Écho de presse

La première ascension du Mont Blanc en 1786

le 08/01/2024 par Pierre Ancery
le 19/12/2023 par Pierre Ancery - modifié le 08/01/2024
Voyage de M. de Saussure à la cime du Mont Blanc au mois d'août 1787, illustration de Christian von Mechel, 1790 - source WikiCommons

Le 8 août 1786, Jacques Balmat et Michel Paccard parviennent pour la première fois au sommet du Mont Blanc. La presse se fait aussitôt l’écho de cet exploit. Mais celui-ci sera entaché par la première controverse de l’histoire de l’alpinisme...

En cette fin de XVIIIe siècle, le Mont Blanc attire et effraye à la fois. Le sommet des Alpes (4 805 m aujourd’hui), dont la cime n’a encore jamais été atteinte par l’homme, appartient alors au duché de Savoie, composante du royaume de Sardaigne. Ses abords sont extraordinairement difficiles d’accès et le lieu, considéré comme horriblement dangereux, est appelé « montagne maudite » par les habitants de la vallée de Chamonix et par les rares touristes qui viennent le contempler.

Reflétant cette fascination mêlée d’épouvante devant les proportions gigantesques de la montagne, plusieurs articles lui sont consacrés dans la presse d’Ancien régime. Dans Le Mercure de France, un voyageur le compare à une divinité mythologique :

« Ce Mont-Blanc, bien plus gigantesque que l’Atlas, aussi vieux que Saturne, me paraissait un colosse dont la tête chenue touchait aux cieux ».

Pionnier de l'alpinisme et de la littérature alpine, l’explorateur suisse Marc-Théodore Bourrit livre en 1785, dans le Journal de Paris, une description exaltée de la célèbre montagne - la citation est extraite de sa Description des glaciers et glacières de Savoie :

« Qu’on se le figure, ce grand dôme des Alpes soutenu par de magnifiques rochers [...]. Le voilà donc, ce mont sourcilleux que les siècles n’ont pu détruire, qui brave le soleil brûlant, les orages, et tous les efforts des éléments destructeurs ! [...]

Quelle est la puissance qui a pu soulever hors de la terre ces masses énormes, et les élancer à la hauteur de deux mille toises ? »

Bourrit, qui rêve d’être le premier à atteindre la cime, raconte aussi ses tentatives infructueuses pour gravir la célèbre montagne. Le naturaliste genevois Horace Bénédict de Saussure consacre à la même époque de nombreuses pages au Mont Blanc. Le Journal de Paris raconte en 1781 que Saussure « a fait huit voyages pour l’étudier » : l’édition de ses Voyages dans les Alpes font alors figure d’autorité.

Accompagné de guides locaux, Saussure, lui aussi, a tenté plusieurs fois - en vain - d’atteindre le point culminant. En désespoir de cause, il promet une récompense à celui qui parviendra à escalader le sommet, ce qui va déclencher toute une série de tentatives.

C’est en 1786 que tout va se jouer. En juin, une expédition part de Chamonix (« Chamouny », comme on l’écrit alors). Sans y avoir été invité, un jeune cristalier de la région, Jacques Balmat, 24 ans, l’accompagne. Resté en arrière, il est surpris par l’obscurité et décide de passer la nuit dans une grotte, au dôme du Goûter. Une perspective qui, à l’époque, semble terrifiante : les gens s’imaginent qu’une nuit en pleine montagne est mortelle.

Mais Balmat redescend sain et sauf. Il comprend que l’ascension peut être réussie en plusieurs jours : le 7 août, il repart discrètement avec un médecin de Chamonix, Michel Paccard, 29 ans. Les deux hommes bivouaquent en haut de la montagne de la Côte, et le 8 août, à 18h30, ils atteignent le sommet. Ils bivouaquent une seconde nuit et regagnent la vallée le 9 août.

La nouvelle va faire sensation. Elle est annoncée dans Le Mercure de France le 30 septembre :

« Des paysans, soit guides de la vallée de Chamouni, dans le Faucigny, ont enfin réussi à escalader, cet été, la plus haute cime du Mont Blanc [...]. Il est impossible de donner aux étrangers, habitants des plaines ou des montagnes de second ordre, une idée des obstacles et des dangers de cette tentative ; ils effraient l’imagination [...].

Dans ce terrible trajet, ils éprouvèrent une alternative de chaleurs et de froids excessifs, une grande difficulté à respirer, et plusieurs fois ils se trouvèrent enveloppés dans les nuages [...]. Personne encore, avant ces guides [...], ne s’était élevé à une hauteur pareille. En deux regards, ils ont dû voir l’Italie et la Méditerranée, la Suisse, la France, une partie de l’Allemagne, et sous eux les chaînes immenses des rochers les plus élevés de l’Europe. »

Mais l’exploit historique de Balmat et Paccard est presque aussitôt entaché par une de ces controverses qui émailleront l’histoire de l’alpinisme. Dans le Mercure de France du 25 novembre, Marc-Théodore Bourrit fait le récit de leur ascension. Déformant la réalité, il fait de Balmat le héros de l’aventure et minimise le rôle de Paccard, présenté comme un simple client transporté par le montagnard.

« Le docteur commençait à perdre haleine ; ses genoux se raidissaient, et le froid l’empêchait d’avancer : son compagnon, plus exercé, plus hardi, l’encourageait ; et il y eut des instants où ils désespérèrent de leur entreprise.

Une sommité se présente à eux, ils doutent que ce soit la dernière. Balmat, résolu de s’en assurer, s’élance seul ; le chemin perd de la difficulté à mesure qu’il avance ; les neiges sont fermes, et il sent qu’il n’a que quelques pas à faire pour arriver sur le sommet du Mont : il s’y voit.

Quelle joie ! la terre entière est sous ses pieds ; il annonce, par les cris, son triomphe à son compagnon : il descend à sa rencontre, le ranime, l’aide, et à six heures et demie ils se trouvent ensemble sur ce Mont fameux. »

Marc-Théodore Bourrit conclut :

« J’apprends déjà que M. le médecin Paccard espère tirer des fruits de sa course ; qu’il s’est fait annoncer à Lausanne, et s’y est fait voir comme le conquérant du Mont Blanc [...] tandis que le pauvre Balmat, à qui l’on doit cette découverte, reste presque ignoré. »

Paccard aura beau contester cette version erronée des faits, le récit de Bourrit, écrivain influent dans le milieu de l’édition, sera celui que l’Histoire retiendra. Ainsi, un siècle plus tard, en 1887, une statue est érigée à Chamonix en l’honneur de Balmat et de Saussure - Paccard, lui, n’aura droit à « sa » statue qu’en 1986...

Horace Bénédict de Saussure, de son côté, réussira l’ascension dès 1787, à l’aide d’une compagnie de montagnards de Chamonix. Il en racontera l’histoire dans Le Journal de Paris : le froid, les crevasses, les avalanches, le mal d’altitude sont évoqués dans ce texte qui contient déjà tous les ingrédients du récit d’aventures alpines, un genre appelé à remporter un grand succès. 

« La seconde journée présente plus de difficultés. Il faut d’abord traverser le glacier de la côte [...]. Il est entrecoupé de crevasses larges, profondes et irrégulières [...].

Un de mes guides faillit y périr. Il était allé la veille avec deux autres pour reconnaître le passage : heureusement ils avaient eu la précaution de se lier les uns aux autres avec des cordes ; la neige se rompit sous lui au milieu d’une large et profonde crevasse, et il demeura suspendu entre ses deux camarades. »

Au sommet du Mont Blanc, Saussure a pu aussi faire toute une série d’observations scientifiques qui paraissent également dans la presse :

« Forme de la cime. C’est un dos d’âne dirigé de l’est à l’ouest ; la pente du côté du midi est douce, de 15 à 20 degrés [...].

Neige de la cime. Sa surface est écailleuse, couverte en quelques endroits d’un vernis de glace ; la consistance est ferme [...].

Ébullition de l’eau. [...]. Il fallut sur le Mont Blanc une demi-heure pour la faire bouillir, tandis qu’il ne faut à Genève que 15 à 16 m [...].

Ombres. Sans couleur.

L’odorat et le goût. Avaient là toute leur perfection.

Son. Un coup de pistolet tiré sur la cime ne fit pas plus de bruit qu’un petit pétard de la Chine n’en fait dans une chambre. »

Propagée dans le monde entier, la nouvelle de l’ascension de de Saussure lancera la mode de l’alpinisme.

D’autres ascensions mythiques marqueront l’histoire du Mont Blanc. Comme celle, en 1808, de la première femme à atteindre le sommet, une paysanne de 32 ans, Marie Paradis, qui semble-t-il a été littéralement hissée jusqu’au point culminant par les autres membres de l’expédition. La première femme a parvenir au sommet par ses « propres » moyens sera Henriette d’Angeville, en 1838. Une réussite alors fortement médiatisée : on la surnommera la « fiancée du Mont Blanc ».

« Une femme a eu le courage de monter sur le Mont-Blanc ; cette femme est Française, elle se nomme Mlle d'Angeville [...]. Les guides qui ont accompagné cette demoiselle ne peuvent en dire assez sur le courage et la force avec lesquels elle a surmonté tous les obstacles de ce voyage difficile et périlleux.

Avant elle, une seule femme avait osé le tenter. C'était une paysanne de cette vallée, et encore, une fois au grand plateau elle ne voulait pas continuer, et on l'a portée de force jusqu'en haut. Mlle d'Angeville, au contraire, a conservé une présence d'esprit qui ne s'est pas démentie un seul instant ;  elle encourageait ses guides, elle a causé et plaisanté avec eux tout le temps. »

De nos jours, l’ascension du sommet des Alpes est un défi particulièrement prisé par les randonneurs. Au risque de la surfréquentation : 20 000 personnes tentent chaque année de le gravir, alors que l’escalade en est rendue toujours plus dangereuse par le changement climatique.

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Pour en savoir plus :

Graham Brown et Gavin de Beer, Mont Blanc, la véritable histoire de la première ascension, Éditions du Mont Blanc, 1957 (réédition 2023)

Gaston Rébuffat, Mont Blanc, jardin féérique : historique des ascensions du Mont-Blanc, Denoël, 1987

Claude Gardien, Une histoire de l’alpinisme, Glénat, 2021