Écho de presse

Le clown Chocolat, première star noire du cirque français

le 23/09/2022 par Pierre Ancery
le 04/01/2019 par Pierre Ancery - modifié le 23/09/2022
Les clowns Chocolat (à gauche) et Footit (à droite), circa 1900 - source : Gallica-BnF
Les clowns Chocolat (à gauche) et Footit (à droite), circa 1900 - source : Gallica-BnF

Le duo comique que formait le clown noir Chocolat avec son partenaire Footit connut la gloire dans le Paris de la Belle Époque. Il fut acclamé dans la presse, avant de sombrer dans l'oubli.

De son vrai prénom Rafael, Chocolat fut l'artiste noir le plus célèbre de la Belle Époque. Un destin hors norme pour cet ancien esclave né à La Havane (Cuba) entre 1865 et 1868. Vendu lorsqu'il était encore enfant à un riche propriétaire espagnol, il est alors emmené dans le village de ce dernier, près de Bilbao.

 

Là, Rafael s'enfuit et devient tour à tour mineur, groom, chanteur de rue, docker, avant d'être engagé comme domestique par le célèbre clown anglais Tony Grice. Ce dernier va l'initier à l'univers du cirque, au sein duquel Rafael va bientôt prendre le pseudonyme de « Chocolat », un surnom courant pour les Noirs à l'époque.

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Comme l'explique l'historien Gérard Noiriel, auteur de Chocolat, la véritable histoire d'un homme sans nom, le nombre de Noirs vivant à Paris dans les années 1880 est infime. Considérés comme des « primitifs », ils suscitent aussitôt l'étonnement et le rire. Une réaction que va exploiter Tony Grice en faisant de Rafael un « cascadeur », c'est-à-dire l'acteur qui, sur scène, reçoit les coups pour faire rire le public.

 

Rompant après quelque temps son association avec Tony Grice, Chocolat triomphe en 1888 au Nouveau-Cirque dans un pantomime intitulé La Noce de Chocolat, qui lui permet de mettre en valeur ses talents de mime et de danseur.

 

Mais c'est son duo avec le clown anglais Footit qui, à partir de 1895, va le rendre célèbre dans tout le pays. Ensemble, ils créent un nouveau type de comédie basé sur la relation entre le clown blanc (Footit) et l'auguste (Chocolat), qui rencontre un immense succès. Leur sketch Guillaume Tell est même filmé par les frères Lumière.

 

Pendant des années, la presse fait un triomphe au duo. Gil-Blas écrit ainsi en 1900 :

« Lorsqu'on a ri à se décrocher la mâchoire aux pitreries d'un Foottit ou d'un Chocolat, on peut aller se coucher la conscience tranquille sans crainte de faire de mauvais rêves.

 

Pourquoi Chocolat ne vivait-il pas du temps de Néron ? Que de sang eût été épargné ! »

La Lanterne renchérit la même année :

« La réputation de Footit et Chocolat est, aujourd'hui, universelle. Ce duo irrésistible est aussi connu en province qu'à l'étranger et, chaque, soir, au Nouveau Cirque de la rue Saint-Honoré, c'est un formidable éclat de rire quand ces deux princes de la grimace entrent en piste. »

Mais les articles insistent systématiquement sur le talent de Footit, reléguant Chocolat au rôle de subalterne et de simple souffre-douleur. Dans Gil-Blas, en août 1895, c'est uniquement Footit qui est interviewé. Le journaliste se contente d'ajouter : « P. S. – A propos de sensations réelles ou factices, l'opinion de Chocolat serait peut-être intéressante à connaître : c'est toujours lui qui reçoit les claques ! »

 

Dans les compte-rendus journalistiques de leurs spectacles, les plaisanteries sur la couleur de peau de Rafael sont bien souvent de rigueur. Ainsi dans Le Soleil en 1896 :

« [Footit] qui ne peut rester en place, s’assied sur cette chaise, grimpe sur cette autre, exécute entre temps un double saut périlleux, retombe sur ses jambes, adresse un gracieux sourire à l’auditoire, et trouve encore le temps d'allonger un coup de pied au pauvre Chocolat, cible indiquée des moqueries et des mornifles et qui – comme dit son plaisant bourreau – ne se voit jamais blanc, le pauvre ! »

Un humour jugé drôle à l'époque : s'inscrivant pleinement dans l'idéologie colonialiste de la fin du XIXe siècle, c'est aussi celui de nombreux sketches de Footit et Chocolat. La Justice raconte par exemple en 1896 le scénario de Coco, représenté au Nouveau Cirque, dans lequel le personnage joué par Chocolat est confondu avec un singe :

« Un restaurant au milieu de la pelouse du Jardin d'Acclimatation […]. Chocolat, que l'on exhibe à ce moment comme un des princes Abyssins, ou un ministre malgache je ne sais plus lequel des deux, pris de spleen pour ses cocotiers réussit à s'échapper de sa prison. Il a l'ingénieuse idée, pour ne pas être reconnu, de se mêler aux invités de la noce, pensant qu'on le prendra pour un monsieur en habit noir.

 

Mais on croit reconnaître en lui un des deux orangs-outangs, Paul et Virginie, que Mme Sarah Bernhardt a donnés au Jardin des Plantes. »

En 1905, Footit et Chocolat sont à l'apogée de leurs carrières, se produisant même à l'Opéra. Mais concurrencés par le succès du ragtime et du cakewalk venus d'outre-Atlantique, ils vont bientôt être licenciés du Nouveau-Cirque. Même s'ils y seront plus tard réengagés, ce sera pour eux le début du déclin. En 1906, un journaliste de La Presse va toutefois interviewer Chocolat chez lui, dans le 1er arrondissement :

« Chocolat se soulève sur son lit ; sa figure est intelligente ; ses yeux sont pleins de douceur [...].

 

Bien que ma santé soit mauvaise en ce moment, j'ai repris ma place au Cirque : je suis content car, malgré mes rhumatismes, je puis faire vivre les miens.

 

Voilà bien longtemps, Chocolat, que vous faites parler de vous. À quelle époque avez-vous débuté ?

 

Il y a vingt-deux ans que pour la première fois j'endossai le costume de clown...

 

Et quel âge avez-vous ?

 

Quarante-deux ans. »

Mais Chocolat, désormais séparé de Footit, va se heurter à l'indifférence du public qui ne l'aimait qu'en souffre-douleur. Sans maître pour le battre et l'humilier, il ne fait plus rire, comme le note cet article hautain paru dans Les Annales politiques et littéraires en décembre 1906 :

« Misère de clown. Malade, sans engagement, le clown Chocolat, qui nous fit tant rire, est en train de pleurer et de souffrir, à demi paralysé...

 

On sait que Chocolat obtint pendant de longues années, à côté de Foottit, un grand succès au Nouveau-Cirque. Mais le jour vint où par suite d'un changement de direction, l'engagement de ces frères siamois ne fut pas renouvelé.

 

Depuis, Foottit s'est tiré d'affaire... Il faut dire que Foottit est un grand artiste. Chocolat, lui, n'était qu'un comparse ; seul, il n'eût pas paru drôle : il n'est que nègre, et ce n'est pas suffisant [...].

 

Chocolat, lui, se contentait de recevoir des gifles. Pendant vingt ans, il encaissa tant de horions que son corps noir eût dû en devenir tout bleu, si ces coups n'eussent pas été des coups... de théâtre. »

Chocolat va peu à peu tomber dans l'anonymat. Lorsque Pierre Mille annonce par erreur sa mort dans le prestigieux journal Le Temps en novembre 1909, le clown écrit au quotidien pour rétablir la vérité. Moqueur, Le Temps publie le lendemain sa lettre in extenso, sans en corriger les fautes d'orthographe :

« Monsieur, le diresteur ma lut dan votre journal que monsieu Mile, l’intelijean journalise a ecri que je suis more come Auguste. Je vous pri de dire que je suis vivan, et que je joue chaque soir Chocolat aviateur au Nouveau Cirque. Vous pouvez ajouté que je nai pas même blanchit.

 

Je vous pri dacepté mon respét

 

CHOCOLAT.

 

Je vous pri de rectifié car ça me fait tor. »

Dans les années 1910, le cinéma et les sports vont remplacer le cirque dans le cœur du public. Chocolat connaît alors la misère. Lorsque sa fille meurt à l'âge de 19 ans, il sombre dans la dépression et l'alcoolisme. Il meurt lui-même à Bordeaux, en 1917, alors qu'il faisait une tournée avec le cirque Drancy.

 

Dans Excelsior, apprenant la mort de son vieux compagnon, Footit témoigne alors :

« Après de nombreuses tournées, Tony Grice, en compagnie du “négro”, parut, en 1888, sur la piste du Nouveau-Cirque. C'est là que je le vis pour la première fois. Quelques semaines après, il devenait mon partenaire.

 

Au cours d'une “entrée” où j'avais à l'interpeller, le nom de Raphaël sortit complètement de ma mémoire. Mon bras cependant se détendit et la conséquence immédiate de ce geste automatique fut que le négro alla s'étaler au beau milieu du tapis de la piste.

 

Prenez garde, m'écriai-je, vous allez vous casser “un” tablette... Chocolat !

 

Le mot fit rire, et le nom lui resta. Chocolat fut un rude travailleur, souvent même un artiste très original, et aujourd'hui, en donnant une pensée au brave garçon qui vient de disparaître, une larme perle au bord de ma paupière. »

C'est le cinéma qui le rendra à nouveau célèbre, presque cent ans après sa disparition, avec le film Chocolat de Roschdy Zem sorti en 2016, dans lequel Rafael est interprété par Omar Sy.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Gérard Noiriel, Chocolat, la véritable histoire d'un homme sans nom, Bayard, 2016

 

Interview de Gérard Noiriel parue sur Libération.fr le 6 janvier 2016

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