Ces doyens et doyennes ne sont que rarement portraiturés, comme le fait L’Intransigeant en 1937, en train de mener une « existence végétative ». Leur vie est souvent décrite comme simple, saine, encore raisonnablement active, en un mot : normale. Comme l’écrit l’historien Jean-Pierre Bois dans Le mythe de Mathusalem, le XIXe siècle marque l’entrée dans une approche plus raisonnée du grand âge, loin des mythes des personnes bicentenaires ou tricentenaires :
« L’approche des grands âges se concentre [...] sur des “arts” de bien vivre et de bien vieillir, et non plus sur les recettes permettant de vieillir hors des limites admises par la nature. [...]
Encore assez peu nombreux pour être signalés dans les journaux, [les centenaires] ne sont plus des hommes disparus, à l’existence desquels il faut croire sans les voir. »
Dès 1799, La Chronique universelle s’émerveille ainsi d’un vieillard de 105 ans de l’Aveyron, « probablement le doyen des Français », qui continue de s’occuper de son cheptel et de travaux d’intérieur. Au fil de ses successeurs, on met l’accent sur la forme étonnante des doyens et doyennes, qu’il s’agisse de marcher chaque jour quelques kilomètres, de lire sans lunettes, d’effectuer un jardinage de printemps ou d’exercer leur mémoire, notamment quand il s’agit de se rappeler le coût, plus modique évidemment, des choses durant leur jeunesse. Sans oublier de lever le coude : le centenaire ne manque pas de « faire chabrot » ou déguster du champagne.
En 1910, La Dépêche décrit ainsi le régime d'un retraité de 105 ans du Raincy :
« M. Hémery aime le bon vin et ne dédaigne pas un petit verre de marc après son déjeuner. C’est sa méthode pour vivre vieux : ce vénérable aïeul ne croit pas aux buveurs d’eau. »
Soixante-dix ans plus tôt, en 1842, La Quotidienne tirait déjà sur le même ton le portrait de Noël des Quersonnières, un « étonnant vieillard » de 114 ans auquel l’écrivain Charles Leconjourt venait de dédier une Galerie des centenaires anciens et modernes :
« Il n’a ni infirmités, ni incommodités ; il fait quatre repas par jour, il se rase lui-même, lit et écrit sans lunettes, il chante fort agréablement, il dort au mieux, il cultive encore la poésie avec succès.
Sa conversation pétille d’esprit ; c’est un feu roulant d’anecdotes. M. Lejoncourt ajoute que M. des Quersonnières est toujours sensible aux charmes du beau sexe. »
Quand, trois ans plus tard, Noël des Quersonnières s’éteint à Neuilly, la presse évente la supercherie : le vieillard, « mort à l’âge déjà très respectable de 92 ans, [...] avait imaginé de se vieillir, non pas seulement de cinq ou trois années mais bien d’un quart de siècle d’un seul coup, ce qui le portait à sa cent dix-septième année ».