1923 : Disparition de Gustave Eiffel
Ingénieur de génie mondialement connu, Gustave Eiffel décède à Paris le 27 décembre 1923 à l'âge de 91 ans. Le père de la Tour Eiffel laisse derrière lui un héritage architectural sans pareil pour l'époque.
Le 27 décembre 1923, tandis qu'il se repose dans son hôtel particulier de la rue Rabelais, à Paris, l’ingénieur et gloire nationale Gustave Eiffel est pris d'un malaise. Il succombe brutalement à une hémorragie cérébrale que rien ne laissait présager.
Dans son édition du 29 décembre, le journal conservateur Le Gaulois annonce la disparition du père de la Dame de fer sous forme de panégyrique et de mise en accusation de la prétendue mentalité française.
« M. Eiffel est mort !
S’il avait eu la chance d'être Anglo-Saxon, Rudyard Kipling, lui eût consacré un glorieux chapitre de ses “Buildings Builders”, ou les États-Unis l'eussent mis au premier rang des “Giants of America”.
Mais il est né à Dijon le 15 décembre 1832, et sa disparition en France ne suscite guère qu'un étonnement dû à son extraordinaire longévité.
Nous n'avons pas le culte de nos grands hommes, particulièrement lorsqu'ils ont été de grands brasseurs d'affaires. C'est un tort, car la puissance matérielle et morale d'un pays ne dépend pas moins de ses hommes d'action et de ses hommes de pensée.
Alexandre-Gustave Eiffel fut, peut-être, le plus savant homme, et certainement le plus hardi et le plus original ingénieur de son temps. »
Car s’il est aujourd’hui la légende que l’on sait, Eiffel fut considéré de son vivant comme une personnalité ambiguë, caricature de l’arriviste avide de la fin du XIXe siècle, archétype de l’homme de la Révolution industrielle.
Né à Dijon le 15 décembre 1832 dans une famille bourgeoise d'un père officier et d'une mère négociante en houille, Gustave Eiffel a la chance, en 1843, de poursuivre ses études secondaires au collège Sainte-Barbe à Paris, avant d'intégrer la prestigieuse École centrale des arts et manufactures en 1852. Trois ans plus tard, il obtient son diplôme d'ingénieur.
En 1858, suite à sa rencontre deux ans plus tôt avec Frédéric Nepveu, un entrepreneur visionnaire qui considère que l'acier est un matériau d'avenir, il se voit confier la construction d'un pont ferroviaire de 500 mètres de long au dessus de la Garonne, à Bordeaux. Il a vingt-six ans. Sa carrière est lancée.
Les projets vont alors se succéder à un rythme effréné – ponts, viaducs, gares, et même l'armature de la Statue de la Liberté – à mesure que grandit la réputation de Gustave Eiffel.
En 1889, à l'occasion de l'Exposition Universelle et pour marquer le centenaire de la Révolution Française, le gouvernement souhaite frapper un grand coup, pour faire définitivement oublier la douloureuse défaite de Sedan vingt ans auparavant et pour redorer le blason de la Nation. Gustave Eiffel propose, sur une idée soufflée par ses collaborateurs, l'érection d'une tour comme on n'en a jamais vu jusqu'alors, qui ferait 300 mètres de haut et qui serait la plus grande jamais construite. Son projet l'emporte sur tous les autres.
La construction est achevée dans les temps – ce qui vaudra à Eiffel la Légion d'Honneur – et rencontre immédiatement un immense succès. Gustave Eiffel rentre dans l’Histoire : il est à l'apogée de sa carrière.
Mais quelques années plus tard, en 1893, un formidable scandale va le toucher de plein fouet. La Compagnie du Canal de Panama, dont Ferdinand de Lesseps était l'instigateur, et pour laquelle Eiffel travaille, est étrillé à cause de pots de vins versés à des parlementaires pour qu'ils cachent à l'opinion publique – et à la presse – une faillite qui était imminente, et qui va finir par se produire peu après. De nombreux petits porteurs perdent leur mise. Le scandale est énorme.
Même si la responsabilité d'Eiffel ne saurait être engagée, il est lui aussi poursuivi et condamné à deux ans de prison et à une amende de 20 000 francs. Il sera finalement mis hors de cause et le jugement sera cassé. Toutefois, sa réputation demeurera définitivement entachée.
Gustave Eiffel décide alors de mettre un frein à ses activités. S’il conçoit encore des ponts et des viaducs, comme celui de Bezon sur la Seine ou encore celui Saint-Jean à la Réunion, il est désormais davantage plongé dans ses recherches en météorologie – il installe en 1898 la première station météo de France au sommet de sa tour – et en aérodynamisme, discipline qui le passionne. En 1917, il met au point un prototype d'avion de chasse pour l'armée française.
Auréolé d'une gloire toute nationale malgré les remous de l'affaire du Panama, les dernières années de sa vie se passent à défendre « sa tour » contre ceux qui souhaitent encore la démonter, et finit par convaincre les autorités que sa construction représente un fantasque “intérêt stratégique” pour la Défense nationale.
Peu après son décès, les Annales politiques et littéraires rappellent les controverses que suscita la Tour Eiffel lors de son érection :
« Certes, si le nom d'Eiffel demeurera éternellement lié au développement des grandes constructions métalliques du siècle dernier (ponts, viaducs, coupoles tournantes), il est entendu que depuis trente-quatre ans on ne pouvait plus le prononcer sans songer immédiatement à la gigantesque tour qui domine Paris…
Cette tour, on s'en émerveille ; elle a attiré des millions d'étrangers ; on se félicite de la posséder, mais on oublie l'immense conspiration qui faillit empêcher son édification. Rappelez-vous.
Tous ceux qui avaient un nom dans la littérature, les beaux-arts et la politique firent entendre leurs clameurs indignées : “Ce sera le chef-d'oeuvre du laid ! Et puis, à quoi servira cet immense enchevêtrement de ferraille ? Il est insensé de s'offrir un joujou de ce prix.”
Le ministre, Lockroy, et Eiffel, tinrent bon. Il se souvinrent des vers de Racine disant : “…que pour être approuvés, de semblables projets veulent être achevés.”
Ils pensaient qu'une fois le monument terminé, toutes les objections tomberaient d'elles-mêmes, et qu'il n'y aurait plus de place que pour l'admiration et l'applaudissement.
Ils ne s'étaient pas trompés. »
Paris-Soir, dans son édition du 31 décembre, et par le biais d'un article intitulé « Le Mausolée d'Eiffel au pied de la tour métallique » suggère l’idée baroque de faire reposer pour toujours Gustave Eiffel à l'endroit même de sa grande création :
« Paris-Soir suggère qu'on enterre l'ingénieur Eiffel au pied de la tour de 300 mètres.
– Pourquoi ?
– Parce qu'Alexandre-Gustave Eiffel conçut et bâtit une tour pour l'exposition universelle de 1889 ?
– Non.
Mais bien parce que l'ingénieur Eiffel fut le créateur, le symbole vivant de l'art du fer et de l'acier et parce qu'il fut, trente ans avant les Américains, quarante ans avant les Allemands, l'audacieux animateur des travaux d'art.
Ces travaux qui symbolisent toute une époque, la nôtre, orgueilleuse de ses réalisations “au dessus des forces humaines”. »
Cette idée ne sera finalement pas retenue puisque le jour même, Gustave Eiffel sera inhumé dans le très traditionnel caveau de famille du cimetière de Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, où il repose toujours quatre-vingts quinze ans après sa disparition.
La Dame de Fer, quant à elle, trône aux pieds du Champ-de-Mars, plus en forme que jamais presque cent trente ans après sa construction, attirant chaque année des millions de touristes et de parisiens comme elle le faisait déjà à la fin du XIXe siècle.
Elle aura rendu son créateur immortel.