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Agricultrices avec leurs conjoints, ouvrières dans l’industrie ou employées dans différentes formes de service, les femmes immigrées ont longtemps été autant, voire plus actives que les autochtones.
Cet article est paru initialement sur le site de notre partenaire, le laboratoire d’excellence EHNE (Encyclopédie pour une Histoire nouvelle de l’Europe).
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Les migrations de travail constituent la très large majorité des flux massifs, estimés à 60 millions d’individus, migrant à l’intérieur et au départ de l’espace européen entre le milieu du XIXe siècle et la veille de la Seconde Guerre mondiale. Si les hommes sont d’abord largement majoritaires, au tournant du XXe siècle respectivement 41 % et 53 % des populations d’origine allemande et irlandaise immigrées aux États-Unis sont des femmes.
En France, les Italiennes représentent alors 40 % des filières d’immigration provenant essentiellement du nord de la péninsule.
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Au XIXe siècle, toutes les branches du textile, la fabrication de produits alimentaires ou l’industrie du tabac offrent de nombreux emplois à ces travailleuses. Les hommes, employés dans la sidérurgie, l’industrie mécanique, les mines ou la construction sont plus visibles dans les mondes du travail de la deuxième industrialisation. À ces migrations essentiellement urbaines s’ajoutent des migrations familiales rurales, aux circuits spécifiques : du nord de l’Europe vers l’ouest des États-Unis ; de l’Espagne, du Portugal vers les colonies européennes d’Amérique du Sud, de l’Italie vers le Midi français.
Mais la figure de la domestique attire davantage le regard de l’opinion publique, inquiète de sa moralité. Ces employées dans les services domestiques constituent une part importante des migrations de masse, que ce soit dans les flux migratoires internes, internationaux au sein du continent européen ou transocéaniques au départ de l’Europe : bonnes bretonnes en France, nourrices galiciennes en Espagne, domestiques irlandaises en Angleterre, aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande, ainsi que les gouvernantes allemandes, françaises ou anglaises prisées dans les grandes capitales et dans les colonies par les fonctionnaires coloniaux ou les élites locales.
À Paris des 206 254 femmes recensées en 1901 dans les services domestiques, presque 20 000 étaient étrangères et originaires d’Allemagne, Suisse et Belgique.
Parcours professionnels, filières migratoires et expériences genrées en migration
Dès le début du XIXe siècle, les domestiques sont insérées dans des filières de mobilité autonomes, allant des réseaux spécialisés alimentés par des anciennes migrantes, aux filières organisées par des sociétés charitables, jusqu’au placement effectué par les nombreuses agences qui se multiplient dans les grandes villes. Partant parfois seules, elles se retrouvent souvent enfermées dans les espaces confinés des maisons où elles exercent. Au contraire, parmi les ouvrières des usines, les « suiveuses » ont certes migré avec leurs époux, père, frères mais, surtout si elles sont parties jeunes, apprennent à maîtriser la langue du pays d’accueil et trouvent de nouveaux débouchés professionnels. L’expérience migratoire rebat les cartes des relations de genre.
Au sein des familles, de nombreuses femmes intériorisent des rôles genrés comportant un surcroît de tâches domestiques dans des contextes d’immigration où les réseaux familiaux sont absents ou largement brisés. Des phénomènes semblables apparaissent dans les familles des exilés politiques au XIXe siècle, exception faite pour quelques rares cas exemplaires. Toutefois, l’émigration peut avoir un effet émancipateur, insérant des femmes au départ non qualifiées dans le monde du travail extra-domestique et leur permettant d’acquérir une spécialisation technique, comme cela a été le cas par exemple pour les femmes partant du sud de l’Europe et trouvant des emplois dans l’industrie horlogère suisse au milieu du XXe siècle.
D’autres occupations du tertiaire comme la blanchisserie ou le petit commerce alimentaire puisent largement dans des vagues de migrantes de plus en plus nombreuses au sein du continent européen après les restrictions d’accès et les quotas ethniques introduits aux États-Unis dans les années 1921-1924. Si certaines peuvent trouver une occupation stable dans ces domaines, pour beaucoup le parcours vers l’entrepreneuriat est plus contrasté. Le travail indépendant est souvent synonyme de précarité, en particulier pour les femmes. La frontière entre petits métiers ambulants et prostitution est poreuse.
Le rôle de soutien des familles qui prennent en charge les jeunes enfants et les personnes âgées dans les lieux de départ ou d’arrivée est essentiel jusqu’au milieu du XXe siècle. La famille élargie et les réseaux de la parentèle active autorisent la mobilité des hommes mais aussi des femmes mariées avec enfants. Ces chaînes du care se déploient le plus souvent sur deux pays, parfois sur trois pour des migrations diasporiques groupées ethniquement (tels les Grecs ou les Italiens en France, Allemagne et dans l’Empire ottoman). Rarement les femmes et les hommes en migration partent sans soutien familial, et c’est précisément lorsque l’on entame un parcours en « rupture » avec les proches que les parcours se compliquent.
À la fin du XIXe siècle, les migrations en très forte augmentation entraînent une transformation considérable des structures publiques et privées en charge du transit des flux migratoires, très rapidement administrés en termes genrés. L’accueil des femmes et des enfants est rendu possible grâce au recrutement de femmes, parfois d’anciennes migrantes, dans les infrastructures du transit, les postes de frontières, les organismes internationaux, ou en tant qu’assistantes sociales dans les institutions d’assistance dans les lieux d’arrivée. La Société humanitaire, laïque, et la société Bonomelli, catholique, fournissent des locaux et des personnels assurant un accueil genré au poste de frontière franco-italien de Bardonecchia.
La Première Guerre mondiale représente un tournant en Europe concernant l’intervention des États dans la régulation des flux et dans la mise en place d’un nouveau régime migratoire fondé sur la signature de conventions internationales, dont la France et l’Italie ont été les pionnières en 1904 et en 1917.
Les deux guerres mondiales constituent également des moments clés dans l’enclenchement de flux massifs des populations réfugiées, hommes et femmes de tout âge et condition sans possibilité de retour et confrontés à des questions pressantes de mobilité professionnelle.
Des nouvelles trajectoires ?
Après 1945, l’ensemble de l’Europe devient un pôle d’immigration. L’Allemagne puis l’Italie attirent des vagues croissantes de main-d’œuvre. Les derniers flux migratoires européens, de l’Europe du Sud vers l’Allemagne, la Belgique et la France principalement, sont également repartis entre hommes et femmes. Ils coexistent avec des migrations massives en provenance d’Afrique et Asie et liées aux décolonisations. En 1992, sur 14,8 millions de personnes non ressortissantes de l’Union européenne, 45,5 % étaient des femmes. Les femmes turques sont les plus nombreuses, suivies par les Maghrébines et, depuis le début des années 2000, les femmes originaires des pays limitrophes de l’est de l’UE. La féminisation de ces flux, très marquée à partir des années 1990, change la composition des populations immigrées. Elle fournit une main-d’œuvre bon marché aux agences de nettoyage ou d’aide à la personne, à la restauration et à la grande distribution, dans des conditions souvent marquées par des entorses au droit du travail. Tout aussi spécifique est la mise en place de réseaux du travail du sexe masculin, féminin et transgenre migrant, souvent inscrits dans une dimension globale.
Plus récemment, de nouvelles catégories plus qualifiées, comme les professionnelles des métiers du care, aide-soignantes ou infirmières émergent malgré les obstacles à la reconnaissance de leurs statuts professionnels. Enfin, la multiplication de carrières internationales voit la migration de personnes très diplômées et qualifiées, y compris dans les secteurs culturels et artistiques.
Si le XXIe siècle s’est ouvert sous le signe de circulations migratoires majoritairement féminines, sa marque est la pluralité des expériences professionnelles que ces flux entraînent, combinant spécialisations anciennes et nouvelles frontières du travail féminin en migration.
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Manuela Martini est historienne, professeure d’histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2 et présidente de l’Association française d’histoire économique. Ses recherches se situent à la croisée entre l’histoire des femmes et du genre, l’histoire du travail et celle des migrations.