La circulation à Paris, 350 ans de casse-tête insoluble
Dès l'apparition des premiers fiacres, Paris fait figure de capitale encombrée, asphyxiée. Désengorger les rues parisiennes devient l'une des priorités des pouvoirs publics pendant l'entre-deux-guerres.
Les embarras de Paris
« D'un carrosse, en tournant,
il accroche la roue,
et du choc le renverse
en un grand tas de boue ;
quand un autre à l'instant, s'efforçant de passer,
dans le même embarras se vient embarrasser,
vingt carrosses bientôt, arrivant à la file,
y sont, en moins de rien, suivis par plus de mille. »
Ah, la difficulté de vivre à Paris !
Dès 1665, le poète Nicolas Boileau y consacre l'une de ses fameuses Satires. Il y dépeint avec force ironie les encombrements et le vacarme incessants de la capitale.
Les « embarras de Paris » resteront l'expression consacrée pour évoquer l'infernale épreuve de la circulation dans la capitale.
Dès le début du XIXe siècle, on trouve donc récit de ces encombrements qui sont la marque de Paris. Ainsi, en 1804, un chroniqueur conte l'une de ces mésaventures, lot quotidien de tout Parisien qui se respecte durant le Premier Empire :
« Je crus, avant-hier, que je ne pourrois jamais traverser la rue Saint-Honoré, vis-à-vis Saint-Roch.
Une voiture renversée au beau milieu du ruisseau en arrêta bientôt cinquante autres et la foule augmentoit de seconde en seconde avec l'impossibilité de la percer ; les uns s’impatientoient, mais on n’avance à rien avec de l’impatience ; les autres regardoient de l’air dont on regarde un événement. »
« Les Parisiens se fâchent »
Combien les temps heureux de la petite vitesse paraissent déjà loin aux chroniqueurs du XIXe siècle !
Paris est alors devenue, en quelques décennies, la ville du monde, après Londres, où l’on emploie le plus de voitures en tous genres. Déjà, nul coin de rue, carrefour, quai ou boulevard où l’on ne trouve des coupés, des calèches, des fiacres et des omnibus.
« Lorsque Boileau écrivait ces vers, on ne comptait pas à paris plus de trois cent-dix carrosses. Maintenant on compte à Paris plusieurs milliers de voitures de toute espèce », se lamente un chroniqueur du Constitutionnel en 1843 :
« Sur quatre-vingts places, stationnent plus de quatre mille voitures publiques.
Leurs variétés et leurs noms se sont multipliés à l'infini, depuis le vieux fiacre jusqu'aux élégantes et sveltes citadines et sylphides.
On ne compte pas moins de quatorze entreprises de voitures-omnibus qui parcourent la ville dans toutes les directions ;
le service des environs de paris occupe un nombre de voitures plus considérable qu'il ne l'a été à aucune autre époque ;
les diligences-messageries s'augmentent aussi en déployant une activité sans égale ;
les malles-postes, les charriots de toutes les industries, les voitures colossales du gaz portatif et des entreprises de déménagèmens remplissent cet ensemble gigantesque qui fait à chaque instant trembler le sol en mettant en péril la vie des habitans en présence des élémens de cette statistique, il ne faut pas s'étonner que les accidens soient si nombreux dans nos rues. »
Néanmoins, c'est au début du XXe siècle que Paris se transforme radicalement.
« Aux myopes, aux distraits, aux éclopés, aux vieilles dames, qui déambulent chaque jour dans Paris » : gare à vous, alerte Gil Blas : le recensement de 1908 dénombre dans la capitale plus de 230 000 véhicules de toute classe et de tout ordre.
Alors que les rues de la capitale sont donc sillonnées par toutes sortes de véhicules et que le métropolitain ne suffit plus à contenir une circulation déjà considérée comme encombrante, les Parisiens crient haut et fort leur ras-le-bol, comme le rapporte en 1909 Les Annales politiques et littéraires :
« De temps en temps, les Parisiens se fâchent contre Paris. [...]
On ne saurait nier que Paris offre le plus beau maelström de véhicules qui soit au monde. Furie de bâtisse qu'aucune crise immobilière n'enraye, et qui nous vaut une avalanche de fardiers (sans compter les tombereaux qui transportent hors Paris les entrailles de Paris, éventré par le Métropolitain) ;
plus de fiacres que jamais ; les omnibus à trois chevaux ; les taxi-autos ; les autos privés, et, mastodonte de cette ménagerie à quatre roues, l'autobus, d'apparence, à la fois, up-to-date et préhistorique : voilà des raisons d'encombrement dont aucune cité ne souffre au même degré. [...]
Donc, aujourd'hui, voilà les Parisiens en colère. Ils en ont assez de mettre vingt-cinq minutes pour traverser l'avenue de l'Opéra en fiacre dans l'après-midi, et trois quarts d'heure pour aller des Variétés à la Madeleine.
Ils sont, en outre, exaspérés de passer plus de temps au bord des trottoirs qu'à marcher sur l'asphalte. »
Résoudre le casse-tête de la circulation
Durant l’entre-deux-guerres, la circulation à Paris s’intensifie encore, jusqu’à devenir la priorité des pouvoirs publics – et l’un des thèmes récurrents des journaux français.
Les chroniqueurs y vont tous de leurs déboires plus ou moins amusés ou navrés.
Voilà le conseil badin d’un Parisien en 1922 :
« Si tu vas à Paris, prends bien garde aux voitures !
Tu sais que de ta peau elles f'raient des confitures…
Quand tu traverseras, tiens-toi bien sur tes pattes,
Autrement, je t'assure, ce serait comm' des dattes ! »
Le problème devient à ce point sérieux que l’on fait appel aux meilleurs spécialistes pour résoudre le casse-tête de la circulation, et notamment à celui que l'on considère comme le « père de la sécurité routière » : William Phelps Eno, un homme d'affaires américain à l’origine de plusieurs des premières innovations en matière de sécurité routière et de contrôle de la circulation. Son plan de circulation rotatif a notamment été mis en œuvre à Columbus Circle, à New York, en 1905, et à l'Arc de Triomphe, à Paris, en 1907.
En 1924, les pouvoirs publics font donc appel à ce « maître indiscuté en la matière », dont le programme pour Paris tient en trois propositions :
« Faire l'éducation du public, réserver des rues aux voitures rapides, amplifier le système giratoire, diminuer autant que possible le stationnement. »
Et l'homme ne mâche pas ses mots :
« Agents, conducteurs et piétons sont aussi ignorants les uns que les autres. »
Diverses contributions ingénieuses tenteront d'améliorer la circulation à Paris. Ainsi, le « pou de la route », micro-voiture urbaine, est conçue à la fin des années 1930, comme le rapporte Paris-Soir qui s'interroge :
« Quand nous roulerons tous dans des voitures aussi minuscules, le problème de la circulation à Paris sera-t-il résolu ?
L'inventeur de ce véhicule microscopique le prétend. »
Depuis le début des années 2000, tout est fait pour inciter les habitants de la capitale à ne pas utiliser leur voiture : réduction du nombre de files pour les voitures sur plusieurs grands axes afin d'élargir les couloirs de bus, piétonnisation partielle de la voie express rive droite ou encore fermeture aux voitures des voies sur berges rive gauche.
Pourtant, le casse-tête reste plus que jamais à l'ordre du jour. Malgré une importante baisse de trafic dans la capitale, pollution, embouteillages, nuisances sonores demeurent le lot des Parisiens comme des banlieusards.