Petite histoire du grand vin francilien d'autrefois
Nés à l'époque gallo-romaine, les vignobles d’Ile-de-France connurent leur apogée au XVIIIe siècle. En déclin aux XIXe et XXe siècles, le « petit bleu » de Suresnes et le « piccolo d'Argenteuil » continuèrent néanmoins à faire la joie des amateurs.
Qui sait que le vignoble francilien était à la fin du XVIIIe siècle le plus grand vignoble français par sa taille ? À son apogée, avant la Révolution française, on recense pas moins 45 000 hectares cultivés – davantage qu’en Bourgogne aujourd’hui.
Le vin de Suresnes, en particulier, jouit d'une grande notoriété et devient l'un des vins de soif préférés des Rois de France, comme le raconte l'historien et poète Henri Corbel cité par Le Gaulois :
« Suresnes est universellement connu par son vin.
La chanson a popularisé le produit des vignes de ses coteaux qui se chauffent au soleil en regardant la Seine.
En 1494, le chapitre de Notre-Dame en prescrivait l'emploi aux malades de l'Hôtel-Dieu, de préférence aux cuvées de Champagne et du Gâtinais.
Le vin de Suresnes figurait à la table royale de François Ier.
Et les moines de Saint-Germain-des-Prés, qui avaient droit de haute moyenne et basse justice à Suresnes ne manquaient pas de faire distribuer à chacun de leurs justiciables une pinte de vin du “Clos des Trois Arpents” le saint jour de Pâques. Cette tradition fut conservée jusqu'à la Révolution.
Le bon roi Henri IV, quand il venait rendre visite au vieux moulin de Suresnes à la belle Gabrielle d'Estrées, ne dédaignait de goûter le cru suresnois. »
C'est au début du XVIIIe siècle, après le terrible hiver de 1709 qui détruisit la plupart des cépages, que commence la décadence des vins de Suresnes, tandis qu’au XIXe, pour des raisons commerciales, les vignerons privilégient la quantité sur la qualité, comme le raconte Le Pêle-Mêle qui évoque la transformation de ce délicieux cru en une « piquette imbuvable » :
« Le premier vin qu'on ait véritablement vanté en France est le vin de Suresnes. Henri IV en envoyait couramment en présent, et l'on conserve de lui une lettre qui en fait foi.
Mais les habitants de Suresnes, qui jouissaient de la liberté indéfinie, abusèrent de cette vogue. Ils changèrent peu à peu les plants et la culture pour tirer à la quantité, et ne firent plus un beau jour que de la piquette imbuvable. »
Piquette ou pas, les vendanges de Suresnes restent néanmoins tout au long du XIXe siècle un événement festif qui attire foule – pour le meilleur et pour le pire, comme en témoigne cette mésaventure rapportée par La Gazette de France en 1849 :
« Les vendanges de Suresne avaient amené samedi dans cette commune une bande joyeuse de jeunes horlogers parisiens, peu habitués à déguster le vin de ce cru, autrefois célèbre, aujourd'hui connu pour exalter le cerveau du buveur.
La journée était finie et la nuit venue, lorsque nos industriels voulurent, après un repas de corps, terminer leur campagne. Ils entrèrent donc dans un des restaurants qui se trouvent à la porte de Lonchamps, au bois de Boulogne, et se retirent longuement de la fatigue de la journée.
Le repas fini et de nouvelles libations ajoutées aux anciennes, nos vingt-sept vendangeurs voulurent rentrer dans Paris par la route la plus rapide, si ce n’est la plus courte. Ils résolurent de rentrer à Suresne et de gagner la station du chemin de fer, en passant la Seine sur le pont de Lonchamps. Chemin faisant, les paris s’ouvrirent, dit-on, qu’on franchirait le pont sans payer et au pas de course, en dépit même de la barrière placée à la sortie de ce même pont. Les vingt-sept Parisiens escaladent herse et barrière, ils se trouvent sur le territoire de Suresne. L’opération s’était faite aux dépens des habits déchirés par les chardons en fer de la grille, et sans prévoir qu’il faudrait subir l’attaque des gardiens du pont. [...]
Procès-verbal a été dressé de cette attaque au droit de propriété, et l’affaire se videra en police correctionnelle. Voilà ce qu’il en coûte pour boire du vin de Suresnes. »
Avec les maladies de la vigne, la croissance urbaine et le développement des transports, qui amène en région parisienne des vins meilleurs et pas plus chers, le déclin de la production est inexorable.
Au cours du XIXe siècle, deux vignobles parviennent néanmoins à subsister : ceux de Suresnes et d'Argenteuil. L'Industriel de Saint-Germain-en-Laye se réjouit ainsi en1869 de leur bon rendement :
« À Argenteuil, la récolte du vin atteindra le chiffre de 90 000 barriques. Les vendanges de Suresnes ont été, comme quantité, tout aussi satisfaisantes.
Elles donneront un total approximatif de 40 à 45 000 barriques de vin. Ce rendement est même supérieur à celui des autres localités, puisque le vignoble de Suresnes a une étendue moitié moindre à peu près que le vignoble d’Argenteuil. »
Après la Première Guerre mondiale, alors que l'Île-de-France ne compte quasiment plus de viticulteurs, le maire de Suresnes Henri Sellier, soucieux de faire revivre la tradition, rachète en 1926 une ancienne carrière pour y planter une vigne municipale. Si bien qu'en 1934, si l'on en croit Paris-soir, les vendanges de Suresnes rappellent les vignobles du sud de la France :
« Qui disait que le vin de Suresnes appartenait au passé et que sur les flancs du Mont Valérien, on ne récoltait plus depuis longtemps le moindre grain de raisin ?
Car on a vendangé hier à Suresnes et la récolte fut abondante. On boira donc encore cette année du petit vin de Suresnes, mais on en trouvera peu de bouteilles dans le commerce.
Voici les vendanges à Suresnes. Ne se croirait-on pas transporté dans les grands vignobles du Midi ? »
Aujourd'hui, le vignoble de Suresnes s'étend sur un hectare et produit le seul vin de la région à être commercialisé.
Selon l'association des Vignerons franciliens réunis, il existe à l'heure actuelle plus de 150 vignobles de plus de 100 pieds en Île-de-France.
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Pour en savoir plus :
Alain Poret, « Histoire du grand vignoble d’Ile-de-France, de la Gaule à nos jours », Presses de Valmy, 2011