1924, les premiers Jeux Olympiques d’hiver à Chamonix
Alors que les sports d’hiver se développent progressivement, la France organise les tout premiers Jeux d’hiver en 1924 à Chamonix, marquant ainsi un moment décisif dans l’histoire des sports de neige et de glace.
En 1924, la France accueille, à quelques mois d’intervalle, les Jeux d’hiver et d’été. Ces Olympiades sont une démonstration de puissance d’un pays sorti vainqueur mais en partie ruiné par la Première Guerre mondiale.
Le projet des Jeux d’hiver et la question de leur statut
Les Français Justinien de Clary et Melchior de Polignac sont les premiers à suggérer l’idée d’un double accueil des Jeux au Congrès olympique international, au début des années 1920. La proposition est d’abord rejetée par les pays nordiques qui organisent tous les quatre ans depuis 1901 le Nordiska Spelen, les « Jeux du Nord ». Mais les pays dits du « bloc alpin » – Suisse, France et Italie – soutiennent activement le projet. Ménageant les uns et les autres, le Congrès accepte finalement l’organisation d’une « Semaine internationale du sport d’hiver à l’occasion des Jeux olympiques de 1924 », considérant pour des raisons diplomatiques qu’il était préférable de ne pas parler de « Jeux Olympiques d’hiver » ou de « Jeux d’hiver ». Les historiens du sport Patrick Clastres, Paul Dietschy et Serge Laget parlent ainsi de « jeux qui ne veulent pas dire leur nom ».
Les compétitions à Chamonix ne sont donc pas considérées comme des Jeux olympiques d’hiver mais comme une partie du tout que sont les Jeux Olympiques de Paris. En avril 1923, L’Auto écrit :
« Il fut décidé, à Rome, que tous les sports se disputeraient au même endroit, c’est-à-dire à Paris, lors des Jeux de 1924, à l’exception des Sports d’Hiver, qui auront lieu à Chamonix. »
C’est ce qu’explique également en décembre 1923 Le Miroir des sports qui présente la compétition comme un prélude, un hors-d’œuvre des Jeux estivaux. Aussi, les articles de la presse française ne séparent pas toujours Jeux d’hiver et Jeux d’été, notamment pendant la phase de préparation. La dénomination de l'événement reste quelque peu floue : on parle des « Jeux d’Hiver » dans le titre d’un article de L’Auto en décembre 1923 et de « semaine olympique de Chamonix » dans le corps du texte, tandis que L’Action parle simplement des « Jeux d’hiver à Chamonix ». La presse ne tient donc pas vraiment compte de la dénomination officielle.
D’importants investissements sont engagés dans la construction des infrastructures nécessaires aux épreuves de cet événement international. Afin de rendre l’endroit spectaculaire pour les Jeux Olympiques, la vallée et plus spécifiquement la ville de Chamonix est métamorphosée par de grands travaux en une ville sportive, « répondant aux besoins des sports modernes ». Cependant l’État français, qui subventionne cependant le Comité international olympique (CIO), n’apporte qu’une très faible aide financière : Chamonix se retrouve ainsi à devoir payer les deux tiers de l’organisation des jeux.
Est construite en premier lieu une patinoire qui devient alors la plus grande patinoire artificielle du monde, équipée de vestiaires et de gradins pour plusieurs milliers de spectateurs. On érige aussi des tremplins de saut, dessinés et réalisés pour des records du monde, ainsi que des pistes de bobsleigh à dix-huit virages, d’une longueur totale de 1760 mètres. Ce « magnifique effort » est largement salué, tant par la presse française que par une délégation du CIO qui visite les lieux en octobre.
Quel défi également que d’accueillir les 16 nations qui vont s’engager progressivement à participer ! « Y aura-t-il assez de neige et de glace pour tout le monde ? », se demande L’Auto à un mois de l’ouverture. Une gare est spécialement construite afin d’assurer la présence de spectateurs sans trop gêner les habitants de la région, la municipalité assurant le transport de toutes les manifestations olympiques, et même les P.T.T. se mobilisent pour assurer la communication des Jeux.
Les craintes de manquer de logements sont, elles, vite écartées : le Comité et la ville mobilisent les hôteliers de la vallée, si bien que l’hôtel Le Majestic est réquisitionné et accueille les congrès internationaux. On va jusqu’à envisager à un moment de construire des annexes d’hôtel qui seraient démontables, afin d’augmenter la capacité d’accueil.
Le succès grandissant des sports d’hiver
D’autres débats portent sur le choix et l’appréciation des disciplines sélectionnées, et posent la question de la définition de ce qu’est un « sport d’hiver ». Les journalistes distinguent alors en général les « sports de démonstration », peu considérés, des prestigieux « sports de compétition ».
Dans l’article « Les Jeux Olympiques à Chamonix » de La Revue française politique et littéraire, publié après la compétition (2 mars 1924), Philippe Doré qualifie de « jeux innocents » le patinage de figures, un sport qu’il juge sans doute trop féminin. La présence de ces sports « de démonstration » explique sans doute d’ailleurs que des femmes puissent concourir aux épreuves, alors que la participation féminine aux Jeux d’été n’est permise qu’en 1928.
En revanche, toujours pour Doré, les hommes pratiquent « les grands sports admirables » que sont le hockey – pour lequel il regrette que la France ait fait « piètre figure » –, le patinage de vitesse, la course ou encore le saut à ski. Il ajoute : le « Comité Olympique a accepté pêle mêle de simple jeux et de splendides sports athlétiques ». Quant à Gabriel Hanot, qui écrit pour Le Miroir des sports, seuls le ski, le hockey et le patinage de vitesse sont de « véritables compétitions sportives ».
Qu’il soit masculin ou féminin, le patinage est donc largement vu, non comme un véritable sport, mais comme de simples acrobaties ou de la danse, dont le caricaturiste Emery Kelèn se moque ouvertement dans ses « impressions » des Jeux. Le curling, « très paisible jeu de boules sur la glace » selon Hanot, le bobsleigh et la luge subissent le même traitement. Ces disciplines relèveraient même plus du « music-hall » que de la compétition olympique, au regard d’André Glarner.
Selon Patrick Clastres, Paul Dietschy et Serge Laget, si les sports de glace comme le patinage sont présents aux Jeux Olympiques d’hiver, c’est en partie dû à l’influence scandinave, mais également parce qu’après la guerre le sport en général constitue un divertissement pour oublier les atrocités du conflit, d’où un attrait évident pour le sport spectacle.
Cependant, l’essor des sports d’hiver en France a paradoxalement été influencé par la pratique du ski des chasseurs alpins pendant la Première Guerre mondiale. L’apparition de la pratique militaire du ski en France est en effet liée à la nécessité d’avoir des soldats capables de se déplacer efficacement en montagne, mais également à la volonté de concurrencer les chasseurs italiens qui ont adopté le ski dès les années 1890. En 1906 le Club alpin est créé, et dès l’année suivante ont lieu à Sappey-en-Chartreuse et Montgenèvre les premiers concours de ski, suivis en 1908 de Chamonix, auxquels participent trois équipes militaires – française, suisse et norvégienne.
La pratique militaire constitue donc un vecteur important de diffusion de ces sports. C’est d’ailleurs l’adjudant Mandillon, capitaine de l’équipe militaire française, qui prononce le serment olympique le jour de l’inauguration des Jeux le 25 janvier 1924.
Le déroulé des Jeux de Chamonix
Le Sport ouvrier, organe communiste de la Fédération sportive du travail et lié à l’Internationale syndicale rouge, décrit avec ironie l’ensemble des Jeux et relève de façon mordante la faible performance de l’équipe militaire française à la course de ski :
« Dix-neuf minutes et quinze balles dans la vue au concours militaire de ski ; ça, c’est quelque chose. Et dire que nous avons gagné la guerre !
Décidément, nous ne sommes pas faits pour le ski et les 50 kilomètres se sont presque passés sans nous. »
Car même si les communistes boudent ces sports bourgeois et que les sports d’hiver sont loin de la popularité dont jouissent la boxe ou le football, la plupart des grands journaux, qui ont désormais leur rubrique sportive, couvrent l’événement – à commencer par L’Auto, apparu dès 1900, et l’hebdomadaire illustré Le Miroir des Sports.
Le Comité Olympique et Chamonix font aussi tout pour promouvoir les Jeux et faciliter le travail des journalistes : « La presse a installé une permanence au Chamonix-Palace, où parviennent matin et soir les communiqués officiels des épreuves », selon Le Journal du 2 février 1924. Roger Frison Roche, premier secrétaire des Jeux de Chamonix, estime ainsi accueillir près de 200 journalistes, qui peuvent rédiger leurs papiers en direct.
La compétition fait par conséquent l’objet de plusieurs centaines d’articles entre octobre 1923 et février 1924. Le déroulé des Jeux, qui s’étalent du 25 janvier au 5 février, est décrit jour après jour, et les envoyés spéciaux des journaux généralistes se transforment alors en véritables commentateurs sportifs : on fait des pronostics, on choisit ses favoris dans chaque discipline, on raconte l’arrivée des équipes, on relate la course de bobsleigh et ses accidents spectaculaires ou encore le triomphe du norvégien Thorleif Haug sur l’épreuve du 18 km.
La presse nomme les athlètes qui se démarquent, mais contrairement aux Jeux d’été avec Johnny Weissmuller, aucun vedettariat n’émerge vraiment – si ce n’est peut-être autour de la toute jeune patineuse norvégienne âgée d’onze ans, Sonja Henie, qui termine dernière mais obtiendra une médaille olympique en 1928.
Ainsi, malgré des conditions atmosphériques hostiles quelques jours avant le commencement, les Jeux se déroulent sans anicroche majeure et sont une réussite.
Bilan et postérité
Après la fin des Jeux, le 8 février 1924, le journaliste de Paris-Soir, bien que se plaignant un peu des douze jours consécutifs d’épreuves, de discours et de banquets, évoque des au revoir difficiles où « des larmes furent versées ». Outre le caractère sportif de l’événement, les compétitions semblent avoir eu une fonction fédératrice : « on sentait en chacun le regret de se séparer, après d’aussi belles journées où souffla vraiment un vent de grande fraternité sportive et… internationale ».
Pour autant, à l’heure du bilan, certains journaux français jugent insuffisants les retombées économiques et l’impact international. Pour L’Œuvre, les résultats de la France en ski sont décevants. Il faut répandre « le goût du ski partout en montagne, doter les écoles de quelques engins, favoriser l’organisation de sociétés et de concours ». Par ailleurs,
« Sur le demi-succès commercial de la quinzaine olympique de Chamonix on a tout dit : propagande insuffisante ou maladroite. »
Au contraire, L’Action ou Le Miroir des sports considèrent que ces Jeux « auront laissé à tous le souvenir d’une manifestation réussie ». Toutefois, Gabriel Hanot nuance aussitôt cette conclusion, en évoquant tout d’abord des règlements compliqués qui auraient freiné l’attrait des spectateurs et expliqueraient les faibles recettes (120 000 francs pour 3,5 millions engagés). Le journaliste termine lui aussi en espérant que l’attrait pour ces sports augmente encore auprès des montagnards. Comme L’Œuvre, il appelle ainsi de ses vœux à la création d’une Fédération française de ski, qui voit effectivement le jour dans les mois qui suivent. Et les retombées touristiques sont malgré tout importantes pour la ville de Chamonix qui continue de construire des équipements jusqu’en 1927.
Les critiques les plus substantielles restent portées par la presse communiste. Dans les années 1920, elle prend soin de distinguer le sport bourgeois du sport ouvrier, préférant les sports d’équipe et dénonçant les intérêts économiques qui se cachent derrière les déclarations du Comité Olympique et des hommes politiques. Les critiques de L’Humanité sont donc féroces, aussi bien sur le plan sportif que politique. Dès le 29 janvier, le quotidien titre « Ça ne rend pas… à Chamonix » : les « sports de riches » n’intéresseraient ni la classe ouvrière, ni les « vrais sportifs », malgré l’abondance de nouvelles dans la presse et les efforts des hôteliers de Chamonix pour attirer du monde. Perspective confirmée par un article paraissant le lendemain de la fin des Jeux, qui remue le couteau dans la plaie : non seulement les sports n’auraient intéressé personne, sinon les « snobs cacochymes », mais ils auraient été un fiasco commercial. À quoi ont donc servi ces jeux ? Seulement à satisfaire les égos du Comité Olympique en se moquant des sportifs.
Du côté du comité, la controverse sur le nom donné à l'événement est finalement close en mai 1925 lors du congrès olympique de Prague. Les pays nordiques, sortis largement vainqueurs des jeux de Chamonix, votent finalement pour l’institution de Jeux Olympiques d’hiver. La « Semaine internationale du sport d’hiver à l’occasion des Jeux Olympiques de 1924 » devient alors officiellement les « Jeux Olympiques d’hiver de 1924 », et les vainqueurs des épreuves sont sacrés champions olympiques, bien que ce titre leur ait déjà été attribué par la presse. Cette intégration des Jeux d’Hiver dans les Olympiades établit par ailleurs la distinction entre les Jeux d’été et les Jeux d’hiver qui seront désormais disputés dans deux pays différents. Les Jeux du Nord, ou Nordiska Spelen, sont disputés une dernière fois en 1926. Au cours des décennies suivantes, les Jeux de neige auront en fait surtout lieu dans les vallées alpines.
Les jeux de Chamonix ont donc in fine joué un rôle majeur dans l’histoire des Olympiades, en popularisant les sports d’hiver et en permettant d’institutionnaliser les Jeux d’hiver. En 1928, 25 pays se rencontrent lors des épreuves olympiques. Les 16 nations présentes en 1924 sont à nouveau au rendez-vous, accompagnées notamment de l’Allemagne, exclue des Jeux en 1924 du fait de la Grande Guerre, ainsi que pour la première fois de plusieurs pays sud-américains et d’un pays asiatique, le Japon. Si la France reste un acteur majeur de ces Jeux, c’est la station suisse de Saint-Moritz qui remporte finalement l’organisation de l’Olympiade.
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Pour en savoir plus :
CLASTRES Patrick, DIETSCHY Paul, LAGET Serge, La France et l’Olympisme, Paris, ADPF, 2004.