Écho de presse

Les femmes veulent-elles voter ?

le 15/03/2019 par Marina Bellot
le 23/01/2017 par Marina Bellot - modifié le 15/03/2019

En 1936, une journaliste de "L'Intransigeant" part à la rencontre de femmes de tous les milieux, révélant un profond clivage entre les classes sociales.

"Voici venir les élections. Elles se feront cette fois encore sans les femmes qui, cependant, prennent de plus en plus nettement conscience du rôle qu’elles jouent dans la vie sociale. Jamais, sans doute, la lutte féministe, en France, n’avait été aussi intense que durant ces dernières années". En mars 1936, le journal L'Intransigeant publie une série d'articles interrogeant le rapport des femmes au vote, alors que leur émancipation politique semble toute proche. 

C'est la journaliste et historienne Janine Bouissounouse qui part à la rencontre de femmes de tous milieux, ouvrières, vendeuses, dactylos, institutrices, avocates, doctoresses et artistes (lire ici la savoureuse diatribe de Mistinguett). Une plongée dans des réalités diverses, qui révèle un profond clivage entre les classes sociales. 

À l'usine, la question de la reporter paraît saugrenue : 

"Dis donc, Thérèse, c’est une dame qui se demande si on veut voter ? Qu’est-ce que t’as à dire, toi ?
— Moi, j’ai jamais le temps d’ouvrir un journal. Quand je sors de l'usine, j’ai un homme à raccommoder, trois gosses à nettoyer. En plus de ça, faut faire la soupe. Alors, si je ne lis rien, si je ne vais pas aux réunions, qu'est-ce que je saurais
 ? Dans ces conditions-là, je pense qu’il vaut mieux que je me tienne tranquille.
Je demande tout haut
 :
— Personne ici ne voterait ?
Silence... et Thérèse en se levant de table
 :
— Mais non, personne
 ! C’est pas pour nous ces machins-là !"

De l'autre côté de l'échiquier social, les propos sont radicalement différents : 

"Un oui unanime, cela va sans dire, parmi les avocates et les doctoresses (et je ne parle pas des doctoresses et des avocates connues comme militantes). Comment celles qui ont su mériter les mêmes diplômes que leurs camarades étudiants pourraient-elles ne pas s'étonner de leur devenir un beau jour inférieures ?
Assise en face de Maître Paulette M... dans un cabinet de travail qui ressemble à une cellule, je l’écoute me dire pourquoi elle et ses consœurs sont féministes
 :
— «
 J’estime qu’une femme qui vit de son travail doit l’être, ne serait-ce que par reconnaissance pour celles qui lui ont permis d’atteindre son but. » [...]

« Je pense que les femmes doivent voter, déclare énergiquement une jeune doctoresse établie en banlieue, mais le vote sans l’éligibilité ne signifie absolument rien. Si les femmes ont un jour l’honneur d’élire des députés, qu’est-ce que ça changera ? Quand les femmes seront éligibles, bien des lois seront sans doute révisées. Moi qui suis en contact journalier avec des femmes, des femmes malheureuses que je soigne au dispensaire, je m’étonne de l’infériorité scandaleuse de la femme mariée (la jeune doctoresse est célibataire). Elles ne seraient plus tellement brimées si des femmes les représentaient. J’entends chaque jour des histoires navrantes, qui prouvent bien que le code a été fait par des hommes et pour eux. »"

L'émancipation politique des Françaises est bel et bien en marche : en juillet 1936, trois mois après la publication de l'enquête, la Chambre des députés se prononcera à l'unanimité pour le suffrage des femmes. Le texte ne sera cependant jamais inscrit à l'ordre du jour du Sénat et il faudra attendre 1944 pour qu'il soit effectif. 

 

Notre sélection de livres

La Condition sociale des femmes
Ernest Naville
La Femme française dans les temps modernes
Clarisse Bader
Du rôle de la femme dans notre rénovation sociale
Georges Guéroult
Le Rôle de la femme dans la société
Thérèse Mercier
La Femme politique
Raoul Lajoye