Écho de presse

« L'Enfer des Bêtes », première contestation des souffrances animales

le 10/08/2021 par Marina Bellot
le 06/08/2021 par Marina Bellot - modifié le 10/08/2021
Abattoir, La Villette, 1908, 19e arrondissement ; Agence Rol - Source : Gallica-BnF

Dès le début du XXe siècle, les maltraitances animales sont dénoncées comme une barbarie d'un autre siècle. 

Au début du XXe siècle, la souffrance animale et ses répercussions sur l'alimentation de l'homme sont connues et documentées.

En 1914, la décision du conseil municipal de s’occuper enfin de la réhabilitation des abattoirs de la Villette « absolument indignes d'une capitale », est l’occasion pour Le Petit Journal de revenir dans un long papier documenté, sur la souffrance animale à travers les époques.

« L'importante question d'hygiène publique qu'est la question des abattoirs préoccupa moins encore nos aïeux que les Français d'à présent. La grande cause de leur indifférence en cette matière était leur parfaite insensibilité en face de la souffrance des bêtes.

Ces Parisiens d'autrefois, qui prenaient plaisir à aller à chaque fête de la Saint Jean voir brûler vifs de malheureux chats qu'on jetait dans le bûcher de la place de Grève, ou qui, aux cabarets de la barrière du Combat, s'amusaient à contempler le martyre d'un pauvre âne sur lequel on lançait des molosses affamés, ces Parisiens-là s'inquiétaient fort peu de voir les animaux destinés à leur alimentation égorgés en pleine rue, devant la porte des bouchers. Ceci vous explique qu'il n'y a pas même cent ans que Paris possède des abattoirs. »

L'auteur se livre ensuite à une comparaison des abattoirs français et étrangers, mettant en lumière une exception française peu flatteuse :

« Tous ceux qui connaissent les abattoirs de la Villette et ont visité également certains abattoirs de l'étranger, notamment ceux d'Allemagne, vous diront que nous sommes, en ce qui concerne ces sortes d'établissements, dans un état de pitoyable infériorité vis-à-vis de nos voisins. Ils vous diront encore qu'à l'étranger on s'ingénie surtout à éviter à l'animal, qui doit être sacrifié pour l'alimentation, les fatigues et les souffrances inutiles. On sait que, selon l'expression de M. Jules Bluzet, l'auteur d'un excellent ouvrage sur L’Enfer des Bêtes, on sait que « le muscle qui travaille, la chair qui souffre et qui brûle, la blessure ouverte, sécrètent instantanément des poisons violents (leucine, xanthine, créatinine, etc.). Or, ces poisons restent dans la viande qui arrive sur nos tables. Nous les mangeons en toute confiance, sans nous douter que nous avalons à la fois des toxines redoutables et des masses de germes infectieux. Car, à la faveur du surmenage, tous les microbes se mettent à pulluler chez l'animal. »

Voilà pourquoi, en Allemagne, on ne surmène pas l'animal qui doit mourir ; on ne le frappe pas, on ne cesse pas de le nourrir et de l'abreuver. On laisse même reposer les bêtes quelques jours avant de les abattre. La qualité de la viande y gagne. Au contraire, allez donc voir dans nos abattoirs comment on traite les bêtes destinées à l'alimentation. Vous serez édifiés et vous comprendrez pourquoi nous mangeons tant de mauvaise viande. Nous avons, hélas ! supprimé maintes et maintes bonnes traditions du passé. Pourquoi diable avons-nous si précieusement conservé la plus mauvaise de toutes : l'insensibilité de nos pères devant la souffrance des animaux ? »

Un an plus tôt, L'Enfer des Bêtes, ouvrage précurseur dans lequel l'auteur recense les sévices infligés aux animaux, a frappé les esprits... Sans faire évoluer les mentalités.

Sur les conditions d'élevage et d'abattage, le constat est d'une surprenante actualité :

« À l’abattoir, c’est horrible. On sort la bête de l’écurie d’où, pendant de longues heures, elle a entendu les cris d’agonie des égorgés. On la pousse à coups de bâtons, on la tire avec une corde passée à ses cornes, on l’entrave ; la voici dans le box sanglant. La corde qui enserre les cornes est passée dans l’anneau scellé au sol. On tire pour que le mufle s’abaisse vers la pierre. La bête résiste. À la volée, le « bourreau » projette sa masse de fonte. Il touche où il peut, sur les naseaux, sur l’œil, sur les cornes. Il faut 15, 20 coups parfois pour finir la bête. Il arrive qu’au bout d’un certain nombre de coups maladroits, l’hémorragie qui se fait entre l'os et le front forme comme un tampon élastique. On a beau frapper, la commotion n’atteint plus le cerveau et l’animal résiste plus que jamais. Alors on lui fait perdre pied avec des cordes et, une fois renversé, pendu par les 4 pattes, on l’égorge. On a calculé qu’un porc recevait, depuis le départ de la foire jusqu’à l’abattoir, 165 coups de bâton. Dans les petits abattoirs, jamais le porc n’est assommé avant la saignée ; aussi pendant 1/4 d'heure, on peut entendre les hurlements affreux de la bête suppliciée. »

Et l'auteur de conclure :

« Soyons bons pour les animaux, respectons la vie chez les bêtes et mettons de la dignité même dans le geste qui tue... »