1933 : Le crime du Palace, imputé à la communauté homosexuelle
Quand Oscar Dufrenne, personnalité bien connue du tout-Paris, est assassiné, l'affaire fait sensation. Pour la première fois, l'homosexualité fait la une des journaux pendant des mois.
24 septembre 1933. Oscar Dufrenne est assassiné dans son bureau du cinéma « le Palace », récemment transformé en music-hall. L’homme est connu du Tout-Paris : conseiller municipal du Xe arrondissement de Paris, conseiller général de la Seine, il est aussi président de la chambre syndicale des établissements de spectacles, et directeur, entre autres, du Casino de Paris.
Le Journal met en scène la manière dont la nouvelle se propage immédiatement dans le quartier du Palace :
« Minuit. Faubourg Montmartre. Des boulevards et de leurs cinémas la foule descend vers les brasseries. C'est l'heure où ce coin de Paris commerçant arbore son visage nocturne, où la joie populaire s'exprime avec plus de force que partout ailleurs. [...] Les terrasses flamboient. [...] Paris s'offre un dernier éclat de rire avant d'aller se reposer.
Mais quelle est cette rumeur qui, tout d'abord confuse, se précise peu à peu ? "On a tué." Qui ? Qui a-t-on tué ? D'une terrasse à l'autre les garçons s'interrogent. Un passant les renseigne. "Qui ? Mais vous ne savez pas. Le directeur du Palace !" De fait, devant le music-hall, pour un temps, transformé en cinéma, un attroupement déjà se forme. De seconde en seconde il grossit. Des spectateurs sortent. On les questionne. On les intrigue. Un drame au cinéma ? Ils ne savent rien ; ils veulent savoir ; ils rebroussent chemin. Curieux, ils se dirigent vers l'escalier qui du hall mène au balcon et, pensent-ils – avec raison – à l'administration de l'établissement. Mais un agent leur barre la route. Dehors, d'ailleurs, un service d'ordre s'organise.
Et c'est ainsi que peu à peu le Paris nocturne apprend la mort tragique d'Oscar Dufrenne. »
L’exquis Oscar Dufrenne, l’ancien acteur, l’ami des stars comme Mistinguett, assassiné ? Les médias s’emparent avidement de l'affaire du crime du Palace – et ce d'autant plus que l’enquête, qui s’oriente d’abord vers un meurtre crapuleux, prend vite une tout autre tournure... Car, c'est un fait connu de tous, Oscar Dufrenne est homosexuel, et sa « vie mouvementée » est rapidement mise au centre de l’affaire, tandis que les soupçons se portent d’abord sur un jeune et élégant marin dont on ne sait s’il s’agit d’un véritable matelot ou d’un travesti.
C'est « un grand éphèbe de vingt-cinq ans environ, élancé, habitué des bars de Pigalle », rapporte Paris-Soir.
« Il faudrait donc en conclure que le directeur du Palace avait été en relation avec ce mystérieux matelot pour les besoins de sa profession, profession qui, hélas ! le mettait en rapport avec des gens des milieux les plus suspects. »
Si l’homosexualité n’est pas taboue en France, c’est bien la première fois qu’elle fait ainsi la une de la presse. Sans que le mot, pourtant, ne soit jamais écrit noir sur blanc. Car, pour l'évoquer, la presse rivalise d’euphémismes en tous genres. Oscar Dufrenne a sans doute été « assassiné par un semblable », « on connaît sûrement le coupable dans le milieu des éphèbes », écrit ainsi Paris-Soir.
Un an après le meurtre, un assassin présumé fait la une des journaux : Paul Laborie, un repris de justice d'une vingtaine d'années, présenté comme « un jeune dévoyé ». Et Le Matin de rapporter :
« Paul Laborie, beau jeune homme de 23 ans, appartenait à cette faune spéciale qui évolue dans divers bars louches de Montmartre et qui échappe, tant son activité coupable est diverse, à toute classification définie. »
Son procès a lieu en octobre 1935. Et là encore, c'est son « existence aventureuse » et ses « mœurs connues » qui sont au centre des débats.
L'homme avait tout du coupable idéal... Et pourtant, l'accusation ne parvient à fournir contre lui aucune preuve suffisante. Paul Laborie est finalement acquitté sous les applaudissements. Paris-Soir écrit ainsi :
« On éprouvait à l'entendre [l'arrêt de la cour] un certain soulagement, non pas à cause du petit chenapan, pâle et mince silhouette perdue dans un box, mais par goût de l'élémentaire justice ou simplement de la vérité. »
Le meurtre reste à ce jour irrésolu. Le crime du Palace demeure un mystère.