Les nervis, ces voyous devenus « maîtres de Marseille »
À l'origine simples voyous tapageurs, les nervis ont multiplié les exploits criminels, jusqu'à devenir une figure incontournable du crime à Marseille au début du XXe siècle.
Molester les bourgeois et perturber les réjouissances de la bonne société : tels étaient les passe-temps favoris des nervis de Marseille.
Ils apparaissent vers 1840 et doivent leur nom au nerf de bœuf dont ils se servaient, à l'origine, pour menacer les passants et leur faire le portefeuille.
En 1885, le correspondant à Marseille du journal Le Siècle décrit ainsi ces énergumènes dont les facéties feraient presque sourire :
« Ces vauriens, connus ici sous le nom de nervis, sont le fléau de notre ville.
Permettez-moi de vous les présenter. Le nervi est assez bien vêtu ; il fréquente le théâtre et les cafés-concerts, non pour entendre les œuvres dramatiques ou lyriques, mais pour se jeter brutalement sur ses voisins en criant d’un air à la fois moqueur et piteux : “Eh ! Pousse pas ! Ne poussez pas !”
Si durant la représentation un petit enfant fait entendre un cri, il riposte aussitôt en hurlant : À l’espitaou ! À l’hôpital !
Si quelqu’un tousse dans la salle : À bas lou desseca ! À bas le desséché !
Si quelqu’un éternue : À vos souhaits, coulègun !
Si une personne se tourne pendant l’entracte pour causer, il l’engueule. Si, après le spectacle, il trouve l’occasion d’aiguiser ses bras, son bonheur est complet, surtout s’il peut cogner sur un bossu ou rosser un sergent de ville. [...]
Ce qu’il recherche par dessus tout, c’est le tapage, les horions, les bousculades. [...] Il vole rarement, mais il chaparde, et quand on le prend sur le fait, il répond qu’il voulait plaisanter, jouer un bon tour. »
Jusqu’à la fin du Second Empire, si le nervi est un bien souvent un ouvrier déviant, symbole des inégalités sociales croissantes, il n'est pas encore un malfaiteur. Peu à peu pourtant, de voyous insolents et tapageurs, les nervis s’affirment comme de véritables bandits, de plus en plus organisés.
Leurs faits d’arme, parfois spectaculaires, font régulièrement les choux gras de la presse. Ainsi en 1901, Le Journal rapporte :
« La nuit dernière, une bande de 200 individus environ, appartenant à la catégorie redoutée des Nervis marseillais, sortant d'un bal public donné sur la place d'Aix, se livrait à des scènes de désordre. L'un d'eux fut arrêté par la police et conduit au poste. Un conducteur de tramway nommé Sicard, qui avait prêté main-forte à la police, fut, après le départ des agents, l'objet des insultes et des menaces de la bande.
Pour échapper au danger qui le menaçait, il sauta sur un tramway en marche. Les individus continuèrent à le poursuivre, tirant sur la voiture de nombreux coups de revolver. Une balle atteignit le malheureux conducteur qui fut transporté dans un état grave à l'hôpital. »
La même année, ils sèment la panique dans un bar près de Marseille... avant d'être lynchés par la foule :
« Hier après-midi, les paisibles habitants de la Valentine virent arriver, non sans un certain émoi, une quarantaine de ces individus au visage patibulaire et cynique. Bientôt, tout le petit village fut en émoi et une véritable panique se répandit parmi les habitants. [...]
Les nervis, armés de revolvers, déchargeaient leurs armes dans la direction des gendarmes.
La première émotion passée [...], un vent de colère se mit à souffler sur les habitants, colère bien légitime on en conviendra.
Les nervis furent presque tous blessés plus ou moins grièvement malgré qu'ils se défendissent contre un lynchage auquel ils n'étaient pas habitués.
Des bandes rivales se forment bientôt parmi les nervis et les règlements de compte meurtriers se succèdent. Le Journal s’en fait l’écho en 1903 :
« Il y a deux jours, deux bandes de nervis se rencontrèrent au chemin du Rouet et se livrèrent une bataille rangée.
L’un des combattants fut tué, et il y eut, de part et d'autre, plusieurs blessés, que leurs camarades emportèrent. »
Agressions, proxénétisme, anarchisme, association criminelle... La presse regorge de récits anxiogènes sur ceux que l'on surnomme désormais les « apaches marseillais » (en référence aux voyous qui sévissent au même moment à Paris), et qui font de Marseille une ville traînant une réputation de coupe-gorge.
En 1907, on peut lire dans L'Indépendant rémois cet état des lieux apocalyptique :
« Marseille est devenu une sorte de forêt de Bondy, une forêt de Bondy où, le soir venu, et même en plein jour, de hardis malfaiteurs détroussent, dévalisent et assassinent les promeneurs inoffensifs.
Les nervis sont les maîtres de Marseille. Sous les yeux de la police, impuissante, ils volent et tuent impunément. Ces nervis, nés du croisement de la basse population marseillaise avec les ouvriers italiens et maltais, venus pour travailler sur les ports, constituent pour Marseille un danger permanent. [...]
Ce sont les apaches de Marseille, mais des apaches autrement aventureux que ceux de Paris. »
Durant l'entre-deux-guerres, le grand banditisme marseillais se développera rapidement, entre proxénétisme, jeux illégaux, trafic de drogues et recel de marchandises...
Les nouvelles figures du fameux « Milieu » marseillais ont peu à voir avec la figure du nervi telle qu'apparue au milieu du XIXe siècle ; le terme continuera pourtant à être utilisé pendant un certain temps pour décrire ces malfaiteurs d'un nouveau genre.