Les petits métiers disparus des rues parisiennes
Au XIXe siècle, le pavé de Paris regorge de femmes et d’hommes sans le sou, qui déploient des trésors d'inventivité pour survivre et se lancent dans des petits métiers ingénieux – et souvent éreintants.
Au XIXe siècle, alors que le code du travail n’existe pas et que la misère grandit à Paris et dans la « zone », ils sont nombreux ces Parisiens sans le sou à survivre en exerçant des petits métiers qui sont souvent leur dernière planche de salut. Certains sont éphémères ; d'autres perdureront, évoluant au fil des décennies. Tous ont en commun d'être éreintants et peu rémunérateurs.
En 1889, Le Petit Parisien se lance dans un savoureux tour d’horizon de ces « petites industries non classées dans le Dictionnaire du Commerce et qui sont, en somme, une conquête de l'intelligence surexcitée par les tiraillements de l'estomac ».
Le ramasseurs de mégots (ou « cueilleurs d’orphelins »)
« On pouvait croire que l'homme qui ramasse les bouts de cigares et de cigarettes sur la voie publique les ramassait pour satisfaire ses besoins particuliers. Erreur. Il hache le tout et vend cette chose composite pour du tabac à fumer.
On a compté qu'à Paris, il se fumait par jour cinq cent mille cigares ; il doit donc y avoir quelque part, surtout sous les tables placées à l'extérieur des cafés, cinq cent mille résidus ; eh bien ! ces résidus se vendent, sont rcueillis, et cela se vend, et il paraît, en définitive, que, dans le fourneau d'une pipe, ce n'est pas plus mauvais que le tabac qui sort tout frais des manufactures de l'État. »
Le réveilleur
« Le réveilleur se lève tous les jours vers deux heures du matin, et, quelque temps qu'il fasse, s'engage bravement dans les rues les plus tortueuses qui avoisinent les fortifications.
Il s'est chargé d'arracher au sommeil les ouvriers que leur métier oblige àpartir très tôt de chez eux pour se rendre à l'usine ou à la fabrique, et qui, à cette saison, ne se sentiraient pas assez sûrs d'eux-mêmes pour avoir le courage de quitter le lit avant l'apparition de l'aurore.
Le réveilleur possède un petit calepin où sont notés les noms et les adresses de ses clients. Il suit son itinéraire avec la même ponctualité qu'un facteur, pousse un cri convenu en passant devant chacune des maisons où on l'attend, et ne s'en va que lorsqu'il a vu une fenêtre s'ouvrir ou qu'il a entendu une réponse.
Il fait payer un sou par jour à chaque ouvrier qu'il réveille de cette façon. Mais on peut prendre des abonnements à la semaine ou même au mois et alors les conditions sont naturellement plus douces. »
Le releveur de mariages
« Le releveur de mariages est un personnage qui a bien sa singularité aussi : c'est l'individu qui court les mairies et qui y relève, sur le tableau des promesses de mariage, les adresses des fiancés ; il communique ensuite ces adresses aux loueurs de voitures, aux restaurateurs, aux tailleurs, aux couturières, aux marchandes de fleurs, etc., qui, d'après ces indications, vont faire leurs offres à domicile. »
Le ramasseur de croûtes de pain
« Voici un autre fureteur : le ramasseur de croûtes de pain. La croûte de pain, cela se trouve partout dans la rue, au coin des bornes, dans les tas d’ordures.
Ne croyez pas que cet homme à la chasse des morceaux de pain durcis, sales, dégoûtants, en soit réduit pour vivre à manger sa trouvaille.
Non, mais il est de ceux qui croient fermement que rien ne se perd et qu’un morceau de pain dur ajouté à un autre peut être le commencement d’un de morceaux de pain qu’il vendra une vingtaine de sous aux éleveurs de lapins. »
L’ange-gardien
« Voici un type autrement bizarre celui-là, c'est “l'ange-gardien”. Oh ! je vous entends rire. Mais l'ange-gardien existe, et si vous voulez connaître son rôle, sachez que c'est un individu chargé de reconduire à leur domicile ceux qui ont bu “un coup de trop”.
Plusieurs cabarets ont un “ange-gardien” ayant pour mission de surveiller la pratique qui s'est laissé choir dans les vignes du Seigneur ; il ne doit quitter le pochard confié à ses soins que lorsque celui-ci est à l'abri des rôdeurs de nuit et en sûreté. »
Bien d'autres personnages pittoresque peuplent le vieux Paris. La marchande d'arlequin par exemple, qui se charge de vendre pour quelques sous les restes de nourriture récupérés auprès des domestiques des grandes Maisons parisiennes. Pas de chichis : dans ses plats, il n'est pas rare que la volaille côtoie le poisson, et la pâtisserie la salade...
Nombre d’autres métiers insolites apparaissent au début du XXe siècle. Citons l’un des plus ingrats : ramasseur de crottes de chien. Ce courageux n’œuvre pas pour la propreté des trottoirs, mais bien pour revendre les étrons collectés aux maroquiniers qui s’en servent pour tanner les peaux fines.
« Le métier de ramasseur de crottes est peu lucratif, et il a une morte-saison, en mai, quand les chiens mangent des herbes et des fruits. Leurs “produits” perdent alors la propriété d'attaquer les peaux », nous informe très sérieusement La Presse en 1926.
Décrotteurs et rémouleurs
Après le ramasseur de crottes, le décrotteur : dans le Paris bondé de chevaux de calèches et de policiers à cheval, il est très répandu et sert, comme son nom l'indique, à décrotter les chaussures des passants...
Quant au rémouleur, qu’on appelait jadis le « gagne petit », il est très en utile au XIXe siècle, puisqu'il affûte les ustensiles coupants et tranchants des ménagères et des commerçants. C'est l'un des petits métiers les plus communs jusqu'à l’entre-deux-guerres.
Ces petits métiers n'échapperont pas à la mordernisation de la société. Le Figaro s'inquiète dès 1902 de la lente mais inéluctable disparition des décrotteurs, remplacés par des machines.
« Ils sont en baisse, les décrotteurs ; leur situation, jadis bonne, décroît ; leur nombre diminue. À peine sont-ils aujourd'hui, dans le département de la Seine, deux mille cent trente.
À quoi cela tient-il ? Est-ce qu'on n'aurait plus rien, à décrotter, chez nous ? Ou bien nos compatriotes auraient-ils pris, hélas ! le cynique, parti de vivre crottés ? Non, non !
Tout simplement, ils subissent la concurrence des machines : il existe à présent des auto-tireurs qui, pour deux sous, vous immaculent les souliers. »
Quant aux rémouleurs, qui jadis tournaient manuellement leur meule, ils se mettent à officier... en automobile.
« Tout évolue, tout se transforme ; voilà nos petits métiers de la rue eux-mêmes qui deviennent tributaires de la science et du progrès », s'attriste en 1911 Le Petit Journal, qui consacre à ces rémouleurs d'un nouveau genre son illustration de couverture.
Au tournant du XXe siècle, les petits métiers de Paris disparaîtront progressivement sous l’effet de l’industrialisation et de la diffusion des grands magasins. Au sortir de la Première Guerre mondiale, il n'en restera presque plus aucun.