Et retour
Le soleil tiédit l'air et la villa Dufrène sent le renouveau. La maison du bourreau, proprette, sent l'encaustique.
Dans ma chambre, mes vêtements sont bien rangés, bien brossés. Les meubles, époussetés, luisent. Et les rideaux, les rideaux blancs de jeune fille jouent avec la lumière, la belle lumière du printemps.
Mlle Deibler a sorti sa voiture dans la cour et soulevé le capot. Elle démonte le carburateur.
– Ça ne va pas ? lui demande sa mère.
– Si, mais il vaut mieux se rendre compte de temps en temps.
– C'est le carburateur ?
– Oui, c’est le carburateur.
Elle souffle dans le gicleur.
Mme veuve Obrecht met le nez à la fenêtre. C'est une grande et forte femme aux yeux étranges, à fleur de tête. Elle noue ses cheveux gris sale en petit chignon rigolo, sur le sommet du crâne.
Elle fait le ménage du matin au soir.
– Le ménage, c'est ma vie, me dit-elle. Dans une grande maison comme celle-ci, il y a tant à faire que j'y perds la tête.
– Bigre ! Perdre la tête ? A ce point ?
Elle me regarde. Elle se dit : « Est-ce qu'il aurait compris ? Est-ce qu'il saurait ? » Puis, rassurée, mes yeux sont pleins de candeur naïve, elle me parle du temps qu'il fait.
– Hé, petite !
Mlle Deibler lève la tête.
– Tu sors ?
– Non. Mais demain, je ferai une grande balade avec papa.
Il est vrai que papa aura bien mérité une grande balade.
***
– Les voilà !
Les exécuteurs, leurs petites valises de fibre à la main, rentrent de voyage. Ils ont sur le visage ce rayonnement provenant d'un bon déjeuner et de la satisfaction du devoir accompli. Seul, André Obrecht est froid et taciturne comme à l'ordinaire.
Embrassades générales.
Deibler dit :
– Ça s'est bien passé.
Il me voit à la fenêtre :
– Bonjour, jeune homme !
– Bonjour, monsieur ! Alors, comme ça, on rentre de voyage ?
– Hé oui, les affaires. répond M. de Paris.
Ce qui fait rigoler doucement « Monsieur Maurice » et « Monsieur Georges ».
***
J'ai découché. C'est dans le domaine des choses qui arrivent. Je rentre le matin chez Deibler, l'air penaud. Mme Obrecht m'accueille en souriant :
– Une lettre pour vous, me dit-elle.
Elle a un clin d'œil entendu.
– Vous devez être fatigué. Non ?
Je monte chez moi et je vais droit à la fenêtre. Deux des aides parlent dans le jardinet.
– Et moi je te dis que si je ne l'avais pas tenu, il se tirait...
On parle de Putigny...
– Bien sûr. C'était un difficile, ce gars-là. Mais il faut tout de même pas exagérer.
– J'exagère pas. Tu te rappelles la fois...
Ils lèvent le nez... Ils m'ont vu. Ils parlent d'autre chose.
***
Chez Deibler, chambre 5...
Les jours ont passé. Putigny, en deux morceaux, repose dans la fosse commune du cimetière de Chalons-sur-Saône. La petite Obrecht joue tous les jours à la balle, avec gravité. M. Deibler surveille la croissance de ses géraniums. Le soleil brille. La vie continue.
Et moi, je ne suis plus étudiant.