Archives de presse
Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
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Sportive hors du commun qui « parle haut et boit ferme », Violette Morris défraye la chronique de l’entre-deux-guerres. Elle finira assassinée dans les années 1940, en raison de son accointance supposée avec la Gestapo.
« Ce qu’un homme fait, Violette peut le faire ! »
Telle était la devise de Violette Morris. Cette jeune fille de bonne famille (son père, le baron Pierre Jacques Morris, était capitaine de cavalerie) a vingt ans lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Sportive et téméraire, elle décide de servir son pays comme un homme : elle assure volontairement, comme motocycliste, les services de liaison de l'armée anglaise.
« La Morris », comme on la surnommera bientôt, se lance ensuite dans une extraordinaire carrière de sportive, à une époque où le sport est encore une institution largement sexuée, symbole de la virilité et de la force propres aux hommes. Qu'importe, Violette Morris fonce tête baissée et stupéfait la France en raflant des dizaines de récompenses dans des sports variés : athlétisme, football, automobile, natation.
Le très populaire Paris-soir résume ainsi ses exploits :
« Cette jeune femme qui parle haut, boit ferme et que rien n'intimide, accumule les records : elle bat plusieurs fois les records féminins du lancement du poids et s'adjuge même le record de France.
Elle est capitaine de l'équipe de France de football et on la voit, seule femme, participer au Vél' d'Hiv' aux dures épreuves cycliste derrière motos, pédalant à 80 kilomètres à l'heure.
Elle gagne aussi plusieurs épreuves de natation. »
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Les Grands Reportages à la une
Aux origines du grand reportage : les récits de huit reporters publiés à la une entre 1881 et 1934 à découvrir dans une collection de journaux d’époque réimprimés en intégralité.
Dans les années 1920 et 30, Violette Morris est de toutes les compétitions. Son palmarès sera impressionnant : plus de 20 titres nationaux et une cinquantaine de médailles dans des épreuves nationales et internationales, tous sports confondus.
La presse ne manque pas de relater les exploits de cette championne hors norme, dont l’allure et les manières font l'objet de toutes les attentions – et des commentaires d'une presse masculine aussi admirative que railleuse. Quel « solide gaillard » que cette Violette, s'amuse ainsi Le Figaro, racontant sa victoire lors d'une course automobile particulièrement hardue :
« C'est Mlle Violette Morris ! Mlle Violette Morris vient de gagner le Bol d'Or.
On sait ce qu'est le Bol d'Or. C'est une course d'automobiles qui dure vingt-quatre heures, où un seul homme – et, dans le cas présent, une seule femme – ne doit pas quitter le volant pendant toute la course, résister à la nuit, à la fatigue, au sommeil et à l'effort qu'exige un parcours de deux mille kilomètres sur un circuit, à une moyenne de quatre-vingts kilomètres à l'heure !
Donc, Violette Morris a gagné cette année le Bol d'Or, établissant un record qui sera difficile à battre. Elle a étonné le public non connaisseur, elle n'a pas étonné ceux qui l'avaient vue au volant et savent de quoi elle est capable. [...]
Des jeunes femmes, autour de nous, exultaient : – “Hein ! disaient-elles, les femmes, quand elles veulent !” »
Mais, davantage que ses exploits sportifs, ce sont les « excentricités » de « la Morris » qui font couler beaucoup d'encre.
En 1927, alors que l'athlète se prépare pour les premiers Jeux olympiques féminins de 1928, la Fédération française sportive féminine lui refuse le renouvellement de sa licence. En cause, son attitude masculine, son habitude de s’habiller en complet d’homme et ses cheveux coiffés à la garçonne, considérés comme autant d'atteintes aux bonnes mœurs.
Violette Morris porte plainte contre la Fédération en 1928, comme le rapporte avec une pointe de sarcasme Le Journal :
« Le port du costume masculin par une femme va faire l'objet d'une curieuse controverse devant le tribunal civil.
La fédération féminine n'a pas admis que Mme Violette Morris prenne part, aux manifestations qu'elle organise, dans la tenue dont celle-ci affirme qu'elle est la seule qui lui semble à la fois rationnelle, seyante et pratique... en pantalon d'homme !
Mme Violette Morris s'est obstinée dans l'affirmation de ses goûts tandis que la fédération a persisté à la mettre en demeure d'y renoncer.
Longtemps on crut que ce conflit vestimentaire serait résolu par un moyen terme : l'adoption par Mme Violette Morris d'une culotte pas très bouffante.
Il n'en a rien été. »
Sans surprise, elle est déboutée par le tribunal, qui estime que « le fait de porter un pantalon n’étant pas d’un usage admis pour les femmes » et donne droit à la Fédération de l’interdire :
« Le tribunal a rejeté la demande de Mme Morris en précisant que l'ex-championne olympique avait commis à plusieurs reprises des manquements graves à la discipline. Notamment en 1923, la jeune femme avait insulté un arbitre dans un match, porté des coups à des membres du bureau de la Fédération et publié un compte rendu inexact des incidents. Dans un autre match, elle avait annoncé sa présence par affiches en employant des termes de baladin de foire.
Le tribunal n'a pas voulu se prononcer sur le droit des femmes au port de la culotte masculine. Le jugement a simplement déclaré que le port d'un vêtement masculin dans une fédération féminine est contraire à l'esprit et au but de la fédération. »
Entre-temps, elle a subi une double mastectomie afin de pouvoir conduire plus facilement sa voiture de course, ce qui ne manque pas de faire jaser les rédactions parisiennes, tel Le Petit Journal qui commente sur un ton badin l’opération de cette « amazone du vingtième siècle ».
La revue Comœdia renchérit :
« Eh, oui, Violette Morris s'est fait couper les seins ! Elle a déclaré a un de nos confrères. : “Pour moi qui mène une vie "active", c'était comme un sixième doigt à une main.
Un sixième doigt est gênant, on le fait couper ! C'est la simple logique. Il ne s'agit là ni d'esthétique, ni du goût de l'excentricité.”
Ainsi Violette Morris, en complet gris violet, chemise, faux col et cravate bleus, et feutre gris, va plus fort que les Amazones et Penthésilée.
Mais pourquoi ne change-t-elle pas son prénom si romantique et sentimental ? Vous n'êtes plus une violette, M...ademoiselle ! »
Après avoir disparu un temps des radars médiatiques, Violette Morris, qui s'est reconvertie en chanteuse, défraie à nouveau la chronique : l’ex-championne est accusée d’avoir tué un homme par balles sur sa péniche de Neuilly-sur-Seine. Le « crime singulier de la femme en homme » s'affiche alors en Une des journaux parisiens.
« Il restait à Violette Morris de trouver une nouvelle occasion, tragique cette fois, de faire encore parler d'elle », commente le toujours moralisateur Journal, qui se fait l'écho de l'affaire :
« Hier, vers six heures, Violette Morris, qui n'avait jamais peur, vit un homme menaçant devant elle. L'altercation prit vite des proportions effrayantes. Ils luttèrent, ils roulèrent sur le sol. [...]
Alors, avec le reflexe froid et immédiat d'un homme, Violette Morris tira, dira-t-elle, pour défendre sa vie.
L'ajusteur tomba foudroyé. [...]
Ainsi ce drame de la péniche remet en lumière ce visage de femme qui, depuis près de vingt ans, jouait les hommes. À la disposition du parquet et écrouée avant qu'elle puisse faire sa demande de mise en liberté provisoire – si elle lui est accordée – Violette Morris va revêtir la tenue disciplinaire des femmes en prison.
Et peut-être pour la dernière fois était-elle vêtue ce matin comme elle aimait l'être : veston sport, chandail et pantalon à pattes. »
L'affaire se concluera sur un non-lieu, le juge d'instruction estimant que l'accusée se trouvait en effet en état de légitime défense.
Mais lorsque Violette Morris fera une nouvelle fois la Une des journaux, ce sera la dernière : en 1944, la presse annonce sa disparition, alors qu'elle se trouvait en voiture avec plusieurs amis.
« On ne parlait plus de Violette Morris, lorsque ces jours-ci la presse annonça qu'elle avait été victime d'un attentat dans l'Eure, alors qu'elle ramenait à Neuilly, en automobile, des amis de Normandie.
Violette Morris, qui circulait souvent en automobile, ne parlait guère, même à ses familiers, de ses déplacements. [...]
Quand Violette Morris s'installa au volant cinq autres personnes se trouvaient dans la voiture : les époux Bailleul ; leurs enfants, garçons de 14 et 15 ans et une amie. L'ancienne championne mit en route, s'éloigna, mais elle ne devait jamais arriver à destination.
L'enquête permit d'apprendre que l'auto avait été assaillie entre Epaignes et Lieurrey, à 19 heures. Que se passa-t-il ensuite ? Les investigations menées n'ont pu encore l'établir. On n'a retrouvé jusqu'à présent, nulle trace de la voiture et de ses occupants. »
L’enquête permettra d’établir que Violette Morris fut bien victime d'un attentat le 26 avril 1944. Elle a été abattue par des maquisards du groupe normand Surcouf tandis qu’elle se trouvait bloquée par un attelage sur une route de campagne. Sous l'Occupation, il était en effet de notoriété publique qu'elle fréquentait les milieux collaborationnistes, de même que plusieurs cadres de l'administration allemande.
Son corps criblé de balles, comme ceux des cinq autres occupants de la voiture, sera inhumé en septembre 1945.
Les raisons de son assassinat demeurent, elles, mystérieuses. Violette Morris fut probablement une proche de la Gestapo, et son assassinat aurait été commandité soit par l’Intelligence Service, soit par le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA).
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Pour en savoir plus :
Raymond Ruffin, La Diablesse, éditions Pygmalion, 1989, et La Hyène de la Gestapo, éditions Le Cherche Midi, 2004.
Marie-Jo Bonnet, Violette Morris, histoire d’une scandaleuse, éditions Perrin, 2011.