Le « citoyen Le Roy » brigue en effet rien de moins que trois fauteuils dont celui d’Hippolyte Taine.
Entre approbation, amusement et condamnations outragées, les journaux s’emparent immédiatement du sujet. Les mots de « barnum », « charivari », « facétie », les adjectifs « grotesque », « fumiste », « fantaisiste », « pétardière » sont employés par les journalistes pour désigner cette opération surprenante, considérée malgré tout par une partie d’entre eux comme dangereuse.
Cette candidature résulte en fait de la pression amicale de deux ouvriers amis de Le Roy : les anarchistes Marius Tournadre et Maxime Lisbonne. Tous proclament ne désirer l’immortalité que pour mieux arriver à supprimer purement et simplement l’Académie française : « Mes amis et moi voudrions que ma brusque arrivée dans ce milieu à perruques y produise l'effet d'un obus dans une poudrière. Nous voudrions faire sauter la baraque. »
Pour quelles raisons ? « Au lieu d'être simplement la gardienne de la langue française pure et saine, telle que Richelieu l'avait formée, elle n'est plus aujourd'hui que le berceau de l'orléanisme, le refuge de tout ce qu'il y a d'arriéré, le rempart de tous les retardataires », explique Le Roy au journaliste du Matin venu l’interroger à son domicile de la rue Barrault.
L’homme lui-même détonne avec ses « cheveux longs, rejetés en arrière, un imposant fer à cheval au menton », même si, toujours selon Le Matin, « il a l'aspect plutôt sympathique ». Vu par Le Constitutionnel, journal de la droite républicaine, le portrait est moins flatteur : « Les cheveux longs et gris sont rejetés en arrière “à l'apôtre” ; la barbe grisonnante entoure les lèvres et le menton d'un rébarbatif fer à cheval ». Et le journal légitimiste Le Gaulois est encore moins bienveillant : « Au physique, c'est un homme de cinquante ans, barbe et cheveux gris, les yeux clignotants, le ventre aussi développé que celui de son ami Baudin, la parole onctueuse. »
Pour ce quotidien lu par la noblesse et la grande bourgeoisie, Le Roy est moins révolutionnaire que « fumiste », au vu de la lettre qu’il a envoyée au secrétaire perpétuel de l’Académie française, reproduite dans plusieurs journaux :
« Citoyen,
J'ai l'honneur de vous faire part de mon intention de poser ma candidature aux trois fauteuils actuellement vacants à l'Académie.
Jusqu'à présent le prolétariat a été exclu de la docte assemblée dont vous faites partie. Il serait juste qu'après le Clergé, la noblesse et la bourgeoisie, le quatrième État, à son tour, y fût représenté.
Je n'y compte pas, néanmoins, étant donné l'esprit réactionnaire qui l'anime, car vous savez que si j'étais élu, j'y serais, selon le mot de Félix Pyat, “le grain de dynamite qui ferait sauter cette institution vermoulue”.
Peu au courant des usages académiques et mondains, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m'accorder une audience, afin que je puisse me renseigner auprès de vous sur les démarches que j'aurai à faire pour déposer officiellement ma candidature.
Veuillez agréer, etc.
Achille Le Roy.
P.-S. Je joins à ma lettre un exemplaire de chacune de mes œuvres (sic) :
Les Réformes sociales urgentes. Fusillé deux fois. Le Chant des Prolétaires. La Liberté de l'amour. Le Droit au Bonheur (sous presse). La Commune de l'avenir. Gare à la bombe ! »
Certains journaux restent relativement factuels, comme La Justice, le journal de Clemenceau, qui fait bien sûr le parallèle avec la candidature de Zola, tout en s’interrogeant sur l’effet produit sur l’Académie : « Sans doute le citoyen Le Roy a eu pour principal objectif de faire passer un mauvais quart d'heure au “citoyen secrétaire” – c'est la qualification qu'il lui donne – et il est probable que l'auteur de la Considération a reculé épouvanté en recevant Fusillé deux fois et Gare à la Bombe ! » Mais, pour Léon Millot : « le premier moment de stupeur passé, la vieille dame du quai Conti reprendra ses esprits, et elle signifiera au mécréant qu'il ne saurait y avoir rien de commun entre elle et lui ».
Le journal radical-socialiste Germinal publie une interview de Camille Doucet, le secrétaire perpétuel de l’académie, qui répond calmement que la candidature sera examinée en fonction de la valeur littéraire du postulant et que l’Académie ne fait pas de politique.
On trouve a priori peu d’échos de cette histoire dans la presse révolutionnaire. Le journal boulangiste La Cocarde soutient la démarche, tout en indiquant que même son auteur « ne se méprend pas sur le sort réservé à son initiative. Néanmoins, il fera les visites réglementaires. »