17 août 1893 : le massacre des Italiens à Aigues-Mortes
Les 16 et 17 août 1893, dans un contexte de forte immigration qui exacerbe la xénophobie en France, des travailleurs italiens sont massacrés par des ouvriers français à Aigues-Mortes. Revue de presse.
Le 18 août 1893, dans Le Journal, les télégrammes évoquent des « rixes sanglantes entre Français et Italiens » à Aigues-Mortes :
« La rixe sanglante qui a eu lieu mardi soir, entre Français et Italiens s'est produite aux Salines de Peccais, qui occupent 800 ouvriers. Il y a eu quatre morts et plusieurs blessés. Un détachement du 163e de ligne et plusieurs brigades de gendarmerie [...] sont arrivés dans la nuit pour maintenir l'ordre. [...]
Les lits de l'hôpital sont tous occupés par les morts ou les blessés. Une vive agitation règne dans Aigues-Mortes où tous les magasins sont fermés.
Cette journée de troubles a été une vraie chasse à l'homme, qui ne s'est arrêtée que grâce à l'arrivée des troupes. »
Et la dépêche de conclure laconiquement : « les morts et les blessés sont tous des Italiens.»
Dans son numéro du lendemain, Le Journal revient sur le contexte des troubles :
« Les bagarres qui se sont produites hier et avant-hier [...] ont été causées par le refus d'embauchage de la Compagnie des Salins de Mourgues qui, lorsque les ouvriers français se sont présentés pour exécuter, comme il le font chaque année à cette époque, des travaux de lavage, a répondu qu'on ne pouvait les recevoir.
La Compagnie attendait 600 Italiens qui devaient travailler à des prix inférieurs. 150 ouvriers sur 800 ont seulement été admis. »
À leur arrivée, les Italiens « qui, de leur côté, se considéraient comme engagés » décidèrent de s'attaquer aux ouvriers français « à coup de pierre et de pelle américaine ». Selon Le Journal, c'est le massacre de 150 Français qui aurait été évité de justesse ce jour-là grâce à l'arrivée de la gendarmerie. C'est donc finalement par vengeance que les ouvriers français, « affolés, furieux », attaquent à leur tour leurs « agresseurs italiens ».
La même information revient dans Le XIXe siècle du 19 août, qui replace l'agitation dans le contexte d'une tension grandissante ; la colère grondait déjà depuis quelques temps :
« La compagnie embauche autant que possible des Italiens et, au fur et à mesure, renvoie les ouvriers français qui ne peuvent pas accepter un salaire insignifiant pour un travail pénible.
Cet état de choses avait depuis longtemps soulevé un mécontentement très vif chez les ouvriers français. Hier, les esprits étaient plus vivement surexcités. »
Si un « calme relatif » s'établit le soir du 16 août après les premières tensions, la journée du 17 annonce une véritable traque :
« Des ouvriers français se groupaient à Aigues-Mortes et, après avoir battu le rappel, se dirigeaient au nombre de 250 environ vers Fangousse. [...]
Les Italiens se réfugiaient dans une boulangerie qui fut aussitôt assiégée et prise d'assaut. Une bagarre épouvantable se produisit alors. Les Italiens furent assaillis à coups de bâtons et de fourches ; une dizaine tombèrent tués, autant grièvement blessés.
Les autres s'enfuirent dans la campagne et dans la ville, mais furent poursuivis et un grand nombre blessés. »
Et le journal de rapporter la dépêche de l'agence Havas du 17 août :
« L'opinion générale est que, en dehors des 10 morts et des 40 blessés qui sont à l'hospice Saint-Louis, il y a encore des morts et des blessés dans les marais, que l'on ne retrouvera que demain. »
Le 18 août justement, les faits tels qu'ils ont été rapportés sont confirmés, et on peut lire dans Le Figaro du 19 que « les premiers résultats de l'enquête ouverte par le parquet sur les incidents d'hier et d'avant-hier semblent établir que les provocations viennent des ouvriers italiens ». Face à la flambée de violence qui s'est emparée de sa ville, les journaux diffusent l'intervention du maire d'Aigues-Mortes qui annonce que « tout travail est retiré par la Compagnie aux sujets de nationalité italienne et que dès demain les divers chantiers s'ouvriront pour les ouvriers qui se présenteront », avant d'appeler la population au calme et au maintien de l'ordre.
Tandis que la situation s'apaise, la presse française se tourne vers l'Italie pour s'intéresser à la couverture de l'événement. Le Soleil souligne notamment que le journal italien « La Riforma blâme les journaux français qui réduisent les faits d'Aigues-Mortes à une question de concurrence », et La Justice du 20 août résume :
« Toute la presse italienne s'occupe des troubles d'Aigues-Mortes. [...]
Nous ne doutons pas, dit le Diritto, que des voix nombreuses et autorisées réclameront en France une punition exemplaire des coupables pour éviter de compromettre les bonnes relations des deux pays. C'est le devoir d'une nation civilisée et d'un pays républicain où le travail est libre. [...]
Le Folchetto déclare que les actes commis à Aigues-Mortes sont indignes de notre siècle. Ce journal, comme la Tribuna et le Popolo Romano, a confiance dans la justice de la France, qui saura établir les responsabilités et assurer la protection des étrangers. »
Tandis que La Cocarde du 21 août se fait l’écho de « manifestations francophobes à Rome » aux abords du palais Farnèse où se trouve l'ambassade de France.
Le 23 août, Le Journal des débats politiques et littéraires annonce que « le calme est rétabli complètement à Aiguesmortes [sic] » avant de décrire la tâche des ouvriers - français - qui ont repris le travail. Sur le bilan de l'événement, le journal rapporte l'arrestation de « sept individus signalés comme gravement compromis dans l'émeute », et fixe la liste officielle des victimes italiennes à sept morts et trente-quatre blessés ; cette évaluation n'a cessé de fluctuer au fil des témoignages et des rapports officiels.
L'affaire fait de nouveau parler d'elle en décembre 1893, à l'occasion du procès retranscrit par la presse. Le 31 décembre, La Lanterne annonce le résultat de la délibération :
« Les débats de l'affaire d'Aigues-Mortes se sont terminés hier par l'acquittement général des accusés. Ce verdict n'a pas été sans produire une assez vive sensation. »