Paris, capitale emblématique de l'architecture Art déco
Le palais de la Porte-Dorée, le cinéma Le Grand Rex, la piscine Molitor ou encore la façade des Folies-Bergère : autant de réalisations parisiennes représentatives d'un mouvement esthétique marqué par l'épure et la géométrie, typiques de l'après-Première Guerre.
Architecture, beaux-arts, décoration, mobilier, mode, cinéma... Style emblématique des « Années folles », l'Art Déco a essaimé dans nombre de domaines visuels. Luxueux voire élitiste, il s'illustre, après les horreurs de la Première Guerre mondiale, par une aspiration à la modernité et par la volonté de se projeter dans un futur plus heureux.
L'Art déco connaît son apogée en 1925, avec l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels, qui se tient à Paris. On parle alors plutôt de « style 1925 », le terme d' « Arts déco » n'apparaissant que rétrospectivement, à la fin des années 60.
C'est aussi dans la capitale française que vont s'élever certaines des réalisations architecturales les plus importantes d'un courant aussi éclectique que difficile à définir avec précision, mais qui à la même époque; s'illustre dans le monde entier, de la Belgique aux États-Unis en passant par l'Inde, la Chine ou le Japon.
Géométrique, dynamique et épuré (en réaction notamment à l'exubérance et aux arabesques de l'Art nouveau), le style Art Déco est en réalité déjà en germe dans un bâtiment comme le théâtre des Champs-Élysées, inauguré en 1913 avenue Montaigne. Imaginé par Auguste Perret, avec des bas-reliefs d'Antoine Bourdelle, l'édifice présente plusieurs caractéristiques qui deviendront ensuite emblématiques du mouvement : l'usage du béton, l'organisation symétrique de la façade, une certaine monumentalité.
Une architecture dont l'audacieuse modernité est remarquée par les visiteurs de 1913. Le 16 mai, la prestigieuse revue littéraire Le Mercure de France fait cette description mi-critique, mi-enthousiaste du théâtre :
« L’édifice que M. Gabriel Astruc baptisa Théâtre des Champs-Elysées, sans doute parce qu’il se dresse Avenue Montaigne, est une construction modern-style dont l’extérieur, avec son parti-pris de lignes droites et ses vomitoires écrasés, fait un peu l’impression d’une gigantesque cage à mouches ; et cependant ce n’est tout de même pas mal du tout dans sa rigidité volontaire [...].
Le gris des marbres et l’amaranthe des tentures forment un harmonieux contraste. C’est cossu, simple et de haut goût. Sans doute, tout cela semble peut-être encore un peu trop neuf, mais le temps se chargera, comme ailleurs, des atténuations nécessaires. »
Mais c'est véritablement au cours des années 1920 que l'Art déco prend son essor dans la capitale, avec des édifices comme le théâtre de la Michodière, signé en 1925 par l'architecte Auguste Bluysen et décoré en rouge et or par le célèbre designer Jacques-Emile Ruhlmann. Ou le « Studio Building », un immeuble de rapport construit en 1927 dans le 16e arrondissement par Henri Sauvage.
En 1927 encore, c'est l'inauguration de la salle Pleyel, rue du Faubourg Saint-Honoré, à la façade blanche et noire et à l'intérieur typiquement Art déco – une salle à l'acoustique alors considérée comme révolutionnaire, et qui deviendra un passage obligé de la scène musicale mondiale. La Revue politique et littéraire la découvrait en décembre 1927 :
« En forme d'immense cornet avec son plafond doré, (devant tant d’or, on évoque St-Marc de Venise !), son tapis sombre, son éclairage tamisé et seyant, ce cadre a vraiment de l’allure. On sent que la musique y sera traitée avec respect, avec amour, enfin comme il se doit. »
En 1928, le théâtre des Folies-Bergère, haut lieu du divertissement parisien situé dans le 9e arrondissement, est totalement rénové. Sa nouvelle façade (qui sera dorée lors de sa rénovation en 2012) est due à Maurice Pico : elle représente en son centre la danseuse russe Lila Nikolska. En janvier 1928, L'Intransigeant s'enthousiasmait devant cette transformation « ultra-moderne » du célèbre bâtiment :
« C’est dans une salle complètement transformée que la prochaine revue des Folies-Bergère sera représentée. Déjà, la façade avec son large motif de danse traité dans une note ultra-moderne par le jeune sculpteur Pico donne au passant une idée de la physionomie neuve que M. Paul Derval a voulu donner à son établissement [...].
Frises décoratives exécutées par le jeune sculpteur Pico, pour le bar des Folies-Bergère. On y remarquera quelques masques parisiens bien connus, de même que l’on reconnaîtra la danseuse Lila Nicolska dans le large motif décoratif de la façade de ce music-hall et dans la composition qui orne la coupole de la salle. »
Autre construction emblématique des Années folles, la piscine Molitor, dessinée par Lucien Pollet, et dont les hublots évoquent le style « paquebot », ouvre ses portes dans le 16e arrondissement en 1929.
Mais c'est en 1931 qu'est inauguré ce qui demeure sans doute l'édifice Art déco le plus significatif de la capitale : le palais de la Porte-Dorée, avenue Daumesnil (12e arrondissement). Construit à l'occasion de l'Exposition coloniale, il est bâti en 18 mois par l'architecte Albert Laprade. Si les bas-reliefs et la façade, qui mettent en avant les possessions de l'empire français, portent le discours colonialiste de l'Exposition, le mobilier et la décoration intérieure sont l’œuvre des grands noms de l'époque : Jacques-Emile Ruhlmann, Eugène Printz, Jean Dunand, Edgar Brandt ou encore Jean Prouvé (qui signe la grille d'entrée).
Le Figaro faisait une visite émerveillée des lieux en février 1931 :
« A l'intérieur, par un contraste calculé, mais non forcé, la ligne droite règne, cette ligue droite nue, dont il a trop souvent fallu dénoncer les excès, monotones, mais qui enfin a toujours été essentielle dans l'architecture, puisque c'est elle qui termine et circonscrit les masses, et dont il faut avouer aussi qu'elle a de quoi plaire, jusque dans sa rigueur, à l'esprit contemporain.
Il faut évidemment - comme c'est le cas - que les masses soient heureuses et qu'elles aient au besoin recours à la couleur, pour éviter la misère. Il faut aussi que la ligne droite qui les définit ne devienne pas à son tour un dogme exclusif et qu'elle sache s'orner ou céder la place à une ondulation qu'elle souligne.
Tous ces mérites que j'indique sommairement distinguent la grande salle du palais des Colonies, avec son délicieux plafond, comme la belle crypte où vous verrez s'illuminer dans une cuve (réminiscence du tombeau de Napoléon) une image de l'univers. »
Classé monument historique en 1987, le palais abrite désormais la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.
Dans les années suivantes, d'autres édifices Art Déco voient le jour, tels l'immense cinéma Le Grand Rex, bâti sur les grands boulevards en 1932, qui s'inspire du Radio City Music Hall de New York. L'Echo de Paris, parmi d'autres, salua cette construction qui marquait d'après lui l'entrée dans une « ère nouvelle » :
« Or, à dater de décembre, une ère nouvelle va s'ouvrir : l'ère Rex. Boulevard Poissonnière, un puissant phare immobilise tous les regards. Ce phare éclaire la chose la plus étonnante qui soit dans le domaine du spectacle : le Théâtre-Cinéma “Rex”.
Il est extrêmement difficile de faire comprendre à qui ne l'a point vue ce qu'est cette salle. Elle est la première de ce genre dons l'univers entier. C'est quelque chose d'autre que ce que nous avons toujours connu ; c'est inattendu, déconcertant et splendide [...]. Qu'il sait appelé à une nombreuse lignée d'imitations, ce n'est point douteux ; mais il aura la gloire d'avoir été le premier, et de n'être qu'imité. »
Il faut encore citer l'austère palais de Chaillot et ses deux pavillons néo-classiques, construits sur l'esplanade du Trocadéro en 1937, et le monumental palais des Musées d'art moderne (aujourd'hui palais de Tokyo), édifié la même année.
Ces réalisations tardives s'inscrivent toutefois dans les dernières années d'existence de la nébuleuse Art déco, laquelle prendra fin avec la Seconde Guerre mondiale.
Le « style 1925 » eut une influence considérable sur l'histoire de l'architecture du XXe siècle. Mais il eut aussi ses détracteurs. L'architecte Le Corbusier, principal représentant du Mouvement moderne, un courant plus soucieux des réalités sociales que ne l'était l'Art déco, expliquait par exemple à L'Intransigeant en 1930, à propos de l'Exposition de 1925 :
« Les Arts Décoratifs ? Ah ! parlons-en. Ce fut une démonstration organisée au pied levé en faisant appel à une masse d'architectes à qui furent confiées des tâches considérables. Ces architectes, quittant brusquement les styles connus et académiques, tombèrent dans la mésaventure de créer dans la hâte un style nouveau […].
Mon Dieu, tout cela aurait dû rester un événement sans périlleux lendemain […]. »
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Pour en savoir plus :
1925, quand l'Art déco séduit le monde, catalogue de l'exposition à la Cité de l'architecture du patrimoine, éditions Norma, 2013
Franziska Bolz, Art déco, Place des victoires, 2017
Jean-Marc Larbordière, Paris Art déco, Charles Massin, 2008