Écho de presse

1932 : Avec les mineurs belges en lutte

le 18/08/2021 par Marina Bellot
le 01/12/2017 par Marina Bellot - modifié le 18/08/2021
La fin d'une journée de travail. Les mineurs traînent sur des wagonnets, sortent des boyaux souterrains et arrivent à la galerie principale d'où ils seront hissés à la surface. Photo parue dans le Populaire du 19 juillet 1932 - Source : Gallica-BnF

À l’été 1932, des grèves quasi-insurrectionnelles secouent le pays minier belge. Le journal socialiste Le Populaire consacre une série d'articles à ce mouvement révélateur d'une immense misère sociale.

Fin mai 1932. Tandis que les effets de la crise économique de 1929 se font sentir dans toute l'Europe, les mineurs belges de la région minière du Borinage décrètent la grève générale, dénonçant des conditions de travail infernales et des salaires de misère. Le mouvement touche rapidement Charleroi, Liège et tout le pays minier belge. La Belgique compte alors 500 000 chômeurs, pour une large part non indemnisés, et l'annonce des patrons charbonniers borains d'une baisse unilatérale des salaires de 5% a mis le feu aux poudres.

Le journal socialiste Le Populaire consacre une série d’articles à cette grève.

L’enquête, signée par l’avocat, homme politique de gauche et journaliste Louis Lévy, est aussi fouillée qu'empathique. Le 11 juillet 1932, le journal fait le point sur une situation de plus en plus explosive :

« La grève des mineurs du Borinage est générale. Elle s'est étendue également aux charbonnages du Centre et de la région de Charleroi. Des mines, elle a tendance à s'étendre aux grandes usines métallurgiques.

D'après les renseignements qui nous parviennent de Belgique l'attitude des grévistes est à la fois énergique et digne. Et tous les incidents qui se sont produits sont dus uniquement aux mesures “d'ordre”, autrement dit aux mesures de désordre qu'un gouvernement peu clairvoyant a prises dans son affolement. »

Plus de 100 000 travailleurs ont alors rejoint le mouvement de grève.

Le Populaire explique en détail les raisons de la colère de ces travailleurs belges minés par le chômage et la crise :

« [...] Tous les mineurs de Belgique sont mal payés. Les salaires sont très bas, plus bas encore qu'en France. Delattre me disait qu'en moyenne on pouvait estimer que les salaires des différentes catégories de travailleurs oscillaient entre 20 et 45 fr. par jour. Bien entendu, il s'agit de francs belges. Et un franc belge vaut environ 0 fr. 70 de notre monnaie. J'entends bien que la vie est moins chère en Belgique qu'en France. Cependant, un franc belge est loin d'avoir la puissance d'achat d'un franc français...

Quant aux mineurs du Borinage, il est impossible de comprendre parfaitement leur situation si l'on ne se rappelle que le bassin, par eux exploité, est un ancien bassin qui s'épuise. En dehors même de la crise économique, il y aurait un problème du Borinage singulièrement angoissant.

Il y a 8 000 grévistes qui ne veulent pas de la baisse conventionnelle. Faut-il dire que leur attitude peut fort bien se justifier ? Ces mineurs sont malheureux. Ils sont, plus que les autres, touchés par le chômage. Une baisse même conventionnelle ramène leur salaire à un taux très insuffisant. »

Ces grèves marquent le développement d’un prolétariat combatif, et consacrent l’importance du rôle joué par les femmes dans la mobilisation. Ainsi, note Louis Lévy :

« Les femmes du borinage ont eu dans ce mouvement un rôle admirable [...]. Est-il nécessaire de rappeler que les femmes sont les premières à souffrir de la crise, des maigres salaires, du chômage ? Et ne comprend-on pas ainsi qu’elles se soient levées pour aider, pour soutenir leurs maris, leurs frères, dans la lutte qu’ils entreprenaient ? [...]

Et nous vîmes des femmes, des nuits durant, veiller autour des charbonnages, des terrils, pour empêcher les “jaunes” de passer. »

Dans un autre article, les mineurs racontent au journaliste du Populaire la féroce répression à laquelle se livrent les forces de l’ordre :

« “Même les fusils brisés, voyez-vous, même notre insigne des fusils brisés, ils l'arrachent de notre boutonnière.

— Bien sûr, fait un troisième. À Emile, ils lui ont arraché le fusil brisé, et ils lui ont jeté son bonnet.”

Et voici que tout le monde se mêle de nouveau à la conversation. Et il n'est question que de gifles, que de coups de crosses, que de matraques.

Et puis, c'est le récit des perquisitions. Depuis jeudi, elles ne cessent pas. Les gendarmes ont arrêté une vieille femme, lui ont mis une lampe à la main et l'ont fait marcher devant eux, tandis qu'ils fouillaient une maison. [...]

Les perquisitions à domicile rendent les femmes folles de frayeur. Les gendarmes font irruption dans les maisons avec leurs armes, réclament les livrets de mariage, font l'appel de la famille.

“Ma mère, murmure-t-elle, a été prise du cœur. Les femmes et les enfants vont mourir de peur, c'est sûr. [...] C'est pire que les Allemands pendant l'occupation.” »

Avec une hausse de salaire de 1% et la promesse d’un réembauchage complet dans le Borinage, les mineurs finissent par reprendre le chemin du travail en septembre, à contrecœur. Après dix semaines de lutte, le mouvement prend fin.

Les cinéastes Henri Storck et Joris Ivens poseront leur caméra dans le Borinage dès septembre 1932 et réaliseront leur célèbre documentaire Misère au Borinage.