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1921, billet d’humeur caniculaire : « Vague de chaleur, vague de crimes »

le 11/07/2024 par Maurice de Waleffe
le 24/08/2023 par Maurice de Waleffe - modifié le 11/07/2024

Tandis que l’Europe subit au mois de juillet 1921 les conséquences d’une température étouffante, le chroniqueur du Siècle Maurice de Waleffe n’y tient plus : il établit un parallèle quelque peu fantasque entre chaleur torride et excès de violence.

Au mois de juillet 1921, l’Europe et l’Amérique du Nord ont chaud. En France, on connaît plusieurs jours à 40°C sans que ne tombe la moindre goutte de pluie. La revue du 14-juillet à Paris est annulée pour cause de canicule, plusieurs incendies se déclarent dans la forêt de Fontainebleau. La température ira croissante tout le long du mois jusqu’à l’éclatement d’orages dévastateurs sur l’ensemble du territoire du 28 juillet à début août.

Tandis que la capitale semble paralysée devant l’ineffable chaleur – le « semestre le plus sec qui ait jamais été enregistré depuis que la météorologie existe », entend-on dans la presse –, l’écrivain et célèbre journaliste Maurice de Waleffe (à qui l’on doit l’élection de la « plus belle femme de France », ancêtre des « miss ») se lance pour le Siècle dans une diatribe tous azimuts contre les climats chauds qui provoqueraient, selon lui, d’impossibles actes de haine irrationnelle.

Dans un soliloque entassant les clichés les plus émoussés au sujet d’un « sud » par essence cruel, se dessine l’univers mental d’un Français moyen de l’après-Première Guerre mondiale échaudé par le monde – et l’été.

A toute vague de chaleur correspond une vague de crimes. Nous nous en apercevons en ce moment, un peu partout. Au pays de Galles, on arrête un gamin de quinze ans dont le divertissement consistait à violer, en les étranglant, les petites filles du village. A part ça, charmant garçon, qui jouissait de la sympathie de tous les habitants ! Mais il était sensible aux coups de chaleur...

A New-York, où l'approche de la période caniculaire se signale toujours par des excentricités formidables, le câble nous apporte la nouvelle que les autorités utilisent les tuyaux à incendie pour administrer des douches aux passants, et ceux-ci circulent en caleçon de bains. Grâce à cette hygiène préventive, on n’a encore à déplorer que des noyades de baigneurs sur les plages ou des chutes de dormeurs installés la nuit sur le haut des toits, mais la férocité aura son tour. Elle l’a toujours.

Parce que, plus il fait chaud, plus l’homme perd ce qu'on appelle justement son sang-froid. Géographiquement, pourquoi la femme est-elle plus libre dans les pays septentrionaux qu'en Orient ? Parce qu’elle y court moins de dangers.

Vis-à-vis des animaux, également exposés aux brutalités du Roi de la Création, l'homme se montre plus cruel à mesure qu'il se rapproche de l'équateur. Voyez l'Arabe qui entretient une plaie saignante au garrot de son âne pour pouvoir l'aiguillonner, et voyez les courses de taureaux qui, nées sous le brûlant soleil de l'Espagne, n'ont jamais pu dépasser, en France, la latitude de Nîmes. Et si le Nord de la France et la Belgique ont leurs combats de coqs, ils restent l'apanage de quelques amateurs seulement.

Entre hommes, on fut toujours plus méchant, plus tortionnaire en Afrique qu'en Europe. L'esclavage, dans l'ancien empire romain, était dur. Il ne fut jamais aussi bestial que celui des traitants Arabes exportant des nègres dans l’Amérique du Sud et les Antilles, pays chauds.

En France, les exagérations de la Terreur révolutionnaire commencent avec l’été de 1793 pour atteindre leur maximum en thermidor 1794. Il serait curieux de rechercher si les atrocités des Bolcheviks ne se sont pas exaltées pendant l'été russe.

Le phénomène n'est pas douteux pour les Allemands. On sait quelle chaleur exceptionnelle régnait en août 1914. Quand les armées du kaiser déferlèrent sur la Belgique et le Nord de la France, elles commirent des excentricités ineffaçables, qui cessent brusquement avec les premières fraîcheurs de septembre. Les cruautés du reste de la guerre furent des cruautés par ordre, froidement hypocrites.

Celles d'août 1914 portaient la marque d'un sang échauffé par des journées torrides. La Haute-Cour de Leipzig y verra peut-être une cause d'indulgence. Ce n’est pas mon avis.

Plus l'homme a de tendances au crime, et plus il faut augmenter les forces d'intimidation et de répression. Tous nos fonctionnaires coloniaux connaissent la Soudanite, cette folie rouge qui s'empare du cerveau de l'Européen isolé, quand les rayons du soleil africain lui tapent sur le crâne.

Les jugements de la Cour de Leipzig nous aident à comprendre pourquoi les coloniaux allemands cédaient à la Soudanite, tandis que les nôtres y résistaient.

Parisiens, mes frères ! Voici la chaleur, l’irritante chaleur ! Buvons frais et maîtrisons nos nerfs.