La lugubre légende de la Dame blanche allemande
En 1899, une vive émotion règne en Allemagne, où l’on parle à voix basse des récentes apparitions de la « Dame blanche ». Ce mystérieux spectre ne s'y montre, d’après la légende, que lorsqu'un événement grave menace la maison régnante de Prusse...
Qui n’a jamais frissonné en entendant la légende de la Dame blanche ? Si en France, de nos jours, elle revêt l’apparence d’une auto-stoppeuse fantôme, elle peut aussi, selon les mythes et croyances, prendre les traits d'une fée, d'une sorcière ou encore d'une lavandière de la nuit…
L'une des toutes premières Dames blanches serait apparue en Allemagne au XVe siècle ; elle aurait dès lors sévi à maintes reprises, annonçant la mort d'un membre de la dynastie ou la survenue d'une catastrophe pour la Prusse.
En 1899, alors que l’Empereur allemand Guillaume II est en proie à des syncopes répétées, Berlin bruisse de rumeurs : la Dame blanche se serait montrée en plusieurs endroits. La légende est si enracinée que l’on cache à l’Empereur ces bruits qui risqueraient d'accélérer sa fin.
Mais qui est donc ce spectre redouté tant par la noblesse que par le peuple ?
Le Petit Parisien fait revivre la vieille légende teutonne :
« D'après un historien berlinois, M. de Minutoli, qui a publié un livre sur cette légende et relaté sérieusement toutes ses apparitions depuis quatre siècles, le fantôme se serait montré pour la première fois en 1486 et serait le spectre d'une certaine comtesse Cunégonde, princesse de Hohenzollern, qui, de son vivant, aurait assassiné ses enfants.
Elle était veuve et avait deux fils qu'elle crut un obstacle à son second mariage avec un seigneur dont elle était éprise.
Une nuit, elle fit périr les pauvres petits en leur enfonçant dans la nuque, pendant leur sommeil, une des épingles d'or qui attachaient ses cheveux.
En punition de ce crime, sa dépouille mortelle ne pourrait rester en repos dans sa tombe. On la verrait errer la nuit dans les châteaux royaux, à la veille de toutes les grandes circonstances. »
Dès lors, la légende se propagea tant et si bien que la Dame blanche fut la source d’une terreur grandissante.
Le Petit Parisien raconte :
« C’est surtout de 1799 à 1802 que les visites de la Dame blanche se multiplièrent. La ville de Berlin était possédée d'une sorte de folie. On prit pour le fantôme tantôt un rideau ou un tapis flottant au vent, tantôt une jupe ou un manteau.
Une certaine nuit, un jeune officier se trouva brusquement nez à nez, dans un corridor du château, avec la Dame blanche. Au lieu de s'enfuir, il la saisit par le bras et reconnut une noble comtesse, qui fut sans doute fort embarrassée pour expliquer sa présence, à pareille heure, hors de son logement.
Une autre fois, le poste de garde fut terrifié en distinguant, au clair de la lune, la Dame blanche se promenant mystérieusement autour d'un bassin ; comme ils étaient en nombre, les vaillants soldats prussiens marchèrent à la découverte et se trouvèrent en présence d'une cuisinière qui, ayant trop chaud dans sa chambre, prenait le frais en léger costume. »
En France, la Dame blanche commença à faire parler d’elle au début du XIXe siècle, au moment de l'occupation de l'Allemagne par les armées françaises.
Comme le rapporte Le Petit Parisien, les Français étaient convaincus qu'elle tentait ainsi d'effrayer les oppresseurs de la patrie germanique – avec succès, puisque Napoléon lui-même en fit les frais :
« On prétendit qu'elle était apparue à Napoléon, lors de son séjour au château de Bayreuth, au début de la fatale campagne de Russie.
L'Empereur, qui était fort superstitieux, vit-il en effet quelque mauvais plaisant qui aurait réussi à s'introduire dans sa chambre, ou fut-il le jouet d'une hallucination ?
Toujours est-il que, revenant dans cette ville l'année suivante, Napoléon refusa d'habiter un château hanté par les esprits et alla se loger dans une maison particulière. »
Il semble que la Dame blanche – du moins sa version allemande – ait été bien utile à quelques meurtriers en chair et en os, comme le pense l’historien cité par Le Petit Parisien.
Ainsi, Philippe de Brandebourg, qui s'était « fait détester de tous ceux qui l'approchaient », mourut dans sa chambre un jour de 1677 alors qu’il venait de croiser la Dame blanche, assise devant sa table, dans son fauteuil. Hypothèse de l’historien : ce prince se trouva inopinément en face d'un meurtrier qui, pour éviter un procès, eut l'idée de se servir de la crédulité publique et mit sur le compte de la Dame blanche une mort obtenue par un procédé fort peu mystérieux.
Et le journaliste du Petit Parisien de conclure :
« Les esprits crédules et avides du merveilleux ne veulent pas cesser de croire au surnaturel.
Quand l'Empereur Guillaume mourra, il se trouvera des Allemands pour attribuer sa fin à la Dame blanche des Hohenzollern, et non à son âge presque séculaire.
La bêtise, elle, est immortelle. »