Écho de presse

Été 1936 : « Tout le monde en vacances ! »

le 21/06/2024 par Marina Bellot
le 19/07/2022 par Marina Bellot - modifié le 21/06/2024
Enfants s'amusant sur la plage de Deauville en Normandie, Agence Rol, années 1930 - source : Gallica-BnF

En 1936, les premiers départs en vacances des Français les plus modestes sont vécus comme une petite révolution. La presse se fait l'écho de cette joie nouvelle.

À l’été 1936, la société française connaît une effervescence inédite. Pour la première fois, la promesse de vacances pour tous a été tenue grâce à la victoire du Front populaire aux élections législatives du 3 mai et la signature en juin des accords Matignon : les salaires ont été augmentés, la durée du travail a été fixée à 40 heures hebdomadaires et deux semaines de congés payés par an ont été octroyées aux travailleurs.

Quand l'été arrive, les classes populaires découvrent donc une joie nouvelle : être payé... à ne rien faire.

« Une innovation ? Non, une Révolution ! », s’enthousiasme le quotidien socialiste Le Populaire

« Dans le métro on n'entend parler que de projets de voyages, d'excursions… 

 — Je n'arrive pas encore à m'imaginer que ce soir je serai en vacances, déclare une midinette à son amie.

 — Moi je crois rêver, réplique l'autre. »

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Qu’ont-ils prévu de faire de ces quinze jours offerts, ces ouvriers fraîchement libérés de l’usine ? 

À Roubaix et Tourcoing, Paris-Soir leur donne la parole :

« Tout le monde en vacances ! [...]

“Je resterai chez moi à faire mon ménage”, m'ont assuré beaucoup de femmes. [...]

Du côté des hommes, on se montre plus décidé :

— Nous partons en bande, en vélo, visiter les Ardennes m'a dit un jeune gars aux longs muscles d'athlète.

— Nous, nous ferons du camping, m'a conté un autre, les yeux brillants de joie.

Un vieil ouvrier aux manières douces, polies, m'a affirmé :

— N'est-ce pas, les vacances, je n'y croyais pas... Quand j'en ai été sûr, ça m'a fait l'effet d'une bombe qui aurait éclaté dans ma cuisine. Je n'ai rien osé combiner, c'était trop vite. Aussi, cette année, je reste chez nous, mais cent projets...

Et il esquissa d'un geste immense les merveilles d'une future villégiature. »

Grâce au « billet populaire de congés annuel », les Français les plus modestes peuvent, cet été-là, prendre le train avec 60 % de réduction, à condition de parcourir au moins 200 km. Pour les ouvriers parisiens, dont la grande majorité n’a jamais vu la mer, les plages de Normandie, du Nord et de Bretagne, deviennent un rêve accessible.
 
Le mensuel de gauche Regards se réjouit de cette innovation sociétale majeure :  

« Les “congés payés” valent enfin aux travailleurs le privilège – si l'on peut ainsi dire – d'être traités comme des oisifs. Leur joie est trop neuve pour n'être pas intense.

Grâce à Léo Lagrange, sous-secrétaire d'État aux Loisirs, grâce à l'activité d'hommes comme Barel, député des Alpes-Maritimes, des trains à tarifs spéciaux ont permis à tous les travailleurs de prendre le repos qui leur était nécessaire.

Dans les provinces où ils se rendent, des hôteliers, qui ont compris que quelque chose était changé dans le rythme économique de la France, leur font des conditions si raisonnables qu'on les qualifie d'exceptionnelles (car on en avait perdu l'habitude).

C'est ce public nouveau qui explique l'affluence que l'on peut constater ces temps-ci dans toutes nos gares. Public la plupart du temps jeune : jeunes gens, jeunes filles, jeunes ménages déjà tendrement embarrassés d'un ou deux marmots. Comme ils sont heureux. »

La presse de gauche multiplie les reportages avec ceux qui, pour la première fois, partent en vacances.

Et les journalistes de s'émouvoir de ces scènes de vie inédites :

« Dans le train qui m’amenait, une jeune femme, accompagnée de son mari et de deux enfants turbulents, ne cessait guère de contempler les campagnes gonflées de vert absolu, foisonnant, lumineux.

L’homme, las de cette extase et de nourrir d’œufs durs ses fils impatients, s’excita soudain : “Que regardes-tu constamment par la vitre ?”

Revenue momentanément de son rêve, elle écarta les mains, impuissante à s’exprimer : “Tout”, dit-elle enfin. »

Les ouvriers se heurtent parfois à la bourgeoisie en place, peu désireuse de partager un privilège qui lui était jusque-là réservé.

À Malo-les-Bains, dans le Nord, le maire et les commerçants voient d’un mauvais œil l’arrivée en congés des classes populaires, comme s'en irrite le quotidien communiste Ce Soir.

« – Content, monsieur le maire ? Beaucoup de monde !

– Nous n'en avons jamais tant vu à cette époque. Une belle saison pour nous.

– Les congés payés ?

M. le maire a eu comme une petite crispation de douleur, puis un geste de pudeur offensée.

– Les “congés payés”, nous n'y tenons pas, mais pas du tout. Notre plage, vous comprenez, sans être de luxe, a de la tenue, m'a-t-il répondu. »

Dans les faits, les départs à l’été 1936 resteront limités, tant le droit au loisir ne va pas encore de soi parmi les classes populaires. Il faudra en réalité attendre le début des années 1950 pour que la majorité des Français partent en vacances.

De deux semaines accordées aux salariés en 1936, les congés payés n'auront de cesse de s'allonger en France au cours du XXe siècle sous l'influence des revendications et des actions des travailleurs : en 1956, ils passeront à trois semaines, puis à quatre en 1969 pour enfin arriver à cinq semaines pleines au début du mandat de François Mitterrand, en 1982.