Après la Débâcle de 1940, de modèle, le Japon, devient un allié dont on partage les valeurs pour la presse collaborationniste. Et, alors que certains vichystes s’imaginent en chevalier partant pour une nouvelle croisade contre l’URSS, d’autres célèbrent le Japon et ses samouraïs qui, espère-t-on, prendront bientôt à revers le régime soviétique. En Indochine française où les autorités de Vichy s’activent à tendre la main au Japon militariste, dès 1941, on peut voir dans divers journaux coloniaux des articles citant l’ouvrage d’Inazo Nitobe pour mieux célébrer le Bushidô et, par extension, les soldats nippons, comme c’est le cas dans L’Effort Indochinois en janvier 1941, puis dans L’Écho annamite en février de la même année.
Deux ans plus tard, en métropole, c’est au tour de Gringoire de publier une nouvelle à la gloire de l’amiral Togo, vainqueur des Russes en 1905, et qualifié ici de « samouraï de la mer ».
Transformé en outil de propagande à la gloire des forces de l’Axe, la vision positive des samouraïs et du Bushidô développé depuis la fin du XIXe siècle est vite pointée du doigt par la presse proche des Alliés comme étant, au mieux, des idéalisations hypocrites. Ainsi, dans son édition de mars 1942, le magazine Images publié en français dans une Égypte aux mains des Britanniques, consacre non seulement un dossier à l’affrontement entre le Japon et l’URSS (les deux pays sont alors en paix), mais aussi un long article critiquant l’ouvrage de Nitobe. Intitulé « Atrocités malgré le Bushidô », il pointe du doigt les crimes de guerre – bien véritables – de l’armée nippone alors que celle-ci se réclame de valeurs chevaleresques :
« M. Anthony Eden a fait devant la Chambre des Communes un exposé poignant des méthodes barbares que les Nippons se plaisent à appliquer, en contradiction flagrante avec les règles du “Bushidô”. […]
Qu’est donc ce “Bushidô” japonais qu’aucun Japonais ne respecte ? Le mot fut inventé en 1900 par le Dr Nitobe Inazo, qui écrivit un livre traitant de cet idéal. Le “Bushidô” est une copie du code de la chevalerie européenne, mais adaptée à la mentalité nippone ; il devient, comme toutes les imitations japonaises des institutions étrangères, une sinistre parodie des sentiments que nous avons appris à honorer.
Le livre du Dr Nitobe eut un tel succès que bien des hommes à travers le monde furent convaincus que le Japon possédait un code de l’honneur pouvant rivaliser avec celui en vigueur en Europe. Peu de gens se rendirent compte que cet étalage de beaux sentiments notait qu’une hypocrisie profonde, destinée à élever une façade pour cacher les agissements des sujets du Mikado. »
Si la critique est en partie fondée – le Bushidô inventé par Nitobe est une construction qui n’a pas grand-chose à voir avec l’éthos des samouraïs à l’époque médiévale – on sent poindre néanmoins un discours raciste qui, en réaction, tend à démontrer que les Japonais seraient presque par essence des barbares parce qu’ils suivraient un code féodal. On retrouve là une imagerie bien présente durant la Première Guerre mondiale qui comparait les Allemands à des Huns : médiévaliser une nation ennemie permet en effet de l’exclure du concert des pays vus comme « civilisés ».
Aujourd’hui, la figure du samouraï est connue surtout à travers les mangas et le cinéma japonais, notamment grâce au film d’Akira Kurosawa Les Sept Samouraïs (1954). Elle semble donc, de prime abord, bien moins sujette à des utilisations politiques. Pourtant, cela n’empêche pas l’extrême droite de se réclamer d’une vision fantasmée du guerrier nippon, que cela soit au Japon ou en France. Ainsi, Dominique Venner, figure du courant identitaire, écrit en 2013 un essai appelé Un samouraï d’Occident. Il est publié de manière posthume après que l’auteur se donne la mort à Notre-Dame de Paris, imitant en cela Yukio Mishima, romancier nippon proche des cercles fascisants, qui se suicida après un coup d’État raté en 1970.
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Pour en savoir plus :
Oleg Benesch, Inventing the way of the samurai : nationalism, internationalism, and bushido in modern Japan, Oxford : Oxford University Press, 2014
William Blanc, « La figure du samouraï, du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui : entre Orient et Occident », vidéo de l’intervention au séminaire : « Le médiévalisme — Des usages contemporains du Moyen Âge », 26 mars 2021
William Blanc, « Les Samouraïs : année zéro. Le mythe du samouraï dans le cinéma et la bande dessinée japonaise » in : Histoire et Images médiévales, n° 58, 2014, p. 52-59
Philippe Postel, Les Quarante-sept Rônin. Histoire d’un mythe en estampes, Nantes, Éditions du château des ducs de Bretagne, 2017
Philippe Postel, Les Vaillants d’Akô. Le mythe des quarante-sept rônins au Japon et en Occident, Paris, Classiques Garnier, 2019
Shin’ichi Saeki et Pierre-François Souyri (trad.), « Figures du samouraï dans l’histoire japonaise. Depuis Le Dit des Heiké jusqu’au Bushidô », in : Annales. Histoire, Sciences Sociales, n°4/63, 2008, p. 877-894
Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2016
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William Blanc est historien, spécialiste du Moyen Âge et de ses réutilisations politiques. Il est notamment l'auteur de Le Roi Arthur, un mythe contemporain (2016), et de Super-héros, une histoire politique (2018), ouvrages publiés aux éditions Libertalia.