1931 : André Citroën organise la Croisière Jaune
Formidable aventure humaine et mécanique, la Croisière jaune fut le premier raid motorisé à traverser l'Asie, partant du Proche-Orient pour rejoindre Pékin.
Après avoir organisé la traversée du Sahara, puis la Croisière noire en 1924 [voir notre article], André Citroën décide, à la fin des années 1920, de mettre sur pied un nouveau raid motorisé, qui traversera cette fois-ci l'Asie, afin de démontrer la prétendue supériorité technique des automobiles dont il est le concepteur, capables de rouler sur de très longues distances en surmontant les pires difficultés.
En s'appuyant sur les compétences de Georges-Marie Haardt, un collaborateur et ami proche qui avait dirigé les deux précédentes expéditions, Citroën imagine un périple de 13 000 kilomètres suivant les traces de l'ancienne Route de la soie.
Le 14 avril 1931, après trois années de préparation pour cartographier l'itinéraire final, en effectuer la reconnaissance et obtenir les autorisations nécessaires, deux groupes d'automobiles s'élancent sur les premiers kilomètres de la Croisière jaune.
Le premier, le groupe Pamir, part de Beyrouth pour voyager d'ouest en est via les Indes, l'Himalaya et le Turkestan jusqu'en Chine. Il est composé de Georges-Marie Haardt, chef de la Croisière jaune, Louis Audouin-Dubreuil, officier « méhariste » et explorateur, Alexandre Iacovieff, peintre, Georges Le Fèvre, journaliste et écrivain, Joseph Hackin, archéologue et conservateur du musée Guimet, et Maynard Owen Williams, reporter pour la célèbre National Geographic Society.
Le groupe Chine, qui s'élance un peu plus tôt le 6 avril de la ville de Tientsin, au nord-est de l'empire du Milieu, est constitué de Victor Point, lieutenant de vaisseau et explorateur, Charles Brull, ingénieur en chef des automobiles Citroën, Georges Specht, cinéaste, Jean Carl, architecte, André Reymond, naturaliste et fin connaisseur de l'Asie centrale, Robert Delastre, médecin, Roger Kervizic, opérateur radio, et Pierre Teilhard de Chardin, prêtre, géologue et paléontologue.
Dans l'édition du 26 février de L’Ouest-Éclair de Rennes, le jeune reporter Désiré Jeudi fait parler André Citroën au sujet du dispositif, tout à fait inédit pour l'époque, déployé en amont de la Croisière jaune :
« Chaque voiture a quelque chose de spécial. Il y a une voiture cinéma, pour tourner un film parlant où on verra la binette des Chinois et des Chinoises qui auront peur de se faire écraser, et où on entendra le moteur et le klaxon des autos.
Il y a une voiture T.S.F., pour donner de loin à M. Citroën des nouvelles du voyage et de la santé de tout le monde, et aussi pour distraire de temps en temps les explorateurs et leur faire entendre un petit radio-concert.
Il y a une voiture-cuisine, qui fonctionne toute à l'électricité, si belle et si brillante qu'on a faim rien que de la regarder...
Il y a aussi une voiture-atelier, avec des tas d'outils pour réparer ou dépanner les voitures en route. Parce que, vous vous rendrez compte, les explorateurs vont traverser des pays ou il n'y a pas de garages... tenez, dans le Thibet ! »
Alors que le groupe Pamir progresse sans encombre, traversant le golfe persique et les contrées d’Asie mineure, il en va tout autrement pour le groupe Chine.
Retenus prisonniers à Urumqi par le maréchal King Shu-Jen, gouverneur général des provinces du Sin-Kiang et du Xinjiang, et secourus par Georges-Marie Haardt, le groupe Chine essuie une tempête de sable lors de sa traversée du désert de Gobi en mai, pour ensuite se retrouver en pleine insurrection près de l'oasis de Hami. Ces difficultés retardent énormément sa progression.
Le 4 septembre, Le Journal donne des nouvelles de l'expédition :
« Les nouvelles adressées par les hardis voyageurs de la croisière jaune sont pleines d'optimisme et donnent à penser que la mission accomplira sans défaillance son raid gigantesque. Faisons le point et notons les étapes parcourues.
Hier, 3 septembre, M. G.M. Haardt, commandant le groupe Pamir, annonçait, par radio, qu'il quittait Misgar, poursuivant sa randonnée vers Kachgar par le col de Kallik.
Le groupe Chine, que dirige le lieutenant de vaisseaux Point, séjournait à Ouroumtchi, d'où il se préparait à envoyer, en direction de Kachgar, trois voitures au devant du chef de mission. »
Les deux groupes finissent par se rejoindre le 27 octobre à Urumqi. Le 12 février 1932, la Croisière jaune entre enfin dans Pékin, sous les vivats des nombreux Européens présents sur place.
Mais, tandis que les participants souhaitent continuer jusqu'à Shanghai, l'expédition connait une fin tragique. Fragile des bronches, Georges-Marie Haardt a contracté une pneumonie en cours de route. Mal soigné, il décède le 16 mars à Hong Kong. L’expédition, en deuil, repart pour la France le moral en berne.
Dans son édition illustrée du 2 mai 1932, Paris-Soir annonce le retour au pays de la dépouille du chef de la Croisière jaune :
« La fameuse expédition qui s'était assignée de traverser l'Asie dans toute sa longueur et qui s'est si tragiquement terminée par la mort de son chef, M. Georges Haardt, est, en partie, rentrée en France.
Comme on le sait, la dépouille de l'explorateur a été ramenée à Paris hier. Nous voyons ici le débarquement d'une des six voitures qui permirent à la “Croisière Jaune” d'atteindre son but. »
La Croisière jaune prend ainsi fin sur un bilan mitigé. Si les participants ont fait preuve d'une capacité certaine à vaincre l'adversité, ils n'ont cependant pas réussi à traverser le continent asiatique dans son entièreté.
Les automobiles Citroën quant à elles, devinrent comme on le sait très populaires, notamment grâce à ce raid unique en son genre, qui devait annoncer les nombreuses compétitions du même ordre à venir, notamment le Paris-Dakar.