C'était à la une ! Loi de Lynch aux États-Unis
La lecture du jour présente le reportage aux États-Unis de Curt Riess, journaliste à Paris-Soir en 1937. Pendaisons, noyades, supplices, flagellations, meurtres... le quotidien monstrueux des noirs apparaît au grand jour.
En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture
Cette semaine : La loi de Lynch, par Curt Riess, Paris-soir, 14 octobre 1937
Lecture par Daniel Kenigsberg
Réalisation : Marie-Laure Ciboulet
« LA LOI DE LYNCH - En 55 ans, 4674 NÈGRES ont été brûlés ! Sur ce nombre, plus de 500 étaient sûrement innocents ; plus de 3000, même coupables, n'auraient pas été condamnés à mort !
(De notre envoyé spécial Curt RIESS)
... Tampa, Hillsborough County : Robert Johnson, nègre, condamné pour vol de volaille, fusillé par auteurs inconnus.
... Hazard, Perry County : Rex Scott, nègre, accusé d'avoir frappé un blanc, arraché à la police, pendu et fusillé.
... Lambert, Bolivar County : Joe Love et Isaac Thomas, nègres, accusés d'une tentative de viol, arrachés à la police et pendus.
... Pelahatchie, Rankin County : Henry Bedord, nègre, flagellé à mort, pour avoir parlé irrespectueusement à un blanc.
... Manchester, Coffee County : Richard Wilkerson, nègre, assailli et assommé, pour avoir frappé un blanc. Auteurs inconnus.
— Des exemples comme ça, me dit M. Taggert, vous en trouverez des milliers. C'est la menue monnaie du meurtre. Mais il y a mieux.
M. Taggert est dentiste à Burmingham (Alabama). C'est un nègre intelligent et cultivé qui souffre dans sa chair toutes les souffrances de sa race. Je suis venu dans son bureau pour parcourir la documentation qu'il a accumulée sur les cas de lynchage. Statistiques d'atrocités.
— Il y a mieux, dites-vous ?
— Continuez, vous verrez...
Et je me replonge dans ces dossiers où ce ne sont que comptes rendus effroyables, cruautés, atrocités, crimes anonymes. En bas, dans la rue, j'entends des enfants s'amuser et chanter :
J'ai des ailes,
Tu as des ailes,
Tous les enfants de Dieu ont des ailes.
Sous mes yeux les méfaits se succèdent. Ça devient monotone à force d'être toujours abominable. Et toujours cette même phrase qui revient obsédante pour clore les récits rouges.
« On ne fit enlever le cadavre qu'à la tombée de la nuit. »
Fusillades, pendaisons, lapidations, noyades, flagellations, supplices : palmarès de mort violente, palmarès de sang, palmarès de terreur. [...]
Les statistiques révèlent que 78,4 pour cent de l'ensemble des nègres qui ont été lynchés au cours des cinquante dernières années ont été accusés de crimes (jamais prouvés) dont aucun, légalement jugé, même devant la cour la plus sévère, n'aurait pu entraîner la peine de mort. Les statistiques disent en outre que 11 pour cent des nègres lynchés n'ont été accusés d'aucun crime. [...]
Taggert prend la parole :
— Une seule fois on nous a traités sur un pied d'égalité avec les autres Américains. Ce fut pendant la Grande Guerre. On nous permit de mourir pour notre patrie, comme les blancs. Mais à peine la guerre finie, la population du Sud eut peur que les nègres ne se figurent avoir gagné l'égalité des droits par le gage de leurs vies. Les activités du Ku-Klux-Klan reprirent de plus belle. Dès 1919, on lynchait dix nègres qui venaient de rentrer dans leurs foyers. Ils portaient encore l'uniforme. [...]
En 55 ans, 4674 nègres, proie de la foule en furie, ont subi l'atroce loi de Lynch. Toute une forêt humaine en flammes. [...]
Taggert, derrière moi, fait entendre un rire amer :
— Ces choses ne sont pas de la littérature : ces choses sont la réalité. Vous venez d'avoir la preuve de l'incroyable sauvagerie des soi-disant civilisés. Quand je sors le matin, je ne sais jamais si je reviendrai le soir.
Il a prononcé ces paroles très simplement, comme s'il s'agissait d'une chose toute naturelle.
Dehors, c'est le crépuscule. Seul, au coin de la rue, un vieux nègre continue imperturbablement à gratter son banjo. Et le voilà qui entonne la vieille chanson nègre, empreinte de mélancolie et d'espoir :
J'ai des ailes.
Tu as des ailes.
Tous les enfants de Dieu ont des ailes.
Calme plat. Une phrase bourdonne dans mes oreilles :
« On ne fit enlever le cadavre qu'à la tombée de la nuit. »