Séquence pédagogique

Vers la seconde abolition de l’esclavage en France (1814-1848)

le par - modifié le 13/05/2024
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22 mai 2020, deux statues du militant abolitionniste Victor Schœlcher sont détruites en Martinique. Deux mois plus tard, une autre statue du même homme est déboulonnée en Guadeloupe et en Guyane. Ces actions contestataires s’inscrivent dans un conflit mémoriel qui refuse de célébrer les seuls abolitionnistes de la métropole, et proteste contre l’invisibilisation des esclaves qui ont été également les acteurs des mouvements d'émancipation qui se sont opérés. Pour nourrir les programmes qui placent le thème de l’abolition de l’esclavage au moment où démarre la IIe République, retour sur les décennies qui ont précédé pour observer à travers la presse la manière dont la contestation s’est structurée.

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Quatrième histoire (« L'Europe et le monde au XIXe siècle : L'Europe et la révolution industrielle »)

Première Générale histoire (« Thème 1 : L’Europe face aux révolutions » - « Chapitre 2. L’Europe entre restauration et révolution (1814-1848) » et « Thème 2 : La France dans l’Europe des nationalités : politique et société (1848-1871) » - « Chapitre 1. La difficile entrée dans l’âge démocratique : la Deuxième République et le Second Empire »)

Première technologique histoire (« Thème 2 : Les transformations politiques et sociales de la France de 1848 à 1870 » - « QUESTION OBLIGATOIRE A :  l’affirmation des grands principes démocratiques et républicains en 1848 (instauration du suffrage universel masculin, abolition de l’esclavage »)

Première professionnelle histoire (« Hommes et femmes au travail en métropole et dans les colonies françaises (XIXe siècle-1ère moitié du XXe siècle) – repères : 1848 : Ateliers nationaux et seconde abolition de l’esclavage en France. »)

Introduction

« Jusqu’ici, nous n’avons décrété la liberté qu’en égoïstes et pour nous seuls. Aujourd’hui, nous proclamons à la face de l’univers – et les générations futures trouveront leur gloire dans ce décret –, nous proclamons la liberté universelle ! ». Le 4 février 1794, quand Danton, lors de la séance de la Convention qui abolit l’esclavage, prononce ce discours, la France est alors la première grande puissance esclavagiste à l’abolir.

Néanmoins, moins d’une génération plus tard, le 20 mai 1802, le consul Bonaparte rétablit l’esclavage dans les colonies et lance une répression féroce dans les territoires qui le refusent, à Saint-Domingue et en Guadeloupe. Si Saint-Domingue tient en échec l’armée envoyée par la métropole et devient en 1804 la république d’Haïti, première colonie d’esclaves noirs à prendre son indépendance, les autres territoires subissent à nouveau la servitude.

La chute de l’Empire en 1814 et le rétablissement de la monarchie en France ouvrent ainsi la voie à un deuxième mouvement antiesclavagiste jusqu’à l’abolition définitive le 27 avril 1848, alors que se met en place la IIe République. Les deux abolitions que la France a connu sont alors le résultat de la convergence entre le courant abolitionniste en métropole et la résistance des esclaves eux-mêmes.

En métropole, des engagement individuels qui se heurtent à la lenteur des décisions politiques (1814-1848)

Malgré la déclaration du Congrès de Vienne du 8 février 1815, voulue par le Royaume-Uni, qui condamne la traite des esclaves, et la confirmation de son interdiction par Louis XVIII en 1817, la France de la Restauration poursuit ce commerce. Elle devient même la première puissance dans ce domaine, avec le retrait britannique. Entre 1815 et 1830, on estime que plus de sept cents navires français ont pratiqué la traite des esclaves. La Société de la morale chrétienne, créée en 1821, fait d’ailleurs de la lutte contre ce commerce illégal un de ses combats.

Document 1 : La traite dénoncée par Benjamin Constant à la Chambre des députés le 27 juin 1821

« La traite se fait : elle se fait inpunément. Ou sait la date des départs, des achats, des arrivées. On publie des prospectus pour inviter à prendre des actions dans cette traite, seulement on déguise l’achat des esclaves en supposant des achats de mulets sur la cote d’Afrique, où jamais on n’acheta de mulets. La traite se lait plus cruellement que jamais parce que les capitaines négriers, pour se dérober à la surveillance recourent à des expédiens atroces, pour faire disparaître les captifs. Voyez les rapports officiels relatifs a la Jeune Estelle, 14 nègres y étaient à bord : le vaisseau est surpris ; aucun nègre ne se trouve; on cherche vainement ; enfin un gémissement sort d’une caisse, on ouvre, deux jeunes filles de 12 à 14 ans y étaient ; et plusieurs caisses de la même forme et de la même dimension venaient d’être jetées à la mer.

M. benjamin Constant termine ainsi : Lorsque les Anglais prennent et confisquent les vaisseaux négriers, ils émancipent les nègres. Quand on a demandé à M. le ministre ce qu’on faisait des nègres confisqués au Sénégal, il a répondu qu’ils devenaient la propriété du gouvernement, et se livraient aux travaux de la colonie. À travers cette expression si douce, Messieurs, une vérité perce, c’est que malgré les promesses, les traités , les ordonnances royales, la traite se fait au profit du gouvernement ; il recueille le sanglant héritage des criminels qu'il frappe, et les nègres , en levés à leur patrie au mépris des lois, deviennent esclaves. »

- Extrait du journal La Quotidienne, 28 juin 1821, p. 3.

Questions 1 et 2 à partir du document 1 :


1) Présentez l’auteur de ce discours à la Chambre.

2) Comment expliquer que cette traite se poursuive malgré les traités et ordonnances qui la condamnent ?

 

La France compte peu d’abolitionnistes se consacrant uniquement à cette cause. Si le journaliste et militant républicain, Victor Schœlcher (1804-1893) est bien connu, un des pionniers de ce combat est Cyrille Bissette (1795-1858). Né à Fort-de-France (Fort-Royal alors) en Martinique, métis, libre de couleur, neveu de Joséphine de Beauharnais, il est négociant avant de s’engager dans la lutte contre l’esclavage. Son action politique commence après 1823-1824 et ce que l’on appelle alors « l’affaire Bissette ».

Deux exemplaires d’une brochure en faveur de l’égalité des libres de couleur avec les Blancs (De la Situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises), publiée légalement en France, sont retrouvés chez lui. Avec deux autres négociants martiniquais, également libres de couleur, Louis Fabien et Jean-Baptiste Volny, il est alors accusé d’avoir voulu fomenter une insurrection d’esclaves. Condamnés au bagne à perpétuité en janvier 1824, marqués au fer rouge, les trois hommes se pourvoient en cassation et trouvent des soutiens en France parmi les libéraux. Le nouveau procès se tient en 1826 devant la Cour Royale de Guadeloupe et conclut à l’acquittement de Fabien et Volny et au bannissement pour dix des colonies de Bissette.

Document 2 : Le procès en appel de Cyrille Bissette, libre de couleur martiniquais

« Arrivés en France le 18 avril 1824 ; ils déposèrent une protestation au tribunal de première instance, et chargèrent MMes Chauveau-Lagarde et Isambert de poursuivre leur recours en cassation. [...]

Dans sa péroraison, M" Chauveau -Lagarde établit que la cassation de l’arrêt attaqué, loin de mettre la colonie en danger, fera cesser une terreur funeste, ramènera l’harmonie entre les diverses classes de la colonie, et sera comme le présage d’une législation meilleure. Il termine en ces mots : "En lisant l’arrêt rendu au nom de Charles X, à ce nom sacré pour tous les cœurs français, les colons seront désormais, les hommes de couleur ne seront plus pour eux que des frères, comme la religion le leur apprend ; et lorsqu’il sera fait droit aux demandes des hommes de couleur, par leur assimilation aux blancs, la colonie , pour être plus libre, n'en sera pas moins heureuse. Tel est au moins le vœu que je forme au nom de tous les bons Français ; et si jamais j’apprends qu’il soit réalisé, je serais heureux d’y avoir participé , en défendant une cause qui doit terminer devant vous ma carrière. »

- Extraits de la Gazette nationale ou le Moniteur universel, 30 septembre 1826, p. 3 et p. 4

Questions 3 et 4 à partir du document 2 :


3) Quels arguments et expressions utilisent les avocats dans leur plaidoirie ? En quoi peut-on dire que ce discours a une résonance qui dépasse le cas des libres de couleur ?

4) Comment ces deux procès peuvent-ils expliquer la radicalisation du combat de Cyrille Bissette contre l’esclavage ?

Banni pour dix ans des colonies en 1827 après ce procès en appel, Bissette s’installe à Paris et devient un ardent défenseur de l’émancipation des esclaves et de l’égalité entre les libres de couleur et les colons blancs. Il crée en 1832 une Société des hommes de couleur et en 1834 un journal, la Revue des colonies.

Le nouveau régime de Louis-Philippe (1830-1848) qui s’installe après la révolution de 1830 donne un cadre politique plus libéral et agit alors en faveur de l’égalité des droits des libres de couleur. Plusieurs lois sont mises en place entre 1830 et 1833. Par ailleurs, une loi de 1832 simplifie les affranchissements. Ces derniers progressent rapidement. Néanmoins, l’abolition de l’esclavage reste toujours en suspens, alors que Bissette réclame dès 1834 l’abolition « complète et immédiate » de l’esclavage.

À la suite de l’abolition anglaise de 1833, le mouvement abolitionniste français se structure. Il s’appuie toujours sur des questions morales, mais des ressorts économiques se rajoutent dans ce premier XIXe siècle à l’industrialisation naissante. L’idée que l’esclavage ne serait pas rentable se diffuse.

Ce courant reste toujours le fait d’une élite politique et compte sur l’action parlementaire pour faire avancer sa cause. En 1834, la Société pour l’abolition de l’esclavage est créée. Elle est avant tout formée de modérés, notamment d’hommes politiques impliqués dans des missions ministérielles sur la question. Présidée par le duc Victor de Broglie (gendre de Germaine de Staël), on trouve parmi ses membres l’économiste Passy (vice-président), Lamartine, La Fayette, Tocqueville, ou l’avocat Isambert. Dès 1835, la Direction des colonies du ministère de la Marine commence à réfléchir à un plan d’émancipation. Des propositions sont également présentées par diverses commissions devant les Chambres, entre 1838 et 1845.

Document 3 : Tocqueville présente une proposition d’émancipation devant la Chambre des députés en 1839

« M. de Tocqueville s'exprime ainsi :

"La plupart de ceux qui, jusqu'à présent, se sont occupés de l'esclavage, ont voulu en montrer l'injustice ou en adoucir les rigueurs.

La commission au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler, a reconnu, dès les premiers jours de son travail, que sa tâche était tout à la fois plus simple et plus grande.

On a quelquefois prétendu que l'esclavage des nègres avait ses fondemens (sic) et sa justification dans la nature elle-même. On a dit que la traite avait été un bienfait pour la race infortunée qui la subie, et que l'esclave était plus heureux dans la tranquille paix de la servitude qu'au milieu des agitations et des efforts que l'indépendance amène.  La commission n'a pas, Dieu merci, à réfuter ces fausses et odieuses doctrines. L'Europe les a depuis longtemps flétries ; elles ne peuvent servir la cause des colonies, et ne sauraient que nuire à ceux des colons qui les professeraient encore.

La commission n'a pas non plus à établir que la servitude peut et doit avoir un jour un terme. C'est aujourd'hui une vérité universellement reconnue, et que ne nient point les possesseurs d'esclaves eux-mêmes.

La question qui nous occupe est donc sortie de la sphère des théories pour entrer enfin dans le champ de la politique pratique. Il ne s'agit point de savoir si l'esclavage est mauvais, et s'il doit finir, mais quand et comment il convient qu'il cesse. [...]

CONCLUSION DE LA COMMISSION

1° Dans la session de 1841 il sera proposé un projet de loi qui fixera l'époque de l'abolition générale et simultanée de l'esclavage dans les colonies françaises ;

2° Ce projet de loi déterminera quelles seront lés indemnités qui seront dues en conséquence de cette mesure, et assurera la remboursement à l'état, au moyen d'un prélèvement sur le salaire des nouveaux affranchis 

3° Le même projet posera les bases d'un règlement destiné à assurer le travail, à éclairer et à moraliser les affranchis, et à les préparer aux habitudes du travail libre. »

- Extraits La Presse, 13 octobre 1839, p. 2 et p. 3

 

Document 4 : Une pétition sur l’abolition de l’esclavage présentée à la Chambre des députés en 1844

Les pétitions à la Chambre sont un autre moyen d’action. Peu nombreuses en comparaison avec les pétitions anglaises, elles se multiplient cependant sous la monarchie de Juillet, notamment initiées par des républicains.

« Messieurs les Députés,

Les soussignés, ouvriers de la capitale, ont l’honneur, en vertu de l’article 45 de la Charte constitutionnelle, de venir vous demander de vouloir bien abolir, dans cette session, l’esclavage. Cette lèpre, qui n’est plus de notre époque, existe cependant encore dans quelques possessions françaises. L’esclavage dégrade autant le possesseur que le possédé. C’est pour obéir au grand et religieux principe de la fraternité humaine que nous venons vous faire entendre notre voix en faveur de nos malheureux frères, les esclaves. Nous éprouvons aussi le besoin de protester hautement, au nom de la classe ouvrière, contre les dires des souteneurs de l’esclavage, qui osent prétendre, eux qui agissent en connaissance de cause,que le sort des ouvriers français est plus déplorable que celui des esclaves. Aux termes du Code noir, édit de 1685 (art. 22 et 25), les possesseurs doivent nourrir et habiller leur bétail humain. [...]

Quels que soient les vices de l’organisation actuelle du travail en France, l’ouvrier est libre, sous un certain point de vue, plus libre que les salariés défenseurs des possesseurs de la propriété pensante. L’ouvrier s’appartient ; nul n’a' le droit de le fouetter, de le vendre, de le séparer violemment de sa femme, de ses enfants, de ses amis. Quand bien même les esclaves seraient nourris et habillés par leurs possesseurs, on ne pourrait encore les estimer heureux. »

- Extraits de L'Atelier, 1 février 1844, p. 16

Questions 5, 6 et 7 à partir des documents 3 à 4.


5) Quels sont les acteurs et les moyens utilisés dans ces deux documents pour promouvoir l’émancipation ?

6) Quels sont les arguments utilisés dans ces deux documents ?

7) Dans le document 4, que dire des recommandations finales sont faites par la commission ?

La résistance des esclaves eux-mêmes dans les colonies (1814-1848)

À côté de l’action des abolitionnistes dans le champ politique français, il ne faut jamais oublier le rôle essentiel des esclaves eux-mêmes et leurs actes de résistance.

Il peut s’agir d’actes individuels de contestation, à l’image de l’esclave Romain arrêté en 1848 pour avoir bravé l’interdit et joué du tambour pendant les heures de travail. Les manifestations de cette résistance sont multiformes.

On peut citer les insurrections d’esclaves (par exemple la révolte du Carbet à la Martinique en 1822), les fuites des plantations (le marronnage), l’agitation entretenue par les nouveaux affranchis ou les plaintes devant la justice pour mauvais traitements.

L’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques provoque également à partir de 1834 une hausse importante des fuites d’esclaves vers ces territoires qui offrent désormais la liberté.

Document 5 : Lettre d’un notable de Guadeloupe datée du 24 septembre 1844 sur des incendies ayant lieu dans la colonie

« Les tentatives d’incendie se renouvellent chaque jour. Le feu a été mis sur quatre habitations à la fois, dans le quartier de Sainte-Rose, et des charbons ardents, trouvés dans les matelas du maire de cette commune, ne permettent plus à personne d’attribuer au hasard des sinistres si souvent répétés. Lacharriere a eu une case à bagasse entièrement incendiée, et, cette semaine encore, le feu a été mis deux fois de suite sur une habitation du quartier des Trois-Rivières, celle de M. Gagneron, je crois. Je ne parlerai pas de la Basse-Terre ; il serait trop long d’énumérer ici toutes les nouvelles tentatives d’incendie faites sur ce qui reste de cette malheureuse ville. Cependant, depuis quelques jours, nous sommes plus calmes. Cette amélioration est due à l’active surveillance d’un chacun et aussi à la bonne attitude des troupes. Mais la garnison, insuffisante déjà par le nombre, est décimée par la maladie. D’un autre côté, la milice est désorganisée, la justice est morte ; le service de surveillance est insuffisant, et les brochures des philantropes d’Europe sont exportées par la ville et la campagne, excitant les esprits et allumant les torches... Si vous n’avez pas ces brochures, vous n’avez qu’à parler, je vous en enverrai par ballots.

Si l’on a lu ces lettres avec l’attention qu’elles méritent, on a vu qu’elles s’accordent à proclamer l’incendie de la Basse-Terre l’œuvre de la malveillance, et qu’il y est beaucoup parlé de brochures qui excitent les esprits et allument les torches. Il y a en effet, à l’heure qu’il est, à la Guadeloupe, et répandus à un très grand nombre d’exemplaires, des écrits infâmes qui conseillent aux noirs l’incendie et l’assassinat, pour en finir plus vite. Ces écrits ont précédé dans les colonies la dernière catastrophe qui a englouti la Basse-Terre. Le feu éteint, on a continué a les colporter, et les maisons se sont allumées de nouveau. Nous ne ferons pas à ces écrits l’honneur de les citer dans nos colonnes. Nous ne voulons pas que notre plume trace les noms de ces écrivains qui travaillent dans l’obscurité, de leur personne et de leurs complots, à l’assassinat d’un peuple. Mais remontant dans les hautes régions de la société européenne, nous montrerons un homme riche et honoré, coopérant, à coup sûr à son insu, à l’accomplissement de la même œuvre maudite. Nous ouvrirons un livre récemment publié en France sur les colonies par M.Victor Schœlcher, et nous soumettrons à nos lecteurs quelques en droits qui parlent assez haut pour que nous nous taisions, nous. » 

- Extrait du Globe, 28 octobre 1844, p. 1

Document 6 : Le marronnage en Guyane en 1846

Les 18 et 19 juillet 1845, les lois Mackau, du nom du ministre de la Marine et des Colonies, donnent toute une série de droits aux esclaves (mariage, instruction, propriété, héritage, limitation de la durée de travail…) et facilitent les affranchissements. Elles donnent en effet la possibilité aux esclaves de racheter leur liberté, à un prix fixé entre le maître et l'esclave ou, s'il n'y a pas d'accord, à un prix fixé par la commission coloniale.

«  De toutes nos colonies à esclaves, celle de Cayenne est la plus maltraitée ; par l’influence de nos abolitionnistes elle est sous le joug le plus dur des rivalités anglaises : ce qu’on n’oserait pas tenter à la Martinique, à la Guadeloupe et à Bourbon, ou le fait avec assurance, avec audace même, à Cayenne. On va, en faveur des noirs, bien au delà de la loi d’essai et de commune expérience pour l'affranchissement des esclaves, du 19 juillet 1845. [...] 

 Vous devez penser que l’indiscipline et l’anarchie augmentent de plus en plus : ce qu’on avait prévu, ce qu'on a prédit depuis longtemps, ce qui concorde sans doute avec les vues des abolitionnistes a déjà lieu. La disette sc fait sentir pour les vivres du pays. Pas une cassave en ville, point do couac. Les libérés affament la ville, consomment et ne produisent rien.

D’un autre côté, le marronage des esclaves (ia désertion dans les grands bois) augmente tous les jours. Les bois se peuplent et les habitations se dépeuplent. Les détachements sont pour la forme ; un nègre marron se rend, si il le veut ; s’il ne veut point se rendre, il tourne le dos et va s’établir plus loin ; tous les miens sont marrons ; et réunis avec beaucoup d’autres et particulièrement avec ceux de MM. Mathey et Merlet qui ont acheté, dans le temps, l’habitation Montagu, ils forment une bande dans nos savanes de derrière et dévastent tous les vivres du quartier de Macouria ; voilà un mois ou six semaines que nous sollicitons un détachement.... sans pouvoir l’obtenir. »

- Extrait de La Quotidienne, 23 août 1846, p. 1 et p. 2

Document 7 : Victor Schœlcher rapporte en 1847 le cas d’un procès intenté par un esclave à Basse-Terre (Guadeloupe)

« La 19 octobre 1846, l'esclave Michel, appartenant à l'habitation Loreal, sise à Marie-Galante, frappé depuis huit mois du mal d’estomac, était au champ avec les autres nègres. — L’ordonnance du 4 juin 1846 soustrait les malades à la grande tâche. — Le sieur Filias-Boulogne, géreur de l’habitation, ordonna à Michel d’aller chercher des balises qui se trouvaient à l’extrémité du champ. Michel se mit à courir ; mais en revenant essoufflé, il tomba en proie à une de ces syncopes fréquentes chez les personnes atteintes de maladie. Filias-Boulogne appelle le commandeur qui portait toujours le fouet au jardin, —- l’ordonnance du 4 juin le défend, — et il lui commande de fouetter le pauvre Michel : "Fouette fort, ajoute-t-il, je veux voir du sang..."

Tous les témoins ont été unanimes sur l’exactitude de ce mot.

Filias-Boulogne vit le sang couler des blessures creusées par le fouet, mais Michel resta Inanimé.

On le laissa là, avec un nègre pour le ramener quand il reprendrait ses sens. La fraîcheur du soir le rappela enfin à la vie et il fut mis à l’hôpital. Quelques jours après il s’évadait et portait plainte. On commença des poursuites ; mais en attendant le procès il fut renvoyé à l’habitation, remis au travail et mourut au bout de trois mois...»

- Extrait de L'Atelier, 1 mai 1847, p. 10

Le procès se conclut, après la mort de l’esclave Michel, par la condamnation à 15 jours de prison pour le prévenu. La faiblesse des peines prononcées contre les maîtres coupables de mauvais traitements sur leurs esclaves, voire même leur acquittement, est récurrente. C’est notamment le cas du procès très médiatisé de Jean-Baptiste Douillard Mahaudière, propriétaire en Guadeloupe accusé d’avoir séquestré et torturé son esclave Lucile pendant 22 mois. Victor Schœlcher qui assistait au procès évoque les cris de joie dans la salle au moment de l’annonce de son acquittement. Rares sont par ailleurs les plaintes qui aboutissement. A titre d’exemple, entre 1840 et 1843 sur l’île Bourbon (Réunion), seules 9 affaires, sur les 104 plaintes d’esclaves contre leurs maîtres, ont donné lieu à des procès.

Questions 8 et 9 à partir du document 5, 6 et 7 :


8) Quels types d’actes de résistance de la part des esclaves sont visibles dans ces documents ?

9) Qu’est-ce qu’ils révèlent des conditions de vie des esclaves dans les colonies françaises et de la vision des colons blancs ?

La seconde abolition de l’esclavage en 1848 au début de la IIe République

La révolution de 1848 est une rupture majeure qui précipite l’émancipation. Le 4 mars, le gouvernement provisoire proclame le principe de l’abolition et met en place une commission, présidée par Schœlcher, devenu sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies. Parmi ses membres, on trouve Auguste Perrinon, un libre de couleur martiniquais.

Il s’agit pour la commission d’élaborer un projet d’abolition immédiate et d’octroyer aux esclaves le statut de citoyen. Les discussions portent encore une fois sur la question des dédommagements à verser aux propriétaires et sur l’établissement d’une période transitoire ou non vers une émancipation totale.

Le décret du 27 avril 1848 décide finalement d’une abolition immédiate dans un délai de deux mois après sa proclamation dans chaque colonie et interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves.

L’article 5 concède cependant aux colons une indemnité dont le montant sera décidée par l’Assemblée nationale.

Document 8 : La cérémonie pour l’abolition officielle de l’esclavage en Guadeloupe le 27 mai 

L’abolition officielle de l’esclavage s’échelonne dans les colonies : elle est immédiate en Martinique (dès le 22 mai, suite à la révolte sur l’île, en lien avec l’arrestation de l’esclave Romain, forçant le gouverneur à signer l’abolition) et en Guadeloupe (27 mai). Elle est effective après les deux mois réglementaires en Guyane (soit le 10 août), au Sénégal (23 août) et à la Réunion (20 décembre à la Réunion). Elle s’applique également aux autres établissements français de la côte occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et en Algérie.

« Un coup de canon annonce le départ du cortège.

Mille soupapes de puissantes machines à vapeur, laissant échapper à la fois le fluide comprimé, ne pourraient donner l’idée de l’immense clameur qu’a fait entendre la foule compacte et exaltée par le même sentiment. Elle entoure de ses flots innombrables et tourbillonnants le cortège quelle accompagne sur la place de la Victoire, aux cris mille fois répétés de Vive la Liberté, Vive la République, Vivent nos Libérateurs, Vive Layle. Les uns dansent, trépignent de plaisir, s'embrassent, d’autres agitent leurs chapeaux au bout de leurs bâtons, enfin le génie de là liberté semble avoir embrasé tous les cœurs d’un saint délire : mais ce délire est celui de la joie, il est sympathique, irrésistible, il électrise toutes les âmes. Que de douces larmes nous avons vues rouler sous de très-graves paupières qui ne pouvaient les dissimuler! 

Dans cette marche triomphale, le cortège arrive vers l’arbre de la liberté qui venait d’ètre planté. C’est un beau palmiste aux tiges vigoureuses, au vert et élégant feuillage. Sur son tronc sont attachés des écriteaux où se trouve inscrit le nom des plus ardents défenseurs de la liberté des noirs.

À chacune des subdivisions de ses palmes, des rubans tricolores maintenaient des drapeaux, ayant pour exergue les mots : Liberté, Fraternité, Égalité. [...]

Sur ces entrefaites accourent quelques jeunes gens vêtus avec élégance. C’est une députation nouvelle qui vient grossir  le cortège, et à la tête de laquelle nous reconnaissons Louis Mathieu. Il porte un magnifique drapeau de satin bleu blanc et rouge, orné de franges d’or. On lit sur ce drapeau, écrit en lettres d’or:

"À nos Libérateurs, Vive la République !"

En ce moment on entonne le Te Deutn d’actions de grâce. On l’écoute avec recueillement. »

- Extrait de L’Éclaireur de l’arrondissement de Coulommiers, 16 juillet 1848, p. 3 (Reprise d’un article de l’Avenir, journal publié à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe)

Question 10 à partir du document 8 :


10) Relevez les expressions utilisées pour montrer la joie de la population au moment de la cérémonie pour l’abolition.

11) Quel parallèle peut-on établir avec la révolution de février en France et les cérémonies qui ont suivies ?

12) Quelle vision de l’abolition donne cet article ?

Conclusion

Cette seconde abolition est donc le résultat d’un processus de longue durée qui se nourrit à la fois de l’action des abolitionnistes et de la résistance des esclaves. Le troisième facteur convergeant est la révolution et l’arrivé au pouvoir des républicains, portés par des idéaux d’égalité et de liberté. Néanmoins, ce régime républicain est éphémère. Si Napoléon III ne remet pas en cause l’émancipation de 1848, il en annule certains effets. Par ailleurs, si les propriétaires de plantations sont dédommagés pour la perte de leurs esclaves, l’absence d’indemnités ou d’un lopin de terre pour les anciens esclaves pose la question de leur émancipation économique. Enfin, les planteurs ayant toujours besoin de main-d’œuvre dans les plantations à sucre, les esclaves sont rapidement remplacés par des travailleurs agricoles sous contrat recrutés en Afrique, en Inde et en Chine. Les conditions de vie de ces « engagés » se révèlent alors proches à bien des égards de la condition des anciens esclaves.

 

Pour aller plus loin

Bessone Magali, Cottias Myriam (dir.),  Lexique des réparations de l'esclavage, Karthala, collection « Esclavages », 2021

Coquery-Vidrovitch Catherine, Mesnard Éric, Être esclave. Afrique-Amériques, XVe -XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2013 (rééd poche 2019)

Dorigny Marcel, Les Abolitions de l’esclavage, Paris, PUF, coll. « Que-sais-je ? », 2018

Grenouilleau Olivier, Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale, Paris, Gallimard, 2014.

Regent, Frédéric, La France et ses esclaves, de la colonisation aux abolitions, 1620-1848, Paris, 2012

Schmidt Nelly, L’Abolition de l’esclavage. Cinq siècles de combats, XVIe -XXe siècle, Fayard, 2005

Site de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage : https://memoire-esclavage.org/

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Catherine Cimaz-Leroy est professeure d’histoire-géographie (Académie de Paris) et membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie).

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