Les gardiens de phare, « héros obscurs et oubliés »
Dans la première moitié du XXe siècle, les gardiens de phare réclament une amélioration de leur traitement. La presse s'intéresse à leurs difficiles conditions de travail.
Au début du XXe siècle, le métier immémorial de gardien de phare se professionnalise peu à peu. Ces fonctionnaires exercent une tâche des plus difficiles, voire très dangereuse pour ceux qui l'effectuent en pleine mer. Aussi vont-ils à plusieurs reprises demander une amélioration de leur traitement.
Le Petit Marseillais interviewe l'un d'eux en mars 1913. Il parle de ses conditions de travail :
« Même en temps normal, imaginez ce qu'est notre existence dans les tours humides où nous vivons sans distraction, sans plaisir. Le travail est notre seul divertissement, si l'on peut dire ! Il est divisé en deux quarts : le premier, de 4 heures du soir à minuit, le second, de minuit à 7 heures du matin. Dans la journée, nous devons faire la propreté des cuivres et de la lanterne...
Et dans certains phares les gardiens travaillent jusqu’à quatorze heures par jour... »
Le gardien interrogé réclame, outre une amélioration du salaire, l'installation de téléphones sous-marins pour signaler à la côte les navires en détresse.
« Et puis, les gardiens de phares isolés vivent sur leurs îlots avec leur famille. Qu’il y ait un malade en danger, le téléphone permettrait d’appeler du secours... sinon il mourra faute de soins !...
Mais avant de penser à mourir, il faut songer à vivre. Notre situation est précaire. Nos revendications sont faibles. Notre nombre est si restreint que l'effort à faire ne serait pas grand... »
Dans la presse, leur métier est souvent glorifié, comme dans L'Ouest-Éclair qui rend hommage en septembre 1925 à ces « héros obscurs et oubliés » :
« On classe les agents des phares en deux catégories : les gardiens des phares isolés en mer et les gardiens de phare à terre. On a peine à s'imaginer la vie d'abnégation que mènent les gardiens de la première catégorie, modestes serviteurs dans un phare isolé entre le ciel et l'eau, sans communication avec la terre ferme. »
Les phares en mer sont tellement isolés qu'on les appelle « les enfers » – les « purgatoires » étant les phares placés sur une île, et les « paradis » ceux sur le continent.
« Les phares en mer sont ravitaillés tous les dix ou quinze jours, suivant les lieux, quand l'état de la mer et du temps le permet. Comme personnel, ils sont trois ou quatre gardiens dans le même phare, dont un est à terre et qu'on change à chaque ravitaillement. Le gardien fait donc trente jours de phare et vient passer dix jours à terre – pendant la belle saison.
Mais en hiver, quand le vent hurle, quand la mer en furie passe par dessus la coupole du phare et le secoue à tel point que des gouttes de mercure sautent dans la cuve où flotte l'appareil d'éclairage, le ravitaillement est alors impossible. Le gardien est alors enfermé dans son phare comme un escargot dans sa coquille et il reste jusqu'à cinquante et même soixante jours sans être ravitaillé.
Que mange-t-il pendant ce temps ? du biscuit et des salaisons : lard ou poisson salé, les conserves n'étant pas à la portée de sa bourse. »
En mars 1926, La Presse renchérit :
« Il semble qu'une telle existence ne saurait convenir qu'à des misanthropes [...]. Mais les gardiens de phares ne sont pas tous des misanthropes. Ce sont simplement de braves gens qui, pour un modeste salaire – le plus modeste qui soit dans le prolétariat contemporain – accomplissent leur rude devoir, acceptent stoïquement leur destinée. C'est le dévouement discret dont on ne parle jamais, l'héroïsme obscur et méconnu qui ne récolte aucune récompense, aucun honneur, et grâce auquel le monde continue. »
Le Journal évoque en 1929 l'existence courageuse du gardien d'Ar-Men, en Bretagne :
« D'un côté, la vie que l'on sait.
De l'autre, quelles joies ? Aucune.
Rigoureusement aucune.
Un gardien d'Ar-Men, le plus isolé, le plus pénible, le plus infernal, le mieux payé des phares, gagne en totalisant ses appointements et ses diverses indemnités, mille dix-sept francs par mois. Il doit acheter sa nourriture et ses vivres de réserve. »
Des photos apparaissent régulièrement, illustrant par exemple le ravitaillement complexe des phares ou bien les Noëls en mer des gardiens.
En 1932, plusieurs articles signalent que les gardiens de phare se sont réunis en congrès. La Gazette de Biarritz recense leurs revendications :
« Le repos dans les phares en mer, le tabac d’exportation pour les gardiens de ces phares, qui leur est jusqu'ici refusé, alors qu’il est toléré à tout pêcheur en dehors d'une certaine zone, au large ; […] le vote par procuration des gardiens de phare en mer ; l’assimilation des gardiens aux traitements de toutes les autres catégories de petits fonctionnaires, sans faire entrer les indemnités en ligne de compte [...]. »
Tandis que L'Ouest-Éclair en profite pour rappeler que pour nombre d'entre eux, « c'est parmi les marins bretons que se recrute la race courageuse des gardiens de phare ».
« L'Administration a […] été bien inspirée en ne confiant qu'à des rudes marins de chez nous, des gars solides de Sein, d'Ouessant, de Plogoff ou du Cap, les postes de dure vigie de notre côte tourmentée. Quand ceux-là sont de garde, les navigateurs peuvent voguer tranquilles. Jamais Breton n'a failli.
Armor, jamais trahison
N'a maculé ton blason. »
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, le métier va peu à peu disparaître. En 1991, l’État français arrête de former des électromécaniciens de phare. Il ne reste plus qu'un gardien de phare permanent en France. Il s'appelle Henri Richard, a 64 ans et est en mission au phare du Cap Fréhel.