1877 : Reportages dans le Far-West, à Deadwood
Ville hors-la-loi bâtie sur la soif de l’or – et immortalisée par une série télévisée éponyme –, Deadwood suscite alors chez ses visiteurs français un mélange de fascination et de répulsion.
Deadwood, dans le Dakota du Sud. La ville doit son nom à son aridité et aux masses conséquentes de bois mort gisant dans ses ravins. Suite à un traité en date de 1868, les terres appartiennent de droit à ceux que la société américaine finira par nommer, non sans ironie, « les Natifs ».
Il s’en faudra d’une annonce tonitruante du fameux général Custer sur la découverte d’un filon d’or dans la région des Black Hills pour que la ville surgisse du néant, sans statut officiel ni règlementation, et draine une population de prospecteurs peu regardants sur la légalité, comme le mentionne ce feuillet du Journal des débats politiques et littéraires.
« C’est au centre de ces parages, à qui l’on a donné le nom d’Oasis d’Or, en plein désert, que 5 000 à 6 000 individus accourus de tous les points des États-Unis sont venus s’établir pour se livrer à la recherche de l’or.
Deadwood City est, comme toutes les localités de ce genre, le refuge des hommes les plus dangereux, bien que j’y aie rencontré quelques hommes sérieux qui ont découvert des veines et autres gisements aurifères d’une grande valeur. »
Même ce dernier point semble litigieux : tous les chercheurs d’or venus tenter leur chance n’ont pas la même veine. Cette lettre retranscrite dans Le Constitutionnel parle même d’une bulle spéculative.
« Fondée au printemps de 1876 par quelques mineurs, Deadwood City se trouve au centre des Black Hills, territoire de Dakota.
Aujourd’hui, cette ville compte plus de 10 000 âmes, et s’étend continuellement. On y trouve tout ce que l’on désire, mais à des prix exorbitants. Il y a trois bons hôtels, deux banques, deux journaux, un théâtre, plus de 100 débitants de liqueurs, 3 essayeurs de métaux, etc. Mais c’est une ville de fraude, avec une population flottante qui ne permet d’y rien faire.
Un exemple des prix insensés des vivres : la farine de qualité médiocre, mais la seule en vente, coûtait, dimanche 13 mai, 30 dollars les cent livres. Pour me résumer, Deadwood est une spéculation que les journaux locaux ont fait et font mousser, sous prétexte de riches mines d’or qui n’existent que peu ou prou. […]
Je partirai, avec d’autant moins de regret, que, depuis mon séjour à Deadwood, l’or est toujours introuvable. Les éléments veulent-ils aussi me conseiller ? Aucun jour ne s’est passé sans pluie, ni grêle, neige, tonnerre et éclairs. Un ancien rentrerait chez lui. »
L’absence de loi et d’ordre provoque de même l’effarement d’un chroniqueur du Siècle, dans un entrefilet copieusement ironique.
« À Deadwood, chacun porte un revolver ; on ne fait que jouer, boire, se battre. Il y a une moyenne de trois meurtres par jour. On ne s’en émeut point, et l’on dit en ce cas, que “le camarade a eu le dessous dans la discussion”. […]
Piller les diligences est un commerce régulier, pratiqué d’une façon systématique. Quand une banque ou un commerce de Custer City ou Deadwood doit faire un envoi de poudre d’or, les commis préviennent les “agents de la route” ; c’est le nom que l’on donne aux voleurs. […]
Mais vous pouvez être assuré que ces violences cesseront bientôt, et que si les tribunaux n’y mettent ordre, les comités de vigilance librement formés se réuniront, et pendront haut et court les voleurs et assassins. C’est ainsi que les choses se sont passées en Californie et que ce pays n’a pas tardé à devenir la région la plus tranquille et la plus prospère de tous les États-Unis. »
Prédiction optimiste tant le calme tarde à venir, ou ne serait-ce qu’à se montrer. La cité nouvelle subit en effet des attaques de Sioux lésés de leurs terres, et en 1879, un incendie ravage un nombre conséquent de maisons faute d’interventions coordonnées. Quatre ans plus tard, une inondation entame une nouvelle fois les bonnes volontés des habitants.
L’arrivée du chemin de fer à l’orée des années 1890 n’amène pas forcément plus de paix ou de civilisation. Les employés du rail s’acclimatent même assez rapidement des coutumes locales en mettant le feu à un hôtel de la ville.
La région devient un symbole de la déréliction morale du Grand Ouest américain, quitte à servir de décor à des feuilletons littéraires, théâtres de basses œuvres.
L’une des attractions vedettes du spectacle Buffalo Bill’s Wild West se nomme « L’attaque de la diligence de Deadwood ». Et même lorsque la justice semble s’y exercer, c’est de façon bien personnelle, comme en témoigne cette sordide affaire impliquant un « bourreau amateur ».
Deadwood s’est en outre taillé une place dans l’inconscient collectif américain de façon toujours plus symbolique comme le lieu où les légendes de l’Ouest viennent finir leurs jours. Ainsi de Wild Bill Hickok, camarade du célèbre Buffalo Bill pendant la Guerre Civile, s’y fait abattre en traître par un joueur de poker malchanceux.
L’incident est relaté de façon mensongère et étrangement bienveillante pour le meurtrier dans cette édition du Petit Journal.
Rien n’y est vrai, en dehors des deux procès. Plus proche de la vérité et avec un supplément d’emphase, cette annonce de la mort de Jane Burke, alias Calamity Jane.
Tandis que le XXe siècle avance, la fièvre de l’or s’éteint peu à peu dans l’Ouest américain. Comme partout ailleurs, la civilisation finit par s’installer à Daedwood. Une quarantaine d’années plus tard, un énième incendie manque ravager l’intégralité de la ville. Les bâtiments encore debout valent à la municipalité un classement en tant que « site historique national ».
Aujourd’hui ne vivent plus à Deadwood que quelque 1 280 âmes, comme dans le célèbre roman de Jim Thompson.