VILLAGE DE LA FRANCOPHONIE
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La volonté politique d'imposer le français aux dépens des langues régionales, amorcée sous l'Ancien Régime, a pris son essor pendant la Révolution. Se heurtant parfois à de fortes résistances, la généralisation du français a progressé pendant tout le XIXe siècle.
Au moment où éclate la Révolution, plusieurs langues coexistent en France. Le français, langue véhiculaire parlée par toutes les élites européennes, est pour la majorité de la population française une langue « étrangère ».
Dans de nombreuses régions, on parle en effet divers dialectes et idiomes locaux, implantés depuis des siècles : les langues d'oc au sud, les langues d'oïl au nord, mais aussi l'alsacien, le flamand, le basque, le breton, le catalan... Bref, en 1789, on maîtrise sans doute mieux le français à la cour de Vienne ou de Moscou qu'à Quimper, Colmar ou Tarbes.
À l'heure où les révolutionnaires ne parlent que d'unité de la nation française, il va donc s'agir d'imposer le français comme langue nationale, parlée par tous les citoyens. Une politique déjà amorcée sous l'Ancien Régime avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), mais qui va trouver un nouvel essor avec la Révolution. À partir de 1793-1794, on va en effet considérer qu'une langue commune est un préalable à la démocratie.
L'abbé Grégoire prend le problème à bras-le-corps et, en juin 1794, il remet un « Rapport sur la nécessité d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française ». La Gazette nationale publie son plaidoyer en faveur du français :
« La langue française a conquis l'estime de l'Europe, et depuis un siècle elle y est classique […].
Mais cet idiome, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Italie, dans une partie du pays de Liège, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada et sur les bords du Mississippi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d'une très grande partie des Français ? […]
Il n'y a qu'environ 15 départements de l'intérieur où la langue française soit exclusivement parlée, encore y éprouve-t-elle des altérations sensibles […]. On peut assurer sans exagération qu'au moins dix millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale […].
Ainsi, avec 30 patois différents, nous sommes encore pour le langage à la Tour de Babel, tandis que pour la liberté, nous formons l'avant-garde des Nations. »
Les révolutionnaires imposent le français comme « langue universelle des Lumières », obligatoire pour tous. Par le décret du 2 thermidor an II (20 juillet 1794) sur la langue française, dit de la « Terreur linguistique », la Convention interdit l'emploi des langues locales dans les actes publics – décret qui sera abrogé peu de temps après, à la suite de sa chute.
Sous Napoléon puis sous la Restauration, on laisse la question de côté et aucune politique officielle d'unification de la langue n'est menée. Toutefois, le français est désormais perçu par les élites comme la langue du progrès, tandis que les langues et idiomes locaux (péjorativement appelés patois) vont devenir synonymes de régression.
Dès lors, l'évolution vers une langue unique semble inévitable. En 1808, sous Napoléon, La Gazette nationale publie un extrait de l'ouvrage scientifique Statistique de la France. On y constate que si le français progresse, il est encore très loin d'avoir fait disparaître les particularismes locaux :
« Le langage du peuple des campagnes est un patois doux et abondant en images ; il serait difficile de lui assigner un genre, parce qu’il participe de différents idiomes, il varie dans sa prononciation, quelquefois même plus essentiellement encore, non seulement d’un arrondissement à l’autre, mais de canton à canton, et même, jusqu’à un certain point, de commune à commune [...].
Les habitants des campagnes entendent généralement le français, et plusieurs le parlent ; ce qui est l’effet, en bonne partie, des migrations annuelles.
Le patois des villes et des bourgs s’est, pour ainsi dire, francisé. L’étude et la pratique de la langue française ont fait des progrès sensibles dans toutes les classes de citoyens depuis la révolution. »
Deux ans plus tard, un autre article du même journal fait mention d'une étude de Jacques-Joseph Champollion (le frère aîné du père de l'égyptologie), Nouvelles recherches sur les patois ou idiomes vulgaires de la France. Le rédacteur semble se féliciter du déclin des langues régionales :
« On est assez d'accord sur la nécessité de connaître les diverses langues vulgaires des provinces de la France, et d’en constater l'état actuel. Le moment est peut-être arrivé qui complétera leur altération et marquera leur décadence. »
Dans les décennies suivantes, les dialectes locaux sont tellement honnis par les progressistes que Le Figaro, alors un journal satirique, va se moquer d'eux à l'occasion d'un concours organisé par l'Académie du Gard. Celle-ci promet trois cent francs à celui qui définira le mieux « quels sont les obstacles qu'apportent le patois aux progrès de la civilisation ». Le Figaro commente :
« Voici son opinion, fruit des lumières réunies de tous les académiciens : tout le mal, toutes les entraves de la civilisation viennent des patois, ou si vous aimez mieux des dialectes [...].
Ainsi donc, si à Marseille il se trouve encore des absolutistes, si l'autorité a eu à réprimer de graves désordres, vous iriez peut-être en chercher la cause bien loin ; elle est toute simple : l'académie du Gard vous prouvera que c'est parce que le peuple appelle une maison oustaou [...].
Envoyez partout des grammairiens, et quand le peuple possédera ses imparfaits en asse, insse, isse, usse, vous en donnerez des nouvelles à l'académie du Gard. Ô académies !! »
En 1836, on relève l'existence d'un « dictionnaire patois-français, à l'usage du département du Tarn et des départements voisins ».
Mais dès la première moitié du XIXe siècle, beaucoup voient d'un mauvais œil la mort programmée des langues régionales. Ainsi ce rédacteur de La Gazette du Languedoc qui vante en 1836 l’œuvre du poète occitan Jasmin (1798-1864), alors célèbre :
« Imposer à tout un peuple une langue qui n’est pas la sienne, proscrire et défendre l’usage de celle qu’il tient de ses pères et qu’il enseigne à ses enfants, c’est un acte de tyrannie ; c’est un abus de la force dont les turcs même ne se rendirent pas coupables envers les grecs qu’ils avaient vaincus [...].
Il y a dans le Midi , malgré MM. des comités, un peuple qui sait résister à l’oppression, en se moquant de ses doux maîtres ; il y a une classe éclairée qui s'attache aujourd'hui, plus qu'elle ne l'avait jamais fait, à conserver pour le présent et l'avenir, les souvenirs du passé ; il y a là aussi toute une littérature qui a huit siècles d'existence et qui de temps à autre se révèle au monde par des chefs-d’œuvre : les poésies de Jasmin sont là pour le prouver. »
Comme l'explique l'historien Jacques Chaurand dans son Histoire de la langue française, au XIXe siècle, les défenseurs des idiomes locaux s'indignent de les voir considérés comme de simples corruptions du français et les mettent à égalité avec ce dernier.
Dans le très parisien Le Siècle, en 1857, le chroniqueur Taxile Delord s'inquiète de cette montée des revendications langagières au nom des spécificités locales. Pour le journaliste, qui prend résolument parti pour le français contre les « patois », c'est l'idée même de progrès qui est en jeu dans ce débat :
« Le patois a ses défenseurs comme le grec, et tandis que les modernes font de leur mieux pour parler français, les anciens voudraient qu'on parlât normand, picard, languedocien, provençal ou auvergnat [...].
Tant que l'étude du patois ne sort pas de l'archéologie, on ne saurait rien y trouver à redire ; mais elle ne s'en tient pas là, et c'est ici qu'elle se rattache à la querelle des anciens et des modernes. On veut fonder une littérature patoise. Il n'est pas d'ancienne province de la monarchie, grande ou petite, depuis le Languedoc jusqu'au Hurepoix, qui n'ait ses poètes chantant dans un patois infiniment supérieur, assurent les académiciens du pays, à la langue française [...].
Nous avons les Girondins du dictionnaire ; on cherche à fédéraliser la langue. On veut que chaque patois s'administre lui-même, qu'il vote ses mots et ses phrases, se rattachant à peine par quelques rapports fédératifs à la langue exécutive. L'ancien régime grammatical reparaîtrait avec ses abus et son inextricable confusion ; on cesserait de se comprendre non seulement de province à province, mais encore de ville à ville, de clocher à clocher. »
Certains, plus mesurés, reconnaissent une vraie richesse aux dialectes locaux, comme Le Petit Journal, qui, en 1866, en recense au moins 220 en France :
« N'en déplaise aux gardiens de la langue française, les patois ont leur raison d'être. Ils contiennent, en effet, de justes et pittoresques expressions, que l'idiome officiel n'admet pas toujours. La langue académique est parfois raide, guindée, toute d'une pièce comme le col d'uniforme de chacun des quarante éplucheurs de mots installés au palais de l'Institut.
Le patois invente le mot qui manque, crée l'expression pittoresque, et procédant souvent comme la musique imitative de Mozart ou de Beethoven, il lui suffit parfois de prononcer l'expression nouvelle devant une personne étrangère à ses secrets pour qu'elle soit immédiatement comprise. »
Sur la question de la langue, un fossé existe alors entre la ville et les campagnes. Certes la révolution industrielle, l'essor du chemin de fer et l'exode rural ont généralisé l'usage du français, tout comme le développement de l'enseignement dans cette langue.
Mais dans beaucoup de campagnes, à la fin du XIXe siècle, on parle encore en dialecte local.
Jacques Chaurand parle de « bilinguisme » : « deux langues, deux horizons, deux types d’échanges ou d’interlocuteurs entre lesquels, dans bien des cas, on n’a pas le choix ».
Les lois Ferry sur l'enseignement obligatoire, laïc et gratuit vont accroître la prééminence du français. Jules Ferry met en place des mesures pour lutter explicitement contre les idiomes locaux : les élèves réfractaires sont ainsi punis sévèrement s'ils utilisent leur langue régionale.
Ce n'est que dans la seconde moitié du XXe siècle que les langues régionales vont apparaître officiellement comme une richesse à préserver – sans que l’État revienne jamais sur le principe de l'unicité de la langue nationale.
Aujourd'hui, certaines langues régionales connaissent toujours une frange importante de locuteurs : l'alsacien, le catalan et le corse en particulier. D'autres, comme le flamand ou le franco-provençal, ont presque disparu.
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Pour en savoir plus :
Jacques Chaurand (dir.), Nouvelle histoire de la langue française, Le Seuil, 2012
Mireille Huchon, Histoire de la langue française, Le Livre de Poche, 2002
Marie-Clémence Perrot, La politique linguistique pendant la Révolution française (article), 1997
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