C’est donc pour échapper à la répression que les fabricants redoublent de prudence dans leurs annonces, en ayant recours à des périphrases allusives – articles intimes, appareils en caoutchouc, etc.
Cet impératif de discrétion explique aussi que de nombreux vendeurs proposent leurs condoms dans des conditionnements fantaisie, qui permettent de les faire passer inaperçus : boîtes de cigarettes, pralines ou amandes, portefeuille, carnet de bal, enveloppes ou encore carnets de tickets de métro, comme le rapporte cette brève de 1925.
Mais à l’aube du XXe siècle, la répression se transforme. Il s’agit désormais moins de lutter contre l’obscénité que contre le développement du néo-malthusianisme. Dans un contexte où la baisse de la natalité française obsède l’opinion publique, ce courant qui prône le contrôle des naissances par le recours à des méthodes anticonceptionnelles est perçu par les autorités comme une menace pour le corps social.
Dans la presse, on voit en effet apparaître des publicités qui insistent sur la fonction anticonceptionnelle des préservatifs et qui les destinent aux couples mariés. La maison Bador, qui vend aussi des ouvrages de vulgarisation médico-sexuelle à l’usage des couples, propose ainsi à la vente un préservatif nommé « le protecteur de Malthus » ; l’entreprise Parisian Hygiène nomme ses préservatifs féminins « Wife ».
Les affaires judiciaires visant les partisans du néo-malthusianisme, et avec eux les fabricants de produits anticonceptionnels, se multiplient alors dans les années 1900 et 1910. Mme Souvraz, dite Louise Silvette, principale fournisseuse de Génération Consciente et d’autres groupes néo-malthusiens, est poursuivie pour outrage aux bonnes mœurs en 1913 ; en 1918, elle fait encore l’objet d’une perquisition de police sur mandat d’un juge d’instruction.
Cette répression des procédés anticonceptionnels culmine avec la loi du 31 juillet 1920, qui interdit la promotion et la vente et des appareils et remèdes anticonceptionnels. Le préservatif masculin échappe toutefois à cette interdiction du fait de son usage prophylactique, mais sa vente est désormais réglementée.
La loi entérine donc la diffusion croissante du préservatif, encouragée pendant la Première Guerre mondiale par les contacts avec les soldats britanniques qui en étaient équipés. En interdisant les contraceptifs féminins (préservatifs féminins, pessaires, éponges et ovules spermicides), elle favorise même son monopole, et entrave durablement la maîtrise par les femmes de leur fécondité.
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Pauline Mortas est doctorante en histoire au Centre d'histoire du XIXe siècle de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste d'histoire des sexualités aux XIXe et XXe siècles, elle est l'auteure du livre Une rose épineuse, paru aux Presses Universitaires de Rennes en 2017.