Écho de presse

« Le crime d'être vieux » ou la misère des retraités dans les années 1930

le 10/06/2022 par Marina Bellot
le 06/06/2022 par Marina Bellot - modifié le 10/06/2022
Un homme âgé sur une berge de Paris, Regards, 3 juin 1937 - source : RetroNews-BnF
Un homme âgé sur une berge de Paris, Regards, 3 juin 1937 - source : RetroNews-BnF

En 1937, tandis que le système des retraites accordées à certains travailleurs âgés s'avère totalement inopérant, le magazine Regards tire la sonnette d'alarme : continuera-t-on à laisser en France « les vieux » mourir de faim ?

En 1937, le magazine Regards dresse un terrible constat

« Des vieux honteux et désespérés de vieillir ;

des vieux chassés de leur emploi, sans le plus petit égard, uniquement parce que vieux ;

des vieux réduits bon gré mal gré à la mendicité, puisque l'aide qu'ils reçoivent leur est donnée au titre de la bienfaisance, ce qui transforme le moindre employé de mairie en bienfaiteur;  

des vieux, enfin, parqués dans des asiles, tels des malades ou des fous, retirés de la circulation comme la Monnaie retire les sous usés à force d'avoir servi. »

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le droit à la retraite est en effet encore loin d'être effectif en France et le vote de la « retraite des vieux », comme on le dit alors, est sans cesse repoussé.

Certes, un premier système de retraite pour travailleurs âgés basé sur le principe de la capitalisation a été organisé en France en 1910 par le ministre Léon Bourgeois. Mais, d’application limitée, il est loin d’être suffisant, comme l'explique la journaliste avec une ironie amère : 

« Les vieux travailleurs, et les vieux qui ne peuvent plus travailler, ont aussi des droits. Par exemple, depuis 1910, ils ont eu droit aux Retraites Ouvrières et Paysannes. Il fallait alors cotiser pendant 30 ans pour toucher, à 60 ans, une rente : une rente de 100 francs par an.

Il convenait donc, pour s'assurer cette mirifique retraite, de n'avoir pas plus de 30 ans lors de la promulgation de la loi, de même qu'il convenait encore de ne pas interrompre les versements, même pour une bagatelle un peu absorbante, comme le fut, par exemple, la guerre de 1914 à 1918. Sans quoi, naturellement, la retraite diminuait d'autant.

Il y a bien eu, depuis, quelques modifications, bonifications et relèvements : mais quand on part de la base que l'on sait, on peut bien modifier et tonifier : il y a peu de chance pour que la retraite arrive à permettre l'achat d'une villa dans le Midi ! »

Manifestation de personnes âgées pour le droit à la retraite, Regards, 3 juin 1937 - source : RetroNews-BnF

La loi du 5 avril 1928 a créé pour tous les salariés une Assurance vieillesse fondée sur le principe de la capitalisation, complétée en avril 1930 par la loi sur les Assurances sociales. Ainsi, l’ensemble des salariés est en théorie couvert contre les risques de maladie, d'invalidité et de vieillesse.

Mais, dans les faits, les Assurances sociales, comme on les nomme à l'époque, sont elles aussi largement insuffisantes pour endiguer la misère des retraités :

« Nées après la guerre, elles se conforment mieux – en principe – à la valeur contemporaine de l'argent, ou coût de la vie. Là où les Retraites Ouvrières et Paysannes comptaient par dix ou par cent francs, elle n'hésitent pas à compter par mille. La retraite-vieillesse des immatriculés sera de 4 000 francs.

Mais attention ! Nous disons bien sera, et non pas est.

Parce qu'il faut aussi 30 ans de versements ; et ce n'est que vers 1960 que les premiers heureux bénéficiaires de la loi les toucheront, ces 4 000 francs.

C'est consolant, n'est-ce pas, pour un brave homme ou pour une brave femme qui compte aujourd'hui une cinquantaine d'années, de se dire que dans quelque vingt-trois ans, d'autres toucheront quatre beaux billets de mille (encore qu'on ne sache guère ce que ça pourra bien valoir, quatre billets, à ce moment-là, et combien de quarts de beurre on pourra s'octroyer avec). »

La « retraite des vieux » prendra véritablement corps dans l’État Français de Pétain à travers la loi de 1941 sur l’allocation aux vieux travailleurs salariés, trois ans avant que la Sécurité sociale fonde un système général de retraite par répartition.