1947 : Michèle Morgan conte son retour en France à Cinévie
Exilée aux États-Unis depuis la guerre, la grande « vedette » du cinéma Michèle Morgan conte aux lecteurs son voyage vers la France – en compagnie d'un inconnu, son mari américain.
Au mois de juillet 1947, Michèle Morgan est sans doute la plus grande actrice française en activité. Immense comédienne, inoubliable dans Le Quai des brumes avec Gabin, elle a reçu l’année précédente le tout premier prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour son rôle dans La Symphonie pastorale. Entre-temps, elle a quitté la France pour tourner cinq long-métrages à Hollywood. A l’été 47, elle embarque de New York en compagnie de son mari William Marshall pour regagner en paquebot la France, où l’attendent sa famille, ses nombreux admirateurs et une foule de reporters.
Plus qu’une énième interview, l’hebdomadaire de l’actualité cinéphilique Cinévie lui confie une double page rédigée par ses soins, où la vedette française revient, faussement innocente, sur son « beau voyage » par-delà l’Atlantique et ses projets en Hexagone. Elle se séparera de Marshall un an plus tard et reviendra s’installer en France, définitivement.
NOUS AVONS FAIT UN BEAU VOYAGE !
Nous nous excusons de présenter avec retard un reportage sur l’arrivée en France de Michèle Morgan, « Notre Divine » et de son mari William Marshall. Olga Horstig, notre collaboratrice et amie personnelle de Michèle, l’attendait à Cherbourg pour CINÉVIE. Ils devaient tous trois rentrer à Paris en passant par différents endroits choisis par Michèle, pour faire apprécier « sa » France par son mari.
C’est le récit et les impressions de ce premier voyage « en ménage » que nous vous présentons. Michèle Morgan a tenu à le rédiger elle-même par amitié pour les lecteurs de CINÉVIE.
Les photographies de ce reportage ont été prises par ses soins. Elles sont inédites et vous feront excuser le léger décalage de cette parution par rapport à la date de l’arrivée en France du couple célèbre. –NDLR
Oui, un beau voyage... surtout parce que c’est notre premier voyage ensemble en Europe, et aussi parce que je suis toujours très heureuse de revoir Paris.
Nous ne devions arriver qu’au mois d’août, mais comme je dois tourner à Londres, pour Alexandre Korda, sous la direction de Carol Reed, au mois de septembre, et, qu’ensuite, je serai occupée par le film que je ferai en France, sous la direction de Jean Delannoy, j’ai voulu avoir au moins un mois de liberté pour faire visiter la France à mon mari. C’est, en effet, la première fois qu’il vient ici.
C’est le 3 juillet que nous avons quitté Hollywood et notre petit Michaël. La première étape fut New York, où nous avons séjourné trois jours. Séjour agréable, mais fatigant, car entre les interviews organisées par la Fox, qui distribue les films de Korda en Amérique, les pièces de théâtre que nous avions envie de voir (et, pour commencer sur une note française, nous avons vu Cyrano de Bergerac) et, enfin, les amis, nous n’avons guère eu le temps de nous reposer avant rembarquement sur le S.S. America, le 9 juillet.
Le départ de New York en bateau est toujours une chose émouvante et impressionnante, avec cette vision grandiose de la statue de la Liberté. Et notre émotion était intensifiée encore par la perspective du terminus de notre voyage : la France.
La traversée fut très bonne et très agréable, car la vie sur un « palace flottant » ne manque pas d’attrait. C’est ainsi que nous avons vu en cours de route plusieurs films, notamment Possessed, où Joan Crawford est remarquable. Et puis, nous avons eu, par radio, une longue conversation avec notre fils.
– Où êtes-vous ? nous a-t-il demandé.
– En pleine mer...
– Est-ce que c’est joli ?
– Oh ! oui...
– Alors, apportez-moi des tas de surprises !
…Enfin, le 15 juillet, à vingt et une heures, nous sommes arrivés en rade de Cherbourg. J’ai beaucoup regretté que le bateau ne soit pas arrivé deux jours plus tôt, car j’aurais beaucoup aimé que Bill fasse connaissance avec le Paris du 14 juillet.
La nuit sur le bateau nous parut très longue, car nous étions impatients, lui, de connaître la France, et moi, de la lui montrer. Nous avons peu dormi, d’autant moins qu’à deux heures du matin, Bill eut la « bonne idée » de récapituler tout son vocabulaire français ! Nous avons eu aussi une visite : celle d’un journaliste.
C’était un homme d’un certain âge, charmant, avec une petite barbiche en pointe, le Français typique, tel qu’on le montre dans tous les films américains. Et cela m’a beaucoup amusée parce que c’était justement le premier Français que Bill rencontrait.
Le jour s’est levé et nous avons mis pied à terre. Encore une minute de véritable émotion. J’étais tellement heureuse que j’avais envie de sauter de joie.
Une surprise m’attendait : M. et Mme Roland Tuai, les producteurs de mon prochain film français, nous attendaient pour nous conduire à Paris en voiture. C’était le moyen rêvé pour montrer tout de suite à Bill quelques paysages de notre terre. Et, tout de suite, en effet, il s’enthousiasma sur la beauté de la Normandie, lui trouvant même une ressemblance avec son pays natal : le Kansas.
Après avoir visité la cathédrale de Bayeux et le musée célèbre qui possède la fameuse tapisserie historique de la conquête de l’Angleterre par les Normands, nous avons déjeuné dans un hôtel de la ville. J’ai retrouvé avec joie le goût de la ciboulette dans la salade !
Ensuite, nous avons repris la route et fait un détour pour voir le lieu du débarquement anglais : Arromanches. Puis ce fut Caen et la visite de l’abbaye aux Hommes, qui est une merveille. Un dernier arrêt à Lisieux pour boire du cidre, en attendant qu’on nous change un pneu éclaté à la voiture, et voici... Paris !
Pour faire une belle entrée, j’ai choisi le bois de Boulogne, l’ave nue du Bois, l’Etoile, les Champs-Élysées, et enfin, l’avenue George-V, où, déjà, on nous attendait. C’est avec plaisir que j’ai retrouvé des amis journalistes qui, je dois le dire, furent très compréhensifs, nous laissant très vite... nous reposer.
Notre première soirée, nous l’avons passée chez mes parents qui, après cinq ans d’attente, ont pu faire enfin connaissance avec leur gendre. Mais, pour ne pas leur montrer tous mes trésors à la fois, j’ai gardé Mikie pour le prochain voyage. La première étape de celui-ci est terminée.
Seconde étape : visite de Paris.
Troisième étape : un court séjour à Londres.
Quatrième étape : les vacances, avec Dieppe pour voir le reste de ma famille, une visite des châteaux de la Loire, et, enfin, la Côte d’Azur. Oui, nous faisons, Bill et moi, un beau voyage...