Écho de presse

Les Savoyards de Paris, « peuplade envahissante » selon la presse du XIXe

le 19/10/2020 par Marina Bellot
le 09/08/2019 par Marina Bellot - modifié le 19/10/2020
Carte postale montrant un enfant savoyard ramonant mélancoliquement une cheminée, 1910 - source : WikiCommons
Carte postale montrant un enfant savoyard ramonant mélancoliquement une cheminée, 1910 - source : WikiCommons

Considérés comme des parias jusqu'à ce que la Savoie devienne française en 1860, les Savoyards de Paris connaissent une intégration difficile dans la capitale, à l'instar des Bretons ou des premiers Auvergnats.

« Des étrangers, les Savoyards, inondent la capitale. Cette peuplade envahissante porte un grand préjudice au pays. Ne serait-il pas temps d’y mettre un terme et d’arrêter ce torrent qui déborde sur la France ? » 

Ce texte d’une affiche, récemment retrouvé par l’Académie salésienne, et placardée sur les murs de Paris dans les années 1850, en dit long sur le climat de l’époque dans la capitale, dix ans avant que la Savoie devienne française. Signé laconiquement « Un ouvrier » , ce texte déplore avec véhémence la présence de ces expatriés qui « enlèveraient » le pain de la bouche aux Parisiens.

L’émigration savoyarde n’est alors pas un phénomène nouveau : dès le Moyen Âge, les habitants du duché de Savoie rejoignent Paris en nombre pendant les mois d'hiver, lorsque la rudesse du climat de leur pays empêche toute activité agricole. Peu à peu, certains s'y installent définitivement.

En 1852, Le Courrier de Bourges se fait l'écho de ce phénomène, encore accentué par l'amélioration des moyens de communication : 

« [...] Les Inversables sont remplis de ces habitants de la Savoie qui, profitant de la facilité des communications, se rendent par colonies dans la capitale de la France.

Une fois les travaux des champs à peu près achevés dans leur pays, ce qu’il y a de valide dans les familles se dirige sur Paris pour s’y utiliser pendant l’hiver. Tout est embarqué, jusqu’aux enfants.

Dès leur arrivée à Paris, ces laborieux habitants de la Savoie se placent comme domestiques, porteurs d’eau, commissionnaires, etc. Quand le printemps revient, ils regagnent leurs montagnes avec leur petit pécule ; mais il en reste toujours quelques-uns qui réussissent et font tôt ou tard fortune. »

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Le surnom de ceux qui, souvent, attendent l'embauche au coin des rues, est vite trouvé : « gagne-deniers ».

Pour venir en aide à leurs compatriotes, la Société philanthropique savoisienne de Paris, considérée comme la plus ancienne institution d'entraide et de patronage des émigrés de la capitale, est fondée par quelque 150 Savoyards de Paris dès 1833. « C'étaient des hommes énergiques, hardis, probes et sensés ; leurs qualités, selon le mot d'un de leurs compatriotes, avaient la solidité du granit », racontera cent ans plus tard Le Journal.

Les enfants, souvent employés aux travaux de ramonage, font l'objet d'une attention particulière. Ému par leur sort, Voltaire les fera passer à la postérité avec ces vers, comme le rapporte La Gazette de France en 1895 :

«​ “Ces honnêtes enfants,

Qui de Savoie arrivent tous les ans

Et dont la main légèrement essuie

Les longs canaux engorgés par la suie.”

Ils ont perdu ce monopole, depuis que Voltaire les chantait en ces vers [...]. Mais ils nous arrivent encore par centaines et forment une intéressante petite colonie, qui est l’objet d’une surveillance philanthropique attentive. »

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les exilés savoyards exercent une multitude de petits métiers, comme le rapporte également Le Journal en 1933. Celui-ci estime qu’ils sont alors 60 000 à gagner leur vie à Paris :

«​ Les Savoyards de Paris, qui étaient 30 000 au milieu du siècle dernier, sont actuellement 60 000. On ne compte pas moins de 59 sociétés savoisiennes dans la capitale. Mais la plus ancienne de toutes, c'est toujours la Philanthropique, qui est en même temps la doyenne de nos sociétés provinciales et qui n'a cessé, depuis sa fondation, de prospérer et de travailler utilement. [...]

Les Savoyards de Paris [...] déploient dans la capitale, depuis plus de deux siècles, une activité parfois modeste, mais toujours utile.

Et puis, n'était-ce pas une occasion d'évoquer tous ces disparus d'origine savoyarde, qui furent en leur temps des figures très parisiennes : le colporteur, le commissionnaire, le porteur d'eau, le décrotteur, le crocheteur, le frotteur, le joueur de vielle, le montreur de marmottes, le rémouleur, le cocher de fiacre ? Sans oublier les petits ramoneurs d'antan, dont Voltaire faisait déjà cet éloge, en les comparant aux beaux esprits de son époque. »

Leur sort s'améliorera au fil des décennies suivantes, à mesure de leur intégration dans la capitale : 

« La colonie savoyarde de Paris est aujourd'hui assez différente de ce qu'elle était au siècle dernier. Jadis, les gens de Moutiers, ceux de Saint-Jean-de-Maurienne ou ceux de Sallanches quittaient le pays natal en caravane puis se groupaient dans un même quartier de Paris, et n'y avaient pas davantage de rapports avec les émigrés des autres cantons qu'il n'en existait dans leur province, de vallée à vallée.

Ce particularisme s'est, évidemment, atténué. Inutile de dire, d'autre part, que les Savoyards ne sont plus uniquement voués à de modestes emplois. Sans parler des célébrités nationales que nous devons à la Savoie. [...] Nous pourrions citer des centaines de Savoyards qui occupent à Paris des situations de premier plan.

Il est toutefois à noter que l'élément savoyard continue de prédominer dans certaines professions : chauffeurs de taxis, garçon de recettes, personnel des grands hôtels. »

À partir des années 1960, « l'or blanc » révolutionnera l'économie de la région avec le développement de stations de ski de plus en plus touristiques, freinant l'exode des Savoyards et favorisant le retour au pays d'une partie de ceux qui s'étaient exilés. 

Pour en savoir plus : 

Gilbert Maistre, « Les anciennes migrations savoyardes », in: Hommes & Migrations, 1993