VILLAGE DE LA FRANCOPHONIE
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18 avril 1898, le journal républicain Le Radical publie un plaidoyer dans lequel Hubertine Auclert dénonce la masculinisation de la langue, la responsabilité de l'Académie dans la disparition de noms de métier au féminin, et la nécessité de dé-masculiniser la langue.
« On m’a répondu que, devant le scrutin, "Français" ne signifiait pas "Française". Si Français ne signifie pas Française devant le droit ; Français ne peut signifier Française devant l’impôt. »
Hubertine Auclert, pionnière du féminisme, joue volontiers sur les mots. La formulation de la loi du 5 mai 1848 exclue les femmes quand il s’agit de voter, mais pas quand il s’agit de payer des impôts. Elle demande alors son inscription sur les listes électorales et d'être rayée des contribuables. En 1882, elle se ré-approprie le terme de « féministe », jusqu'ici employé de manière péjorative par les détracteurs de la cause, pour lui donner une valeur positive et désigner la lutte pour l'amélioration de la condition féminine. Quinze ans plus tard, la sufragette dénonce la masculinisation de la langue et la responsabilité de l'Académie dans la disparition de noms de métier au féminin. Si il est nécessaire de dé-masculiniser la langue, c'est qu'elle structure notre société : l'emploi du masculin comme générique humain et l'omission du féminin dans le dictionnaire contribue non seulement à l’omission du féminin dans le Code civil, mais également à l'effacement des femmes.
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L'académie et la langue
Si les revendicatrices étaient sous la Révolution avides de gloire, de distinctions honorifiques et demandaient dans leurs requêtes à l'Assemblée nationale :
« Que le sexe féminin jouisse des mêmes honneurs et dignités que le sexe masculin ; que le genre masculin ne soit plus regardé, dans la grammaire, comme le genre le plus noble », les revendicatrices de ce temps connaissent, parait-il, la valeur de la fumée et le prix des hochets, car nulle protestations de femmes ne s'élève contre l'enrubannement des boutonnières mâles et les médailles, les croix, les palmes et les titres, que les hommes entre eux se prodiguent.
On parle bien de créer une Académie féminine, l'idée a déjà été émise plusieurs fois. Comme cette création n'avait en vue que de glorifier, d'apothéoser des déités et, pour but unique, de satisfaire la vanité : elle a toujours échoué. L'avant-dernière proposition, de fonder l'Académie française des femmes, fut lancée par un officier en retraite, le commandant E., une espèce d'aliéné, qui nous intenta un procès parce que nous avions, en même temps que refusé d'entrer dans son académie, combattu, dans La Citoyenne, l'organisation de cette académie. Le nouveau projet d'académie féminine réussira-t-il mieux que les précédents ? Des femmes distinguées avouent qu'elles sont séduites par la pensée d'être académiciennes et que la question est à examiner.
Mlle Jeanne Chauvin, interviewée par un journal, croit l'institution inutile :
« Une académie de femmes, dit notre doctoresse, serait une nouvelle coterie. Nous avons mieux à faire qu'à nous réunir sous prétexte de questions littéraires et en réalité pour exhiber des toilettes originales. Pourquoi cette académie ? Celle du pont des Arts ne suffit donc pas ? Si les littérateurs de notre sexe se sentent dignes d'être académiciens, que ne posent-elles leur candidature ? On les repousserait une fois, deux fois, mais la question serait posée et il faudrait bien à la fin qu'elle fût résolue en leur faveur. Les portes de l'Institut, comme beaucoup d'autres portes, s'ouvriront un jour, soyez-en sûr, devant la femme. »
La vaillante, qui force l'entrée du barreau et s'offre, vivant exemple d'énergie, aux femmes qui veulent atteindre un but, peut bien ainsi parler.
Dans les arts, les lettres, les sciences, des femmes brillent comme des hommes ; pourquoi ces artistes, ces littératrices, ces savantes ne feraient-elles pas partie de l’Académie ?
On comprend que les femmes d'un réel mérite soient indignées d'être, en raison de leur sexe, exclues de partout. Cependant, plutôt que d'user de représailles envers les hommes, elles doivent obliger leur mauvais vouloir à capituler. Car, dès que l'humanité est composée d'hommes et de femmes, la société qui régit cette humanité doit être, dans toutes les manifestations de son activité, organisée de façon mixte. S'enfermer entre femmes exclusivement, pour discuter littérature, à l'exemple des hommes qui, dans le même but, s'enferment entre hommes, ce serait agir contre le principe dont se réclame le féminisme.
En réalité, si le sexe féminin ne siège pas à l'Académie, c'est parce qu'aucune femme ne s'est encore obstinée à vouloir y entrer.
« On n'a pas offert, dit-on, un fauteuil à George Sand. » En avait-on offert un à M. Hanoteau ? L'Académie n'offre pas ses fauteuils ; on les lui demande, et ce n'est qu'en se soumettant à des simagrées qu'on les obtient. Mieux vaut pour les femmes forcer les portes de l'Académie masculine que de créer une académie rivale.
Mais, est-ce que sans palmes, sans broderies, en dehors du pédantisme, de la préciosité et de la coquetterie, une élite féminine ne pourrait pas, en s'adjoignant des hommes érudits, tels que M. Flach, professeur au Collège de France, constituer une assemblée pour féminiser les mots de notre langue, rectifier et compléter le dictionnaire ?
Rien n'empêcherait cette assemblée de se nommer « Académie féministe ». Étant mixte, elle n'aurait pas à redouter l'hostilité des hommes, ni celle des femmes qui feignent de ne pouvoir marcher que tenues en lisière par les hommes qu'elles font tourner, virer comme des toupies. Oh ! ces jolies femmes soumises, quels effrayants petits despotes ! La liberté des maris n'est, réellement respectée que par les épouses qui aspirent à être libres.
L'omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu'on ne croit à l'omission du féminin dans le code (côté des droits). L'émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N'est-ce pas à force de prononcer certains mots, qu'on finit par en accepter le sens qui tout d'abord heurtait? La féminisation de la langue est urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques droits conquis donnent à la femme, il n'y a pas de mots.
Ainsi, dans cette dernière législature, la femme a été admise à être témoin au civil, électeur, pour la nomination des tribunaux de commerce ; elle va pouvoir être avocat. Eh bien, on ne sait pas si l'on doit dire : « Une témoin ? Une électeur ou une électrice ? Une avocat ou une avocate ? »
L'Académie féministe trancherait ces difficultés. Dans ses séances très suivies et où l'on ne s'ennuierait pas, des normaliens, comme M. Francisque Sarcey, pourraient, en féminisant des mots, devenir féministes.
En mettant au point la langue, on rectifierait les usages, dans le sens de l'égalité des deux sexes. Ainsi que la conférence des avocats, l'Académie féministe donnerait des avis. Un jour, on posa cette question aux avocats assemblés : « Le mari peut-il ouvrir les lettres adressées à sa femme ou envoyées par elle ? »
La conférence se déclara pour l'affirmative. Mme Juliette Adam, indignée, écrivit aux avocats : « Si un homme peut de par la loi surprendre les réserves de la pensée de sa femme, tout mari sera libre d'ajouter à la qualité de maître, celle de goujat ! » Il est probable que la même question serait résolue négativement par l'assemblée mixte que nous proposons de constituer.
Les décisions de l'Académie féministe, commentées par la presse, feraient autorité comme les arrêts de la conférence des avocats.
La féminisation initiale est celle de la langue, car le féminin non distinctement établi, sera toujours absorbé par le masculin.
Quand on aura remisé le dictionnaire et féminisé la langue, chacun de ses mots, sera, pour l'égoïsme mâle, un expressif rappel à l'ordre.
Une association d'individus qui féminiserait le langage et substituerait à l'artifice, à la duplicité, au mensonge, la vérité dans les mots, base de la vérité dans les conditions humaines, contribuerait à faire ouvrir aux grandes femmes de France les portes de l’Académie.
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