La rue de la Grande-Truanderie, coupe-gorge du Paris d'antan
Au cœur du grouillant quartier des Halles, l'une des plus anciennes rues de Paris fut longtemps le théâtre de crimes et méfaits en tout genre.
C’est l’une des plus vieilles rues de Paris — et ce fut longtemps l’une des plus mal famées.
Située dans le premier arrondissement de la capitale, cette voie datant du XIIIe siècle connut une singulière destinée : là, au cœur du quartier des Halles, toutes sortes de personnages peu fréquentables préparaient leurs mauvais coups, attirés par l'argent brassé dans le « ventre de Paris ». Tant et si bien qu’au Moyen Âge, alors même que les noms des rues n'étaient pas encore inscrits sur les murs, tout bon Parisien savait qu’il fallait éviter cette rue coupe-gorge…
En 1875, Le Journal des débats se penche sur sa longue et sombre histoire :
« Truanderie dérive de truander, et truander, dans le vieux langage, était synonyme de gueuser, mendier, filouter, vagabonder, ribauder, etc. Comme on le voit, ce verbe exprimait une action, un état, une profession fort peu honorables.
Les truands fréquentaient, paraît-il, cette rue, et c'est là que furent levés et logés les gens de sac et de corde que Jean de Bourgogne (Jean-sans-Peur) chargea d'assassiner le duc d'Orléans à sa sortie de l'hôtel Barbette. [...]
S'il eût pris fantaisie à un moraliste d'étudier et de publier les mystères de Paris, il est probable que les personnages qui, comme les héros d'Eugène Sue, hantaient les tavernes de la Cité, eussent offert, à l'époque des truands, des caractères autrement accentués dans le crime que ceux de notre siècle. »
« Le jour c'était pittoresque et évocateur, le soir c'est dangereux et sinistre », raconte de son côté Le Figaro dans un article consacré au grouillant quartier des Halles :
« En même temps que s'allume le cadran lumineux de Saint-Eustache, des voyous, des rôdeurs, des inculpés de “vagabondage spécial”, des filles coiffées en oreilles de chien ou lourdement casquées de cheveux noirs, roux ou blonds, à la démarche ondulante, aux yeux effrontés, envahissent ces petites ruelles obscures où ils semblent éviter la lumière des becs de gaz ; de louches débits d'alcool s'emplissent et la godaille commence. »
En 1797, la rue de la Grande-Truanderie est le théâtre d'une « sensationnelle arrestation », nous apprend plus loin Le Figaro. L'infortuné n'est autre que Gracchus Babeuf, le révolutionnaire qui a tenté, un an plus tôt, de renverser le Directoire – son arrestation le mènera droit sur l'échafaud.
« Le 10 mai, on y appréhenda vers onze heures du matin le citoyen Gracchus Babeuf, qui se cachait rue de la Grande Truanderie, n° 21, dans la maison à l'angle de la rue Verderet, après un petit café dont le devant est peint en rouge, chez un tailleur d'habits nommé Tissot.
Depuis longtemps déjà la police du Directoire recherchait Babeuf, inculpé de conspiration contre la sûreté de l'Etat.
Convaincu de la nécessité de réformer une société mal faite, ardent défenseur des anciennes doctrines terroristes, honnête et violent, Babeuf avait groupé autour de lui un certain nombre de révolutionnaires exaltés et préparait obstinément un coup de force contre le gouvernement ;
son refuge avait été habilement choisi au milieu de ce dédale de petites rues aux multiples issues, mais un nommé Grisel ayant dénoncé le complot et livré le secret du gîte de Babeuf, le Directoire avait chargé Dossonville — inspecteur général de police — de se saisir du terrible conspirateur et le citoyen président Carnot avait, de sa propre main, pris soin de tracer à la sanguine le plan du repaire où devait s'opérer l'arrestation. »
Bien que devenue fréquentable au XIXe siècle, la rue de la Grande-Truanderie continuera longtemps d’exciter l’imaginaire parisien. Les feuilletonistes de l'époque ne s’y trompent pas, qui y situent volontiers crimes et cadavres, comme l'ancien policier Albert Bizouard en 1893 :
« Aujourd’hui, le sieur Urbain Rousseau, ouvrier puisatier occupé à réparer le puits qui se trouve dans la cour de la maison portant le numéro 29 de la rue de la Grande-Truanderie, a ramené à la surface de l’eau une jambe humaine paraissant avoir séjourné assez longtemps à cet endroit. [...]
L’ouvrier Rousseau, requis par nous, après une demi-heure de travail, a ramené un nouveau membre que nous avons reconnu être un bras détaché de la partie gauche d’un tronc humain. »
Selon certaines thèses cependant, l'origine du nom de la rue de la Grande-Truanderie ne serait pas liée à son prétendu funeste passé mais au mot d'ancien français « truage », qui signifie « impôt ». En effet, il existait dans la rue un centre où l'on percevait les droits d'entrée de certaines denrées entrant dans Paris.