Que sait-on du fonctionnement d’une telle agence ?
La presse regorge d’articles de journalistes qui sont allés expérimenter les agences matrimoniales pour le bénéfice de leur lecteur, mais les archives d’agences sont rares. Nous avons néanmoins la chance d’avoir pour l’agence de Foy, qui a été créée en 1825, trois registres datant de 1842-1847, dont on doit la conservation à leur saisie judiciaire. A une époque où le « courtage matrimonial » n’a pas encore de reconnaissance légale, De Foy poursuit en justice des clients qui n’ont pas payé ses services, pour réclamer son dû et faire ainsi sanctionner la « profession matrimoniale ».
Ces trois registres sont une mine pour l’historienne que je suis. Les informations portées dans les registres sont révélatrices des critères déterminants lors du mariage : outre le nom, l’âge et l’adresse, sont indiquées la fortune ou la dot, et les « espérances » – terme qui désigne, par métonymie, les perspectives d’héritage. Ces registres comptent environ 6 000 noms – 4 000 femmes et 2 000 hommes.
« Les agents matrimoniaux font appel à d’autres intermédiaires, rémunérés, pour introduire le jeune homme ou la jeune fille sous un prétexte fallacieux et donner l’illusion d’une rencontre fortuite. »
Comment comprendre que le nombre de femmes soit le double de celui des hommes ? Traduit-elle l’impératif de mariage pour les femmes ?
C’est la première interprétation qui vient à l’esprit : dans la société du XIXe siècle, le stigmate du célibat est bien plus fort pour les femmes, dont la dépendance à l’égard du père puis du mari est inscrite dans le Code civil. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que ces femmes appartiennent pour beaucoup à la bonne bourgeoisie et n’ont pas besoin des services d’une agence matrimoniale. Il s’avère qu’elles sont inscrites à leur insu, comme l’indique la présence d’un autre nom au-dessus du leur : c’est un intermédiaire qui a servi de « rabatteur » – médecin, notaire, ami de la famille, cocher, femme de chambre, corsetière, couturière, client de l’agence, etc.
La circulation de l’information sur les bons partis est très locale : la cartographie des intermédiaires que j’ai pu réaliser montre que les rabatteurs et les inscrits habitent souvent la même rue ou le même immeuble. L’intermédiaire est bien sûr rémunéré – on trouve par exemple dans les registres la mention « Intéresser femme de chambre ». Dans les registres De Foy, ce sont plus de 50 % des femmes et 6 % des hommes qui ont été inscrits par un intermédiaire.