Écho de presse

Histoire d’un mythe pseudoscientifique : le continent englouti de Mu

le 13/09/2023 par Pierre Ancery
le 21/08/2023 par Pierre Ancery - modifié le 13/09/2023

A la fin du XIXe et au début du XXe siècles, l’archéologue Augustus Le Plongeon et l’écrivain James Churchward popularisèrent l’idée farfelue de l’existence d’un continent englouti dans l'océan, jadis l’habitat d’une « civilisation avancée ».

Terre mythique censée avoir été engloutie il y a des milliers d’années, le continent de Mu est jailli de l’imagination fantaisiste de plusieurs personnages qui lui assurèrent une certaine popularité entre le XIXe et le XXe siècle.

Le premier à l’évoquer est le missionnaire Charles Étienne Brasseur de Bourbourg (1814-1874). Ayant traduit le codex maya Tro-Cortesianus, ce pionnier des études précolombiennes prétend en 1867 y avoir déchiffré l’histoire d’un continent englouti dans l’océan Pacifique.

Une reconstitution issue d’une lecture erronée du texte, mais que va reprendre à son compte l’antiquaire et archéologue américain Augustus Le Plongeon (1825-1908). Mayaniste passionné ayant passé plusieurs années à fouiller les sites de la péninsule du Yucatan au Mexique, Augustus Le Plongeon avait une obsession : prouver que la civilisation de l’Égypte antique était issue de la civilisation maya.

Le Plongeon alla jusqu’à prétendre que les Mayas étaient eux-mêmes issus d’une civilisation plus ancienne, disparue sous les flots 11 500 ans auparavant, lors d’un cataclysme qui détruisit le continent de Mu, situé cette fois dans l’océan Atlantique.

La théorie excentrique de Le Plongeon eut quelque écho en France, en particulier dans les cercles ésotéristes. La Revue spirite, fondée par le père du spiritisme Allan Kardec, consacra en octobre 1895 un long article à cette « découverte d’un explorateur dans le Yucatan » :

« Ci-dessous, nous donnons une traduction par M. Le Plongeon, de la narration contenue dans le manuscrit Troano, du plus terrible cataclysme que l’histoire ait enregistré.

"En l’an 6 kan, le 11 Muluc, dans le mois Zac, il y eut de terribles tremblements de terre ; ils se continuèrent, sans interruption, jusqu’au 13 Chuen. Le pays de moûts de boue, la terre de Mu, fut sacrifiée ; elle fut trois fois bouleversée et disparut subitement pendant la nuit [...]. A la fin, la surface s’effondra et dix pays furent violemment séparés et dispersés ; incapables de résister à la force des convulsions, ils s’engloutirent avec leurs 64.000.000 d’habitants avant l’achèvement de cet écrit."

Les faits semblent ainsi établir qu’il existait jadis une île-continent, au milieu de l’Océan Atlantique, qui fut submergée il y a quelques 11,500 ans ; la relation de Platon, sur la destruction d’Atlantide, est en grande partie correcte. La destruction de la terre de Mu, fut un événement si affreux, et si terrible, que les Mayas changèrent leur supputation du temps en commémoration de cette destruction. »

La thèse de Le Plongeon sera largement battue en brèche par les scientifiques de l’époque et le mayaniste se retrouvera peu à peu marginalisé par ses pairs. Elle va pourtant resurgir après la Première Guerre mondiale, à la faveur d’un livre à sensation publié en 1926 par le troisième « promoteur » de Mu, le Britannique James Churchward (1852-1936).

Ingénieur de formation, Churchward, qui a rencontré Le Plongeon en 1890, reprend son idée d’un continent originaire, berceau de toutes les grandes civilisations, qui aurait été victime d’un gigantesque cataclysme des millénaires auparavant. A la différence de Le Plongeon, il le situe dans l’océan Pacifique.

Dès 1924, de nombreux titres de la presse françaises font écho aux « découvertes » en Inde de Churchward, qui lui auraient permis d’échafauder sa théorie, en reprenant la même dépêche issue de la presse américaine. Ainsi Le Rappel écrit-il le 30 novembre 1924  :

« Les amateurs de préhistoire seront satisfaits, car d'après le correspondant du Daily Express à New-York, un officier anglais, le lieutenant-colonel James Churchward vient d'annoncer que des inscriptions gravées sur 125 tablettes trouvées par lui dans l'Inde et traduites avec l'aide de plusieurs savants bouddhistes, démontrent que le berceau de l'humanité était situé sur un continent tropical, plus grand que l'Amérique du Nord, connu sous le nom de Mu et qui fut englouti il y a 13.000 ans dans les profondeurs du Pacifique.

Le colonel Churchward déclare que la première civilisation de l'empire du Soleil à Mu était sans doute plus avancée que toutes celles qui lui ont succédé. Les anciens d'il y a 13.000 ans, ajoute-t-il, possédaient sans doute le secret d'inventions dont la trace a été perdue au cours des siècles. »

A partir de ces fameuses tablettes écrites dans une langue oubliée, la langue Naacal (tablettes que personne n’a jamais vues, à part Churchward lui-même...), le Britannique affirme avoir découvert des informations extrêmement précises sur Mu.

Celui-ci s’étendait des îles Hawaï aux îles Fidji et à l’île de Pâques, qui en constituaient alors les principales montagnes. Habité par 64 millions de « Naacals », cet « Empire du Soleil » aurait atteint son apogée 50 000 ans avant notre ère. Ses habitants étaient alors détenteurs d’une technologie plus avancée que la nôtre, comme le relate encore Le Rappel :

« A en croire les tablettes, les armées de cette époque éloignée avaient des machines aériennes capables de transporter vingt hommes. Ces véhicules de l'air étaient mus par des moteurs d'une grande simplicité utilisant les forces naturelles que notre science moderne cherche aujourd'hui à capter à son tour.

Il est raconté qu'un général Ramchander effectua dans un de ces appareils un vol de la capitale de Ceylan jusque dans l'Inde du Nord. Ses contemporains avaient d'autre part découvert la poudre et se servaient d'armes à feu. »

Churchward passa le reste de son existence à dévoiler tout ce qu’il prétendait savoir sur Mu, publiant d’autres livres sur le sujet, mais sans jamais apporter la moindre preuve.

Piochant dans les vieux mythes du Paradis perdu et du Déluge, l’histoire de Mu rappelle aussi par bien des aspects les récits concernant l’Atlantide, qui connurent dans l’entre-deux guerres un vif essor (le best-seller de Pierre Benoit L’Atlantide date de 1919), même si elle ne connut pas le même succès.

Ce qui n’empêcha certains lecteurs de Churchward de continuer d’adhérer, des années après, à ses thèses. L’écrivain féru d’ésotérisme Georges Barbarin fit ainsi sienne l’idée du continent de Mu dans son livre La Danse sur le volcan, paru en 1938, attirant au passage l’attention de certains titres de la presse grand public.

Le quotidien régional La Dépêche du Berry, par exemple, acquiesça sans sourciller aux rêveries de Barbarin, y trouvant matière à méditer sur le destin des civilisations trop sûres d’elles :

« La vraisemblance de continents effondrés dans le vaste océan au temps de la première formation de la terre et entraînant avec eux une civilisation, au point de vue ésotérique, infiniment plus évoluée que la nôtre, n’est plus guère contestée aujourd’hui [...].

Aux derniers siècles de son existence, Mu avait atteint un degré de civilisation, de luxe exorbitant, de bien-être tels qu’ils conduisirent son peuple à la corruption des mœurs. »

L’hypothèse d’un continent « originaire » sera à plusieurs reprises invalidée par des scientifiques : dès 1935, l’anthropologue spécialiste de l’île de Pâques Alfred Métraux démontait ainsi la thèse fumeuse de Churchward.

Les travaux plus récents sur la géologie du Pacifique infirment également les suppositions de Le Plongeon et de Churchward. Si aujourd’hui plus grand-monde ne croit à l’existence de Mu, ce dernier aura eu une belle postérité dans la culture populaire : il donna son nom au 29e et dernier album des aventures de Corto Maltese et fit quelques apparitions chez l’écrivain d’épouvante H.P. Lovecraft ou dans des dessins animés comme Les Mystérieuses cités d’or ou Les Chevaliers du Zodiaque.

Pour en savoir plus :

Lauric Guillaud et Jean-Pierre Deloux, Atlantide et autres civilisations perdues, E-Dite, 2001

Lyon Sprague de Camp, Lost Continents : The Atlantis Theme in History, Science and Literature (en anglais), Dover Publications, 1954