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RetroNews | la Revue n°4
Quatre regards pour une histoire environnementale, un dossier femmes de presse, un chapitre dans la guerre, et toujours plus d'archives emblématiques.
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« Bon courage Willy Wolf ! » C’est sous les acclamations de 50 000 spectateurs qu’un plongeur polonais, boxeur à ses heures, s’élance (en feu !) du pont transbordeur de Nantes le 31 mai 1925. Après une série de cabrioles, le héros s’immerge dans la Loire. Remontera-t-il ?
Le 14 février 1925, le journal nantais Le Phare de la Loire annonce une « performance sensationnelle » :
« Nous apprenons que Willy Wolf l'athlète polonais bien connu, exécutera [...] le ‘saut de la mort’ du haut du Pont Transbordeur.
Entendez qu'il plongera de la passerelle dans la Loire, ce qui réalisera un joli plongeon de 53 mètres en profondeur. Jamais les Nantais n'ont été à même de voir une telle performance. »
C'est visiblement la première fois que Willy Wolf est cité dans le quotidien. Les articles successifs permettent d'en apprendre plus sur son identité. Willy Wolf est « né à Lodz en 1897, combattant sur le front français, dans la légion polonaise .»
« Il n'est pas qu'un plongeur prodigieux. C'est aussi un champion de boxe remarquable. »
A la fin du mois, le projet semble annulé, l'autorisation refusée. Le Phare continue pourtant à suivre les pérégrinations du jeune plongeur. En mars, il est ainsi à la recherche d'autres lieux pour y exécuter un plongeon. Et le 3 avril le quotidien annonce qu'il « vient de battre, à Rouen, le record du monde de ‘plongée de haut vol’. Il s'est élancé, en effet, dans la Seine du haut du Pont Transbordeur de Rouen (55 mètres). »
Willy Wolf quitte alors le cadre de la chronique locale pour devenir une figure nationale. Son exploit est notamment repris dans Le Quotidien du 1er avril 1925, avec une photographie. L'article explique d'ailleurs la tenue du plongeur à cause du danger de ce saut, où deux autres plongeurs s'étaient tués. Mais Willy Wolf « trompe la mort », tel est le sens de l'insigne qu'il porte sur son maillot. » Le 4 avril 1925, « Un instantané de la prouesse du polonais Willy Wolf » fait également la Une de L'Excelsior.
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Avec ce nouveau statut, naissent les premiers débats. La Revue française politique et littéraire le 19 avril 1925 s'interroge sur la pertinence de ses prouesses :
« Lors de sa dernière et téméraire prouesse, on eut toutes les peines du monde à l'empêcher d'imbiber ses vêtements d'essence et de les enflammer avant de sauter dans le vide. […]
Il pourrait peut-être employer une telle audace plus utilement. »
Mais cette réflexion ne semble pas altérer sa popularité nantaise. Au mois de mai, Le Phare de la Loire, annonce sous le titre « Toujours Willy Wolf » qu'il est de retour à Nantes pour s'attaquer à son Pont Transbordeur.
Dans les semaines qui suivent, la popularité du jeune polonais grandit encore. Lors d' « une noyade au pont de l'Hôtel de Ville » Le Phare de la Loire du 11 mai 1925 signale « la courageuse conduite du jeune plongeur polonais. Le sympathique athlète s'est employé pendant toute la soirée, hier, à la recherche du corps […] ».
Celle-ci se confirme lorsque le 14 mai 1915 le quotidien annonce :
« Cette fois, ‘ça y est’ : après s'être exercé – et comment ! – à Rouen, Willy Wolf le sympathique athlète polonais qu'on connaît bien, va se ‘produire’ à Nantes. Il a obtenu l'autorisation.
Nous l'avons vu ce matin, et, dans son style imagé, il nous a confié la chose, tout heureux. »
Si le premier rendez-vous est reporté, le 30 mai les acrobaties sont annoncées pour le lendemain.
Le 1er juin 1925, L'Excelsior explique que vers 17h20, devant vingt mille personnes, Willy Wolf a plongé dans la Loire :
« Le vent croit-on déportait le plongeur qui aborda l'élément liquide sur le côté. Étourdi par ce choc Willy Wolf reparut, néanmoins, à la surface.
On crut l'expérience réussie, mais quelques secondes plus tard, Wolff [sic] disparaissait à nouveau. On ne le revit plus. »
La mort de Willy Wolf fait la Une de nombreux titres nationaux. Dans la logique propre à l'écriture des faits-divers, l'article du Quotidien précise un « détail tragique » : sur la passerelle du pont, un jazz-band se faisait entendre et c'était Willy Wolff très pâle, qui, avant de se jeter à l'eau, avait demandé qu'on lui jouât un ‘dernier air.’ »
Le décès du jeune polonais confirme sa dimension nationale éphémère. Mais c'est logiquement les titres locaux qui y accordent la place la plus importante. L'Ouest-Éclair évoque une foule de 50 000 personnes et précise les circonstances du saut :
« Il avait déjà accompli avec une merveilleuse agilité l’ascension des tendeurs, s'arrêtant par moment pour se pendre la tête en bas. Il avait fait du trapèze sous le transbordeur aux applaudissements des spectateurs émerveillés et frissonnants, quand on le vit s'entourer le corps d'une sorte de ceinture – en réalité de l'étoupe imbibée de pétrole et y mettre le feu !...
Puis lâchant brusquement, Willy Wolf se ramassa sur lui-même, les mains allant rejoindre les pieds pour former comme un coin et tomba...
Au bruit que fit le corps à son contact avec l'eau, tout le monde se rendit compte de ce qu'avait dû être le choc.
Après quelques secondes, pendant lesquelles Willy demeura sous l'eau, on le vit réapparaître, mais pour couler presque aussitôt. On ne l'a pas revu. »
Le Phare de la Loire raconte que Willy Wolf vendait ses cartes postales de « l'homme qui trompe la mort » avant de grimper au sommet du pont avec son maillot noir à tête de mort. Le quotidien relate sa chute :
« C'est la chute, une chute terrible, durant laquelle, au lieu de tomber verticalement, il tourbillonne sur soi-même. Des cris montent de la foule angoissée.
Un bruit terrible, comme une grosse pièce de bois qu'on jette à l'eau. Il y a tant de monde qu'on ne peut voir ce qui se passe, là, dans l'eau.
Le corps a reparu, un instant à la surface. Puis plus rien... Il ne reparaîtra plus. »
Avec l'émotion de la mort de Willy Wolf, les titres nantais posent immédiatement la question des responsabilités de sa mort.
Dans les semaines qui suivent, les articles se concentrent sur la recherche des responsabilités du drame. Ces interrogations sont le lieu d'un jugement moral qui dépasse le cas de Willy Wolf. Dès le drame, Le Phare de la Loire s'interroge sur les autorisations accordées :
« Eh bien non, l'occasion ne devait pas lui en être fournie. Du sport tant qu'on voudra. Ce genre d'exercice n'est pas du sport. »
Le journal La Liberté fait le lien entre le contexte démographique d'après-guerre et le décès de Willy Wolf :
« Sa mort ne sert ni la science, ni le sport, ni l'humanité. Quand se décidera-t-on à interdire, inflexiblement ces exhibitions inutiles et malsaines ?
Moins que jamais, après l'horrible hécatombe dont l'Europe va rester exsangue pendant tant d'années encore, on a le droit de gaspiller des corps d'hommes. »
L'article se termine par une demande : « Au nom des millions de morts de la guerre, ne permettons jamais plus de pareils crimes ! » Il accuse également la mairie de négligence en démontrant les risques du saut, connus par la municipalité. Le texte pointe aussi le « plaisir sadique de la foule » et sa responsabilité morale :
« Cette foule – des milliers de personnes – qu'attendait-elle ? Quelle joie demandait-elle à ce spectacle ?
Le frisson de la mort frôlée, la chair de poule, ce hérissement léger, à fleur de peau, et cette sensation glaciale qui vous saisit à l'approche d'une catastrophe : le plaisir indigne de ceux qui stationnent autour de la guillotine, dans l'aube froide, sur le pavé gras, devant les murs ignobles d'une prison...
Un plaisir vil et lâche : la suavité d'être à l'abri, quand un autre va mourir... »
Ces enjeux prennent une place plus importante dans les colonnes du Phare de la Loire. Le 2 juin, le journal déplore que le corps de Willy Wolf ne soit pas retrouvé, constate qu'il « avait comme un pressentiment » et que c'est la responsabilité d'une partie de la foule de l'avoir poussé à sauter :
« Mais, d'en bas, des sifflets montèrent, des huées ! La foule n'a pas changé depuis les jeux du cirque. Dimanche, elle exigea le sacrifice. [...]
Parmi les gens honnêtes, qui étaient venus là parce qu'il fallait tout de même voir ‘ça’, et qu'il n'y avait vraiment rien d'autre, à Nantes, en cette fête de Pentecôte, pullulait la pègre de la Fosse […].
C'est elle qui conspua le trop consciencieux Willy Wolf. Et c'est pour ces voyous qu'il s'est tué. Pour l'autre public aussi, le public honnête – celui qui se presse, dans les cirques, avec l'inavouable promesse de trembler d'angoisse devant une acrobatie folle. »
A la dénonciation de l'attitude du public, le quotidien associe celle de la faune des « bas-fonds » du quai de la Fosse. La mort de Willy Wolf permet ainsi de dénoncer l'insécurité et la déchéance morale, dans la logique classique des faits-divers. Le titre pointe également la responsabilité de l'administration municipale qui accepte les acrobaties, comparée à « Ponce Pilate » en « voulant ignorer ce qu'il en adviendrait. »
Le débat se retrouve ensuite dans une lettre envoyée au quotidien et reprise dans plusieurs journaux. Signée par un « Nantais moyen » elle dénonce qu'il est « incontestable que la municipalité nantaise a encouru une lourde responsabilité morale en se désintéressant complètement des conséquences possibles d'une exhibition autorisée par elle. » Et conclut :
« Et ne me dites pas que l'ad-mi-nis-tra-tion n'a pas la tutelle des fous. Il faudrait alors, sur nos ponts, sur nos promenades comme la rue de l'Ermitage, supprimer les... garde-fous. En réalité, il n'y a pas d'excuses. »
Le 20 juin 1925, l'interdiction par la municipalité du film de la mort de Willy Wolf, dont Le Phare se félicite car générateur de « curiosité malsaine », alimente à nouveau le débat mais voit le film comme une opportunité :
« Puisque l'autopsie du corps n'a pas été pratiquée, par la projection du film au ralenti, des experts ne pourraient-ils pas, nous le répétons, élucider la fin tragique de Willy Wolf ? Nous posons la question. »
C'est avec cette interrogation que se clôt le débat au sein de la chronique locale nantaise. Le repêchage du corps de Willy Wolf, quelques jours après le drame illustre la popularité locale de Willy Wolf , le « Brave Willy ! » qui « par deux fois s'était jeté dans le fleuve pour arracher un Nantais et une Nantaise qui se noyaient ».
Si Willy Wolf et les débats sur sa mort disparaissent ensuite des colonnes de la presse nantaise, il restera longtemps présent dans la mémoire locale.
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Damien Cailloux est historien, spécialiste des représentations et de l’imaginaire des ports aux XIXe et XXe siècles. Il enseigne dans le secondaire et à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers.