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1867 : Les premiers bateaux-mouches sillonnent la Seine

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Lorsque les premières navettes fluviales parisiennes font leur apparition, elles servent à désengorger la circulation dans la capitale. Mais cette nouveauté n’est pas sans provoquer quelques incidents plus ou moins dramatiques.

Le terme de « bateau-mouche » apparaît en France dans la seconde moitié du XIXe siècle pour qualifier les embarcations fabriquées sur les chantiers navals du quartier de La Mouche, au sud de Lyon, par la Compagnie des « Mouches ». Cette société de transport de passagers, créée en 1862, est alors dirigée par deux industriels lyonnais, Émile Plasson et Louis Elisée Chaize. Ils sont les inventeurs des premiers bateaux-omnibus.

Quelques années plus tard, en 1867, Émile Plasson remporte l’appel d’offre lancé par les organisateurs de l’Exposition universelle pour la desserte fluviale de Paris. Les bateaux-mouches, d’une capacité d’accueil de 300 à 400 passagers, apparaissent comme le meilleur moyen d’alléger la circulation très dense dans les rues de la capitale, en transportant les visiteurs de l’Exposition d’une rive à l’autre du fleuve.

Bientôt, une flottille de quelque trente bateaux-mouches sillonne la Seine pour le plus grand plaisir des Parisiens. Le Figaro donne un aperçu des mouvements des bateaux-mouches sur la Seine au mois de juillet 1867 :

«Il y a en moyenne, par jour, tant à la descente qu’à la remonte, 120 voyageurs entre le pont Napoléon, à Bercy, et le quai de la Grève ; 250 voyages entre le quai de la Mégisserie, l’Exposition et Auteuil, et 20 voyages entre le Pont Royal et la banlieue de Sèvres et Saint-Cloud.

Les dimanches et jours fériés, le nombre des voyageurs s’est élevé, dit-on, jusqu’à 40 000. […]

L'importation lyonnaise des Mouches aura eu à Paris autant de succès que l'importation non moins lyonnaise des cafés chantants. »

Pourtant, au cours des premiers mois, prendre le bateau-mouche peut s’avérer dangereux. Certains d’entre eux sont en effet la cible de projectiles envoyés de part et d’autre des rives de la Seine par des jeunes gens mal intentionnés. Le Petit Journal fait écho d’étranges événements survenus au printemps 1867 :

«Depuis quelques jours, les bateaux-mouches parisiens, après avoir traversé les ponts, recevaient, dès leur sortie des arches, des pierres, dont quelques-unes avaient blessé des voyageurs.

Ce fait se produisait alternativement à leur passage sous différents ponts. Avis en ayant été donné à la police, une surveillance fut organisée par des agents qui, hier, ont arrêté le nommé D…, âgé de seize ans, au moment où il venait de lancer une pierre.

Il a avoué qu’il était l’auteur de tous ces actes d’incroyable méchanceté qu’il considérait comme un amusement. »

Outre les garnements adolescents, les bateaux-mouches doivent dans un premier temps aussi faire face à de nombreux incidents techniques, comme le rapporte La Gazette de France :

«Le service des bateaux-mouches sur la Seine laisse à désirer.

Dans la seule journée d’avant-hier, deux accidents ont failli se produire : un bateau, qui revenait de l’Exposition, s’est trouvé arrêté par le tournant près le pont de Notre-Dame, et il a fallu que l’on portât secours aux passagers.

Au même moment, un autre bateau que descendait le fleuve s’en allait à la dérive vers le pont des Arts, la machine détraquée, et quand on essayait de jeter l’ancre, la corde cassait. Là encore, il a fallu opérer un sauvetage.»

Bateaux parisiens au pont des Arts, Agence Rol, 1921 - source : Gallica-BnF

Malgré ces premières mésaventures, les bateaux-mouches, de plus en plus ancrés dans le paysage de la capitale, s’avèrent vite un moyen de locomotion apprécié des Parisiens, comme le rapporte Le Petit Journal en 1868 :

«Les bateaux-omnibus, dont le service a été inauguré pendant l’Exposition universelle, sont entrés aujourd’hui complètement dans les habitudes parisiennes.

Le dimanche surtout, la Seine présente maintenant un spectacle des plus animés. Bateaux-mouches faisant un service régulier, actif et continuel sur toute l’étendue du parcours de la Seine à travers la capitale ; bateaux à vapeur de plaisance allant à Saint-Cloud, à Rouen et même au Havre.

Hier, dimanche, la foule faisait queue aux pontons des escales comme aux portes des théâtres les jours de première représentation, un bon nombre de passagers était obligé, pour pouvoir s’embarquer, d’attendre les bateaux qui se succédaient, il est vrai, à d’assez courts intervalles.

Quand la nuit commence, le public abandonne généralement la voie d’eau pour la voie de terre ou de fer. »

Avec l’arrivée du métropolitain dans Paris au début du XXe siècle, les bateaux-mouches seront peu à peu délaissés des Parisiens mobiles et sombreront dans l’oubli.

Ils referont toutefois surface après la Seconde Guerre mondiale lorsque sera créée, en 1949, la Compagnie des Bateaux-Mouches, dirigée par Jean Bruel. Ce dernier, après avoir racheté l’un des derniers bateaux-mouches créés en vue de l’Exposition de 1867, aura l’idée ingénieuse de proposer aux touristes de visiter la Ville Lumière par le biais de paisibles promenades sur la Seine.

Ces balades, qui font la joie des visiteurs de tous pays, existent évidemment toujours aujourd’hui.