Dans la seconde moitié du XIXe siècle, après les importantes transformations engagées par le baron Haussmann sous le Second Empire, Paris se voit comme une capitale moderne et cosmopolite, une « capitale du monde ». Avec ses expositions universelles, ses lieux de plaisir et sa riche vie culturelle, la ville exerce une attraction irrésistible sur les hommes du monde entier et les Parisiens, dans un premier temps, s’en enorgueillissent.
Pourtant, dès les années 1880, le regard des Parisiens sur ces nouveau arrivants change progressivement, l’hospitalité laissant place à une forme d’hostilité.
L’afflux de visiteurs d’origine étrangère, de plus en plus important dans la capitale, devient une source de tensions et un sujet récurrent dans la presse. Dans les chroniques, la Ville-Lumière de la Belle Époque est désormais régulièrement dépeinte comme un « grand hôtel » envahi par des hommes et femmes venus d’ailleurs.
C’est dans ce contexte que se popularise le mot « rastaquouère », un terme gouailleur et méprisant destiné à railler les étrangers fortunés – et principalement d’Amérique latine – venant profiter de leur argent en France en menant grand train.
Selon le Robert historique de la langue française, le terme aurait pour origine le mot rastacuero (littéralement, « raine cuir »), sobriquet d’Amérique du sud donné aux industriels nouvellement enrichis dans le commerce des cuirs. Et selon l’écrivain Octave Mirbeau, ce serait Léon Duchemin (sous le pseudonyme de Fervacques) qui serait à l’origine de la popularisation du terme « rastaquouère », rapidement entré dans l’argot courant.
La presse de l’époque s’interroge sur ce phénomène et sur la place de ces nouveaux venus qui gravitent dans les sphères de la bonne société française et font désormais partie du paysage parisien. En 1882, c’est avec un profond mépris que le journal conservateur Le Gaulois aborde la question de ces « rastaquouères », comparés à une « lèpre moderne » venue « envahir » Paris :
« Où diable le pauvre Fervacques avait-il pêché le sobriquet raillard de “rastaquouère” qui caractérise de si rude façon la canaille élégante dont Paris – cette auberge hospitalière – est envahie comme par une traînée de vermine.
Le mot n’aura pas les honneurs du dictionnaire académique, mais il sonne bien dans notre langue boulevardière et verveuse, avec son cinglement de cravache et sa méprisante ironie.
Il flétrit à miracle le demi-monde mâle débarqué on ne sait de quels pays aventureux, les gueux sans foi ni loi qui viennent, affublés de noms tapageurs et de couronnes en toc, duper de nouveaux gogos, tenir table ouverte et manger des millions imaginaires au milieu de toute une bohème goulue et famélique – déclassés de lettres et déclassés de finance, – qui s’empiffre tranquillement et tend les deux mains aux aumônes espérées. »