L’exploit de Jesse Owens aux J.O. de Berlin
En 1936, l’athlète noir américain Jesse Owens gagne quatre épreuves dans le Stade Olympique de Berlin. Sa grâce impressionne tous les spectateurs – sauf Adolf Hitler, qui refusera de lui serrer la main.
Lorsque Jesse Owens s’aligne sur la piste du 100 mètres ce 3 août 1936, il n’est pas inconnu des amateurs d’athlétisme. Au mois de juin précédent, à Chicago, il a battu le record du monde du 100 mètres et réussi un incroyable saut à 7m82 pendant la même compétition.
Les 100 000 spectateurs du stade olympique de Berlin retiennent leur souffle durant cette première épreuve. Paris-Soir raconte « l’exploit de Jesse Owens » :
« Comme il commence à pleuvoir, on croit que Jesse Owens n'aura pu battre le record. Mais Owens a réussi l'exploit, l'exploit magnifique. Il a battu le record du monde des cent mètres avec 10" 2/10. On applaudit le superbe athlète noir qui, décidément, débute de façon magistrale dans ces onzièmes Jeux Olympiques. […]
On garde encore la vision de cet effort souple, admirable, de cet étonnant coureur à pied qui semble disposer avec la plus grande facilité des records du monde. On sent que cet homme-là, dans n'importe quelle spécialité, serait le premier et le premier de loin. »
La Croix note qu’un autre athlète noir américain, Ralph Metcalfe, est également en lice ; il se classera deuxième de l’épreuve.
« C’est Jesse Owens, le phénomène noir, qui attire tous les regards. On a l’impression qu'il ne donne jamais à fond. C’est avec les mouvements réguliers d’une machine qu’il a établi le nouveau record mondial de 10 s 2/10, sans grimace, sans ces crispations de visage qui dénotent l’effort suprême.
Metcalfe possède la même souveraineté, étant quand même un peu plus lourd que son compatriote. »
Owens ne se contente pas de cette médaille : le lendemain, il enchaîne avec l’épreuve du saut en longueur. Le journaliste du Figaro en reste pantois.
« D’entrée, Owens avait pris la tête avec 7 mètres 87. Il voyait certes l'Allemand Long et le Japonais Tajima le menacer, avec, respectivement, des sauts de 7 mètres 78 et 7 mètres 74 ; mais il ne pensait sans doute pas que Long finirait par égaler sa performance.
C'est pourtant ce qui arriva. Long franchit, lui aussi, 7 mètres 87.
Owens allait-il-partager la première place ? Non ; dans un effort magnifique, il reprit le commandement, passant 7 mètres 94, et comme cette performance ne lui suffisait pas encore, il volait, peu après, au delà de 8 mètres 06, battant son second record de la journée. Cet athlète prodigieux est, de toute évidence, dans une classe à lui tout seul. »
« Une classe à lui tout seul » qui laisse béats tous les journalistes présents. D’autant que Jesse Owen remporte le surlendemain médaille d’or et record du 200 mètres, puis participe au relais 4 x 100 mètres avec un nouveau record mondial à la clé.
On parle d’« athlète prodigieux », de « merveille noire », on loue sa force et sa puissance, combinées à sa grâce et à son élégance. Jusqu’au journaliste de la publication monarchiste L’Action française, qui ne peut cacher son admiration :
« Les Jeux Olympiques nous ont montré le plus bel athlète qui ait jamais foulé un stade, le coureur de vitesse américain Jesse Owens. Impossible de surpasser son élégance ni sa facilité.
Cet homme est assurément un des chefs-d'œuvre de la nature. Il n'est pas une statue plus belle que lui ; et lui, il bouge. Ses victoires n'ont pas fait doute une seconde. Il a fini partout et toujours loin devant tous. Il était tout seul, d'une race, à part, et puis, par derrière, il y avait les autres […].
On ajoute qu’Owens, embauché dans une université, s’est très bien conduit […].
Il s’est mieux tenu que beaucoup de blancs et d’Européens. Il n’a pas étalé la jactance des Allemands ou des Italiens. Mais cantonnons-nous au sport. »
On s’interroge sur l’origine de la puissance de Jesse Owens. L’homme affirme ne pas boire et ne pas fumer mais surtout, ne pas se surentraîner comme les Européens, pour ne pas se claquer sur une compétition décisive.
À Paris-Soir, il livre son « secret de champion » :
« – Dans les premières semaines, ne jamais chercher à se dépasser ;
– Rester toujours maître de soi et prendre les choses avec calme ;
– Avancer tranquillement, sans se laisser troubler par l'idée du temps nécessaire à couvrir une distance donnée. »
Dans ce concert d’extase sportive, un journal fait entendre un son de cloche différent. Tout en admirant la puissance et la grâce de Jessie Owens, L’Humanité sous-titre son reportage du 5 août : « Le “Führer” félicite théâtralement tous les vainqueurs, sauf le magnifique athlète noir Owens ».
Le quotidien communiste est le seul à porter le fer dans la plaie :
« Les champions américains de couleur continuent à mettre en pièces les plus belles théories racistes de la supériorité des Aryens. Ils prouvent, qu'à conditions de vie matérielles égales, il n'y a pas de race supérieure.
C'est ainsi que Owens a enlevé un nouveau titre et battu, cette fois officiellement, le record du monde du saut en longueur avec un bond de 8 m 06.
Tandis que Woodruff, son frère de race, gagnait le 800 m., devant l'Italien Lanzi et le noir Canadien Edwards. »
Le retour aux États-Unis de Jesse Owens est triomphal. Mais une fois l’euphorie retombée, le champion doit se battre pour gagner sa vie de son sport. Il va même jusqu’à participer à des courses de 100 mètres confronté à un cheval.
Mais surtout, comme Ralph Metcalfe et les autres champions olympiques Cornelius Johnson (saut en hauteur), Archie Williams (400 mètres) ou John Woodruff (800 mètres), il reste un Afro-Américain comme les autres contraint de s’asseoir à l’arrière du bus, jusqu’à ce qu’une jeune femme nommée Rosa Parks se rebelle et déclenche un mouvement inexorable pour les droits civiques aux USA.
Mais ceci est une autre histoire.