Anatole Deibler, le bourreau aux 400 têtes
Descendant d'une longue lignée de bourreaux, Anatole Deibler eut une carrière aussi longue que prolifique : en 54 ans, il exécuta près de 400 personnes parmi lesquelles plusieurs grandes figures du crime.
Le 2 février 1939, un homme s'effondre sur le quai du métro parisien. Quand le chef de gare accourt, il le reconnaît immédiatement malgré la pâleur de son visage : il s'agit d'Anatole Deibler, le bourreau le plus prolifique et célèbre de France. Il trépassera quelques heures plus tard à l'hôpital, à l'âge de 75 ans.
La mort de celui qui exécuta près de 400 criminels fait dès le lendemain les gros titres de la presse.
Une de Ce soir au lendemain de la mort de Deibler
Issu d'une longue lignée de bourreaux, Anatole Deibler, qui rêvait d'une tranquille vie de bureau, ne put échapper à sa destinée.
Paris-Soir revient sur son « existence effroyable » :
« Fils, petit-fils, arrière-petit-fils de bourreau. Telle était la tragique hérédité qui pesait sur Anatole Deibler. [...]
Il sentait qu'une malédiction pesait sur sa famille, sur lui. L'enfant si gai devint sombre, sarcastique, cynique. Il tira orgueil de la tare dont on l'accablait. Il joua à “guillotiner” ses camarades, à leur inspirer de l'effroi... [...]
Une existence effroyable commençait. [...]
Une nuit de mars 1882, son père le réveilla rudement :
— C'est l'heure, Anatole !
Le futur bourreau était tiré du sommeil comme un condamné à mort. Avec son père et les aides, il quitta avant le jour une petite maison de la rue Vicq-d'Azir. Il participa pour la première fois à une exécution, celle du parricide Lantz.
Anatole Deibler venait de faire tomber sa “première tête”. »
Commence alors pour le jeune homme une carrière pour le moins atypique :
« Pendant quarante ans, il devait accomplir ses macabres fonctions à la moyenne de 25 têtes par an.
La “meilleure année”, si l'on peut dire, fut 1921, où il dirigea 23 exécutions. Il avait atteint à une véritable maîtrise. Il opérait en 30 secondes et — assurait-il — “sans douleur”.
Il touchait un traitement de 18 000 francs par an. “Il n'était pas payé à la tête”, comme certains l'affirmaient ironiquement. »
Parmi ses exécutés les plus célèbres, le tueur de bergers Joseph Vacher, les braqueurs anarchistes de la Bande à Bonnot, ou encore les Chauffeurs de la Drôme, un gang de malfrats du sud-est de la France qui terrorisa la population au début du siècle en suppliciant et dévalisant les habitants de maisons isolées. En quête de sensationnalisme, les journaux assurèrent à Deibler une véritable célébrité.
Mais la popularité d'Anatole Deibler n'est pas liée qu'au nombre impressionnant de ses victimes légales. L'homme incarnait aussi la figure du bourreau moderne, à rebours de l'image de la brute sanguinaire d'antan. Avec son allure de dandy et son air affable, celui qu'on surnommait le « Bourgeois du Point-du-Jour » (il habitait dans le quartier du même nom à Boulogne) détonnait et intriguait.
En 1903, il est ainsi décrit par Gil Blas :
« Au physique, M. le bourreau n'a rien d'antipathique ni de sinistre. [...]
II a le teint frais et fleuri du muscadin, l'œil rêveur du poète qui taquine la Muse (une muse rouge), le front large et haut du penseur, de l'intellectuel, de l'homme qui travaille. »
Quel genre d'existence l'exécuteur en chef de Paris pouvait-il bien mener ?
Paris-Soir raconte :
« Depuis de nombreuses années, Anatole Deibler vivait avec sa femme, sa fille, sa belle-sœur [...] dans un grand pavillon, 39, rue Claude-Terrasse, près de la porte de Saint-Cloud. [...] C'était un homme mince, toujours vêtu de sombre.
La mort de son fils, mort à cinq ans, et la vie traquée de sa fille qui vieillissait sans trouver d'époux, furent les grands chagrins de sa vie.
Ses ressources étaient si modestes que pour subvenir aux besoins de sa famille, Anatole Deibler devait faire le courtier en parfumerie sous un faux nom. Bien des coiffeurs ont plaisanté avec ce singulier courtier en lui passant la commande sans se douter à quel tragique personnage ils s'adressaient. »
Trois ans avant sa mort, le même Paris-Soir lui avait consacré un reportage : « Un mois dans la vie de Deibler, exécuteur des hautes œuvres ». Anatole Deibler y évoquait, à demi-mots, la difficulté d'être bourreau, métier qu’il s’employait alors à banaliser :
« Notre entretien se poursuit, paisible, dans le café d'habitués. Deibler me dit sa peur de la guerre et la tranquillité de son existence. [...]
Puis il éprouve un besoin subit de se justifier.
— Il y a des métiers qui paraissent déshonorants. Mais, dites-moi, si on le les faisait pas, c'est d'autres qui les feraient, hein ? Dites ?
Je prends un air ahuri et je réponds :
— Il n'y a pas de sot métier.
Il faut bien dire quelque chose.
— Parfaitement, parfaitement.
Il me serre la main avec une sorte de frénésie.
— On remet ça, dit-il.
Il rappelle le garçon. On remet ça. »