1896 : Le puissant plaidoyer de Zola pour les animaux
C’est l’un des auteurs français les plus lus dans le monde. Journaliste prolixe, maître du naturalisme, écrivain engagé qui n’hésita pas à prendre la défense du capitaine Dreyfus, Émile Zola a pourtant une facette méconnue : il était aussi un ardent défenseur des animaux de tout poil.
En 1896 – deux ans avant la publication de son célèbre « J'accuse » – Zola publie en une du Figaro un long texte en forme de déclaration d’amour aux animaux. Simplement intitulé « L'amour des bêtes », le texte s'ouvre sur une série d'interrogations :
« Pourquoi la rencontre d'un chien perdu, dans une de nos rues tumultueuses, me donne-t-elle une secousse au cœur ? [...] Pourquoi la souffrance d'une bête me bouleverse-t-elle ainsi ?
Pourquoi ne puis-je supporter l'idée qu'une bête souffre, au point de me relever la nuit, l'hiver, pour m'assurer que mon chat a bien sa tasse d'eau ?
Pourquoi toutes les bêtes de la création sont-elles mes petites parentes, pourquoi leur idée seule m'emplit-elle de miséricorde, de tolérance, et de tendresse ?
Pourquoi les bêtes sont-elles toutes de ma famille, comme les hommes, autant que les hommes ? »
Pourquoi aime-t-on, hait-on ou néglige-t-on les bêtes ? « Je suis surpris que personne n'ait jamais tenté d'étudier la question », écrit-il. Car, selon lui, « le problème est lié à toutes sortes de questions graves, remuant en nous le fond même de notre propre humanité ».
Intrigué, l’écrivain naturaliste, dont on connaît la justesse des analyses des passions humaines, tente donc de comprendre cet amour aussi puissant qu’apparemment mystérieux :
« Pour moi, lorsque je m'interroge, je crois bien que ma charité pour les bêtes est faite, comme je le disais, de ce qu'elles ne peuvent parler, expliquer leurs besoins, indiquer leurs maux.
Une créature qui souffre et qui n'a aucun moyen de nous faire entendre comment et pourquoi elle souffre, n'est-ce pas affreux, n'est-ce pas angoissant ? »
Émile Zola raconte alors son histoire malheureuse avec Fanfan, un « petit chien fou » dont une lésion au cerveau provoquait de violentes crises et causait à Zola tourments et angoisses : « Quand sa folie circulante le prenait, il tournait, il tournait sans fin. Un démon le possédait, je l'entendais tourner pendant des heures autour de ma table ».
Les mentalités de l’époque commencent, certes, à se préoccuper de la cause des bêtes et à punir la maltraitance (la première loi en faveur de la protection animale date de 1850), mais posséder un animal domestique reste peu courant et s’émouvoir du sort des animaux n'est pas loin de passer pour une sensiblerie suspecte, comme le relève Zola :
« Oui, pourquoi m'être attaché si profondément au petit chien fou ? Pourquoi avoir fraternisé avec lui comme on fraternise avec un être humain ? Pourquoi l'avoir pleuré comme on pleure une créature chère ? N'est-ce donc que l'insatiable tendresse que je sens en moi pour tout ce qui vit et tout ce qui souffre, une fraternité de souffrance, une charité qui me pousse vers les plus humbles et les plus déshérités ? »
En utopiste assumé, Émile Zola se laisse aller à rêver à une humanité juste envers les animaux et, peut-être, réconciliée avec elle-même :
« Les bêtes n'ont pas encore de patrie. Il n'y a pas encore des chiens allemands, des chiens italiens et des chiens français. Il n'y a partout que des chiens qui souffrent quand on leur allonge des coups de canne.
Alors, est-ce qu'on ne pourrait pas, de nation à nation, commencer par tomber d'accord sur l'amour qu'on doit aux bêtes ? De cet amour universel des bêtes, par dessus les frontières, peut-être en arriverait-on à l'universel amour des hommes. »