On retrouve le Tatoué dans un concert donné au Jardin des Roses d’Enghien-les-Bains, à la fin du mois de septembre ; le 21 novembre, le voilà à l’Alcazar de Marseille. L’Opinion nationale souligne d’ailleurs la « bonne fortune » qu’il a eu d’être « métamorphosé en musée ambulant sous la main habile d’un artiste tartare », parce qu’il touche maintenant un « traitement de ministre », néanmoins peu vérifiable.
Son corps fait sensation : pour quelques mois, sa description devient l’affaire de tous, à la faveur d’une habile publicité des Folies-Bergère et d’une curiosité pour la pratique encore exotique du tatouage. Le Capitaine Costentenus se produira au Royal Aquarium de Londres dans les années 1880 ; puis une nouvelle fois à Paris en 1889, encore aux Folies-Bergère. Il deviendra surtout l’une des mythiques figures des « freak shows » de P. T. Barnum, avant que la fin de sa vie ne le voie replonger dans le mystère et l’anonymat.
Premier des phénomènes tatoués contemporains et professionnels, il ouvrira la voie à d’autres : La Belle Irène, Djita-Salomé, ou bien ces faux hommes tatoués de théâtre et de « chansonnettes comiques ». Le modèle de l’exhibition scientifique, du récit rocambolesque, du tatouage d’un Européen à la main d’un autre peuple et de la révélation triomphale de la peau est établi avec lui et par les instrumentalisations qui ont permis son succès.
En attendant, à la fin de l’année 1874, un personnage de « Tatoué » est intégré dans la revue de l’Alcazar parisien. Dans un élégant rappel de l’affiche de son spectacle original, c’est le même éditeur qui illustre celle des Bibelots de Paris. Il y présente son histoire rocambolesque dans une chanson où est habilement détourné le mythe des origines du Tatoué des Folies-Bergère ; exploration d’un corps qui a déchaîné les passions :
« Les Bédouins, sur la poitrine
M’ont peint un lièvre, un blaireau ;
Sur les bras, un’ martre zib’line
Un’ guenon, un lézard, un chameau »
–
Pour en savoir plus :
Anne et Julien (dir.), Tatoueurs, tatoués. Catalogue de l’exposition présentée au musée du Quai Branly à Paris du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015, Arles et Paris, Actes Sud et Musée du quai Branly, 2014
Henry Buguet, Les Bibelots de Paris. Revue en deux actes et quatre tableaux, Paris, Tresse, éditeur, 1874
Jane Caplan (dir.), Written on the Body. The Tattoo in European and American History, Londres, Reaktion Books, 2000
Nathalie Coutelet, « Les Folies-Bergère : une pornographie “select” », in : Romantisme, 2014/1, n°163, pp. 111-124
Christophe Granger, Joseph Kabris ou les possibilités d’une vie, 1780-1822, Paris, Anamosa, 2020
Gilles Havard, « Virilité et “ensauvagement”. Le corps du coureur de bois (XVIIᵉ et XVIIIᵉ s.) », in : Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°27, 2008, pp. 57-74
Nicolas Kluger et B. Cribler, « Kaposi, Hébraïque et l’homme tatoué de Birmanie », in : Annales de Dermatologie et de Vénéréologie, vol. 140, n°1, janvier 2013, pp. 72-74.
Kirsten Wright, « From Medical Marvel to Popular Entertainer: the Story of Captain Costentenus, “The Tattooed Greek Prince”, in Gillian Arrighi et Victor Emeljanow (dir.), in : A World of Popular Entertainments : an Edited Volume of Critical Essays, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2012, pp. 28-30.
–
Jeanne Barnicaud est doctorante en histoire contemporaine à l’université Paris I - Panthéon-Sorbonne. Elle travaille sur les pratiques et imaginaires du tatouage en France aux XIXe et XXe siècles.