Écho de presse

Gloire et infamie du Bal de l'Opéra de Paris

le 10/02/2019 par Pierre Ancery
le 01/03/2018 par Pierre Ancery - modifié le 10/02/2019
« Le Bal masqué à l'opéra », Edouard Manet, 1873 - source : WikiCommons National Gallery of Art

Né en 1715, le légendaire bal costumé de l'Opéra de Paris avait lieu à chaque Carnaval. Joyeux lieu de brassage social pour les uns, il était décrié comme un enfer de débauche par les autres.

Succédant à la fête des Fous du Moyen Âge, le Carnaval de Paris était une véritable institution, avec ses traditions et ses moments forts : la promenade du Bœuf gras, la descente de la Courtille ou encore la fête des Blanchisseuses. Mais le plus célèbre événement de la fête était le Bal de l'Opéra.

 

Créé par ordonnance royale en 1715, il se tint à l'opéra de la rue de Richelieu jusqu'en 1820, puis à la salle Louvois, à l'opéra Le Peletier, et enfin à l'opéra Garnier à partir de 1875. C'était une gigantesque fête costumée avec orchestre, qui avait lieu deux fois par semaine. Elle débutait à minuit et se terminait à cinq heures du matin.

 

D'abord réservée à la noblesse et à la haute bourgeoisie (Marie-Antoinette s'y serait rendue incognito avec le comte d'Artois), elle s'ouvrit peu à peu à tout le monde. On y venait davantage pour intriguer et y entamer des liaisons que pour danser, ce qui lui valut une réputation sulfureuse.

 

En 1800, alors que le bal, suspendu pendant la Révolution, vient d'être rétabli, Le Journal des débats et des décrets décrit la façon dont se nouaient ces intrigues à l'époque de la monarchie :

 

« C'est là qu'à la faveur de la liberté du masque on nouait une intrigue, on ébauchait une aventure, on brusquait une bonne fortune. Là pleuvaient de toutes parts les sarcasmes, les traits piquants, les allusions satyriques ; là on dévoilait tous les mystères, on révélait tous les secrets, on semait de tous côtés les inquiétudes et les soupçons et chacun se faisait un plaisir malin. »

 

Et d'évoquer le (relatif) brassage social qui, fidèle à l'esprit originel du Carnaval, s'est peu à peu installé lors du Bal :

 

« Un des principaux avantages de ce bal était d'y confondre tous les rangs ; la petite bourgeoise y coudoyait la duchesse orgueilleuse ; le commis tutoyait le ministre ; le marchand traitait familièrement le marquis ; le domino et le masque rétablissaient, pour un moment, les hommes dans l'égalité naturelle ; illusion trop courte qui se dissipait cruellement le lendemain. »

 

Au XIXe siècle toutefois, nombreux sont ceux qui voient dans ce Bal devenu trop populaire un lieu de débauche et d'avilissement. Ainsi ce chroniqueur du Tintamarre qui écrit en 1849 :

 

« C'est toujours le même public avec quelques rides de plus au visage, quelques pièces de plus aux vêtements ; les mêmes femmes éhontées et froidement lascives […] ; les mêmes jeunes vieillards, blasés à trente ans, qui, avant leur arrivée dans ce lupanar dansant, où une mise décente et des bottes cirées ne sont pas de rigueur, se sont pris de cassis et empiffrés de fromage de Brie [...].

 

Le peuple français (peuple d'actionnaires), qui passe à tort pour le plus spirituel de la terre, vit tantôt depuis vingt ans des mêmes plaisirs, du même esprit, des mêmes bons mots. Je défie nos chroniqueurs modernes de citer un seul mot spirituel fait au bal de l'Opéra. On ne cause pas au bal de l'Opéra, on y hurle. »

 

Ou ce rédacteur du Journal amusant qui, en 1877, déplore la « baisse de niveau » de la population féminine de cette fête jadis réservée aux seules élégantes :

 

« Si ce n'est pas un régal pour l'intelligence, c'est un festin pour le regard. Le malheur, c'est qu'il faille, au milieu de ces splendeurs, laisser grouiller une certaine quantité de vermine féminine, sortie des bois de lit du quartier Bréda. S'il n'y avait que des femmes du monde, se promenant sentimentalement en domino, ce serait superbe.

 

Il est nécessaire de semer dans ce tohu-bohu les allumeuses, celles qui se travestissent à prix fixe, avec accompagnement de ohé ! de fard et de cynisme. On ne peut pas demander aux duchesses du faubourg Saint-Germain de venir remplir ces fonctions de boute-en-train ; que voulez-vous y faire ? »

 

D'autres, pourtant, se réjouissent de ce métissage social, comme Le Journal pour rire en 1854 :

 

« Regardez cette mer immense, bariolée, furieuse, cette mer dont chaque vague est une tête humaine, qui roule à vos pieds, en grondant, ses flots multicolores ! Regardez les pierrots blancs sur les tapis rouges, les sauvages, les débardeurs chantés par Gavarni... Regardez les titis, les gamins bleus, verts, roses... Masques informes, visages gracieux, tailles souples et corps contrefaits... Regardez cet assemblage des caprices les plus extravagants, des rêves les plus poétiques !

 

Tout cela passe, repasse, tourne et retourne autour de vous, vous jetant un cri, un coup d’œil, une injure, une provocation, un sourire ! La mer est calme, mais la tempête gronde et va éclater. L'orchestre de Musard tonne, — regardez, regardez, et cramponnez-vous plus solidement que jamais à votre colonne ! »

 

 

Toutefois, ce sont les caricaturistes qui s'en donnent à cœur joie pour décrire cette fête :

 

 

 

 

Le Bal de l'Opéra perdura jusque dans les années 1920. Quant au Carnaval de Paris, il est encore fêté, mais avec une ampleur bien moindre que par le passé. 

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