Dans le cas de la congrégation de Saint-Joseph, les faits étaient de toute façon trop nombreux et trop bien étayés pour que l’on s’en tienne à de simples sanctions judiciaires individuelles. Le 25 septembre, le gouvernement abrogea le décret de 1853 qui l’avait reconnue d’autorité publique, et dispersa en décembre le personnel de ses trois principaux établissements (Cîteaux, Soissons, Brignais). La congrégation dut définitivement renoncer à ses activités en 1892, et vendit Cîteaux à des trappistes en 1898.
Cependant, comme l’analyse l’historien Éric Baratay, sa chute était moins due à l’enjeu encore embryonnaire de la « pédophilie dans l’Église » qu’à l’inadaptation croissante de la gestion des problèmes sociaux par le personnel religieux. Cette mini-crise annonçait la loi de 1901 sur les associations, et l’offensive beaucoup plus générale contre l’ensemble des congrégations, notamment enseignantes, qui s’engagea sous le Bloc des gauches, à compter de mai 1902.
Dans l’intervalle, les affaires d’attentats aux mœurs commis par des ecclésiastiques, continuèrent d’alimenter régulièrement la rubrique des faits divers [voir par exemple l’affaire Boudes en 1889-1890]. La formule « monstre en soutane » était devenue une locution banale, utilisée sans beaucoup de discernement par la presse républicaine. Il est ainsi assez curieux que la « révélation » d’affaires de pédophilie dans l’Église ait été perçue comme un fait sans précédent, alors même qu’elles ont été, à intervalles réguliers, au cœur de notre histoire politique et religieuse.
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Pour en savoir plus :
Anne-Claude Ambroise-Rendu, Histoire de la pédophilie, XIXe-XXIe siècle, Paris, Fayard, 1994
Éric Baratay, « Affaire de mœurs, conflits de pouvoir et anticléricalisme : la fin de la congrégation des frères de Saint-Joseph en 1888 », in: Revue d’histoire de l’Église de France, tome 84, n° 213, 1998, pp. 299-322
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Emmanuelle Retaillaud est historienne, spécialiste de l'histoire de l'homosexualité et des « marges ». Elle enseigne à Sciences Po Lyon.
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AMBROISE-RENDU Anne-Claude, Histoire de la pédophilie, XIXe-XXIe siècle, Paris, Fayard, 1994.
ANGENOT Marc, « Monstres en soutanes et autres figures du monstre en France avant 1914 », 13 avril 2019, popenstcok.ca.
BARATAY Éric, « Affaire de mœurs, conflits de pouvoir et anticléricalisme : la fin de la congrégation des frères de Saint-Joseph en 1888 », Revue d’histoire de l’Église de France, tome 84, n° 213, 1998, pp. 299-322.