Mary Wollstonecraft, portrait de la toute première féministe
En 1897, à l’occasion du « centenaire du féminisme », les journaux reviennent sur la vie et l’œuvre de la pionnière anglaise de l’émancipation des femmes.
À quand remontent les débuts du féminisme ? À cette question un peu étrange, certains journaux du XIXe siècle répondent sans ciller : à la mort de Mary Wollstonecraft un siècle plus tôt, en 1797.
Avec Vindications of the Rights of the Woman (Défense des droits de la femme), son pamphlet publié en 1792, cette femme de lettres et philosophe anglaise a en effet posé les bases de l’égalité entre femmes et hommes, tout en restant ignorée pendant une grande partie du XIXe siècle.
En 1897 pourtant, quelques – rares – journaux font mine de s’émouvoir que l’on ne célèbre pas le centenaire du féminisme, dont ils datent le début à la mort de la femme de lettres et philosophe anglaise.
C’est le cas du Journal des débats politiques et littéraires qui rappelle l’œuvre majeure de cette féministe du XVIIIe siècle :
« Comment le féminisme, si avide de bruyante réclame, a-t-il laissé passer inaperçu le centenaire de sa fondatrice ? Il y a un siècle, en effet, le 17 septembre dernier, qu’est morte Mary Wollstonecraft Godwin dont les Vindications of the Rights of Woman pourraient servir encore de Manifeste aux partisans de l’égalité des sexes. (…) Les Vindications de Mary Wollstonecraft eurent, à leur apparition, un prodigieux succès ; elles furent traduites en Allemagne, en Suède, même en Russie, partout excepté en France. »
Le XIXe siècle note que ce sera en Autriche que sera rendu l’hommage à la féministe :
« À Vienne, on célèbrera ces jours-ci le centenaire de la mort de la première femme qui ait développé le programme féministe. (…) Elle déclara la première que les compliments adressés à une femme constituaient au fond une injure des plus graves. Sa devise était : “Pas de privilèges, mais des droits !” »
Quelques années plus tôt, en 1891, ce même journal dressait le portrait de Mary Wollstonecraft à l’occasion du droit de vote obtenu par les Australiennes. Paul Ginisty s’étonnait que les féministes n’aient jamais songé à élever un monument à sa mémoire :
« Elle réclamait déjà, elle, l’admission des femmes aux emplois publics ; elle sollicitait pour les femmes des mandats législatifs et des ministères, et avec une belle vivacité ! Ne se contentant pas d’une croisade par la plume et par la parole, elle avait ouvert une école où elle inculquait aux jeunes filles qu’on lui confiât les principes nouveaux. Elle ne se souciait guère des railleries et elle poursuivait bravement ce qu’elle appelait la “mission de sa vie”. »
La République française consacre une colonne aux Vindications of the Rights of the Woman, ressuscités par la militante féministe Millicent Garrett Fawcett. Jugeant Mary Wollstonecraft « judicieuse, raisonnable et sensée dans son argumentation », l’article cite un passage de l’ouvrage :
« “La femme, dit-elle, est au monde pour développer son intelligence et toutes ses facultés mentales, morales et physiques : l’idéal de toute femme qui se respecte doit être, non pas de plaire mais d’être sur la terre un pouvoir bienfaisant, de prendre de l’empire, non sur les hommes, mais sur elle-même.” (…) Un tel programme est sans peur et sans reproche. »
Avec un tel « programme sans peur et sans reproche » Mary Wollstonecraft aurait dû devenir une figure emblématique pour les générations suivantes. Alors pourquoi une telle indifférence de la part des féministes du XIXe siècle ?
Dix ans plus tôt, Arvede Barine, nom de plume de Louis-Cécile Bouffé, publie Portraits de femmes, dans lequel elle évoque la féministe anglaise. C’est à cette occasion que Gil Blas en dresse un portait passionné et donne une piste sur le désamour qui l’entoure :
« Elle voulait une éducation qui fut la même pour les deux sexes ; elles voulaient les femmes électeurs et éligibles. Elle assurait que les femmes seraient d’aussi bons avocats et d’aussi bons médecins que les hommes, et, en ce qui regarde la médecine, du moins, ses prophéties commencent à se réaliser. Enfin, elle fut l’apôtre de l’union libre – et prêcha d’exemple. (…) Ce fut un sacrifice douloureux qu’elle fit à ses théories que d’accepter de devenir la compagne d’un aventurier américain. »
Il faut imaginer Mary Wollstonecraft arrivant à Paris en 1792 pour comprendre la Révolution en cours (elle publiera An Historical and Moral View of the French Revolution en 1794). Elle tombe amoureuse de Gilbert Imlay et vit avec lui deux ans en union libre. De cet amour naît en 1794 une fille, Fanny, alors qu’Imlay l’a quittée.
C’est cette liberté amoureuse qui lui vaut une réprobation sociale quasi unanime qui la suivra bien après sa mort. Peu importent ses idées révolutionnaires, son mode de vie totalement anticonformiste fait peur.
Un livre publié par son mari après sa mort (Souvenirs de l’auteur de la défense des droits des femmes), dévoilant son style de vie hors des normes de l’époque achèvera de détourner d’elle une grande partie du mouvement féministe du XIXe siècle. Et fera les délices des journaux bien-pensants comme Le XIXe siècle qui en quelques lignes à la fois fausses (Mary ne connut qu’une seule union libre) et contradictoires, cloue la « détraquée » au pilori des bonnes mœurs.
« Une détraquée, c’est Mary Wollstonecraft Godwin, la pauvre Anglaise qui, il y a cent ans, rêva, une des premières, de l’émancipation des femmes et des unions libres pour lesquelles par deux fois, elle prêcha d’exemple. Deux tristes expériences qu’elle fit, l’infortunée, unie librement à deux coquins, qui tour à tour lui démontrèrent à leur façon le danger de ces mariages trop hâtivement conclus. »
Mary Wollstonecraft meurt le 17 septembre 1787, en mettant au monde sa seconde fille, Mary. Celle-ci deviendra célèbre sous le nom de Mary Shelley, célèbre auteure de Frankenstein.