Ses héritiers, remarquant qu’il manquait dans sa succession une bague que l'on considérait sans doute comme un souvenir précieux, jetèrent leurs soupçons sur le domestique particulier du lieutenant-colonel, mais le domestique prétendit que son maître avait toujours porté cette bague à son doigt et qu’il devait l’avoir emportée dans la tombe.

Cette assertion donna lieu à l’ouverture du tombeau, mais quel ne fut pas l’étonnement et la consternation des assistants en remarquant que cet officier avait été enterré vivant, qu'il s'était retourné dans son cercueil, et avait dévoré ses deux avant-bras avant de rendre la vie ! »

La médecine européenne prend la question très au sérieux. Bientôt, des statistiques apparaissent.

En 1846, Le Journal des villes et des campagnes, citant un mémoire présenté à l'Académie des sciences, rapporte que « depuis 1833, le chiffre des enterrements prématurés […] s'élève à 94 ».

« Sur ce nombre, 35 se sont réveillés d’eux-mêmes, au moment où on se disposait à les porter en terre ; 13 ont été tirés de leur léthargie par les soins qui leur ont été prodigués ; 7 par suite de la chute du cercueil ; 9 par suite d'incisions ou de piqûres faites en épinglant le linceul ; 5 par suite de suffocation dans le cercueil ; 19 par suite de retards non calculés dans la cérémonie des funérailles ; 6 par suite de retards calculés. »

Le même article explique qu'en Allemagne, à titre préventif, on attache aux doigts des individus déposés en salle mortuaire un « cordon de sonnette ». Le journaliste invite la France à s'inspirer de son voisin d'outre-Rhin, le délai de 24 heures s'avérant dans bien des cas insuffisants.

Comment diagnostiquer la mort à coup sûr ? En 1853, Le Siècle suggère d'utiliser le « galvanisme », c'est-à-dire la stimulation électrique du corps :

« Les hommes les plus éminents, les docteurs Marc, Nysten, Orfila, etc., s'accordent à affirmer que l'absence de contraction des muscles sous l'influence du galvanisme permet de croire que la vie est complètement éteinte.

Leur opinion, corroborée par les expériences intéressantes de M. le docteur Crimotel du Tilloy, est que l'épreuve par le galvanisme est la plus sûre de toutes, et que les corps devraient être portés en terre, alors seulement que la pile de Volta n'aurait plus produit d'effet sur eux. »

Les autorités françaises ne restent pas sourdes à ces doléances. Suite à une pétition, la question des enterrements vivants est examinée lors de la séance du 27 février 1866. Un sénateur rappelle que tous les citoyens ne sont pas égaux face au problème, et que si l'article 77 du Code Napoléon est appliqué dans les classes supérieures, ce n'est pas toujours le cas dans les autres couches de la société.

Le Temps retranscrit son intervention :

« M. TOURANGIN […]. Dans les masses, dans les campagnes notamment, qui forment la majorité de la population, est-il vrai qu’on se conforme à la loi ? À la campagne, toute une famille n’habite souvent qu’une seule chambre. Les vivants sont obligés de manger, de coucher à côté du mort, et il arrive fréquemment qu’on déclare le décès comme arrivé cinq ou six heures avant le moment ou réellement il a eu lieu [...].

On dit que l’intervention des hommes de l'art est une garantie contre les inhumations précipitées, mais à la campagne beaucoup de malades meurent sans secours du médecin [...] et bien souvent quand un médecin apprend en route que la malade auprès duquel il se rend vient de mourir, il tourne bride. Il faut donc reconnaître que, pour la majorité de la population, les garanties n’existent pas. »

La préoccupation perdurera encore longtemps. En témoigne cette proposition radicale d'un Américain, relayée (non sans humour) en 1891 par La Médecine nouvelle :

« Un intelligent humanitaire de Boston vient d'inventer un nouveau genre de cercueil à l'usage des personnes qui redoutent d'être enterrées vivantes. Voici quelques renseignements sur ce système.

Le cercueil est divisé en deux compartiments.

Dans l'un on place la tête de la personne inhumée, après l'avoir préalablement détachée du corps.

Dans l'autre on place le tronc.

Plus de danger d'être enterré vivant. »

Aujourd'hui, heureusement, le risque est nul de finir enterré vif. Avec la médicalisation croissante de la mort, vous avez 70% de chances de mourir à l'hôpital, où des médecins diplômés seront là pour certifier votre décès. En outre, aux pompes funèbres, les corps sont généralement congelés par -78° en vue de la conservation – à moins que l'on ne préfère remplacer le sang du mort par du sérum formolé.