Écho de presse

Pierre Drieu la Rochelle, itinéraire d'un écrivain tombé dans le fascisme

le 05/03/2019 par Pierre Ancery
le 15/02/2019 par Pierre Ancery - modifié le 05/03/2019
Photo de Pierre Drieu La Rochelle parue dans Paris-Soir, mars 1930 - source : RetroNews-BnF
Photo de Pierre Drieu La Rochelle parue dans Paris-Soir, mars 1930 - source : RetroNews-BnF

Ecrivain célèbre de l'entre-deux guerres, l'auteur de Gilles et du Feu follet a adhéré à l'idéologie fasciste au début des années 1930, avant de collaborer pendant l'Occupation. Il s'est suicidé en 1945.

Romancier, essayiste et auteur de nouvelles, Pierre Drieu la Rochelle aura incarné dans les années 1920 la relève d'une nouvelle génération d'écrivains portant un regard particulièrement désenchanté sur leur époque. Avant de sombrer à partir de 1934 dans l'idéologie fasciste puis, pendant la guerre, dans la collaboration.

 

Né en 1893 à Paris, au sein d'une famille de bourgeois déclassés, Drieu la Rochelle est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, où il est blessé à trois reprises. À l'issue du conflit, il se mêle aux cercles littéraires de la capitale, fréquentant les surréalistes (Aragon, Paul Eluard, André Breton...) et adhérant au mouvement Dada.

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Esprit brillant, admiré de ses pairs et jouissant d'un grand succès auprès des femmes, Drieu est aussi un être inquiet, rongé par l'obsession de la décadence et souffrant d'un doute identitaire profond confinant à la haine de soi. Politiquement, il est au début des années 20 un républicain progressiste, favorable au fédéralisme européen et prenant position contre les nationalismes.

En 1922, son premier essai Mesure de la France, dans lequel il réfléchit à l'avenir de l'Europe, est célébré par ses aînés. Dans un article du Gaulois intitulé « Les jeunes », Daniel Halévy écrit :

« Ces jeunes gens qui viennent après nous, saurons-nous les comprendre ? […] Sauront-ils eux-mêmes se comprendre, se faire comprendre ? [...]

M. Drieu La Rochelle a vécu parmi les siens, ses camarades juvéniles qui, la tête encore abasourdie par les bombardements, essayaient leurs forces et non sans divaguer. Il a causé avec les dadas, il a rencontré des communistes, enfants exaltés par le dégoût et l'espérance [...].

Parmi tant de voix qu'il écoute, M. Drieu La Rochelle saura-t-il choisir, trouver et imposer la sienne ? »

Pour La Presse, Drieu la Rochelle est alors « un de ces enfants de la Victoire » qui a connu les tranchées et dont le témoignage doit être entendu. Le journal cite un extrait de Mesure de la France :

« J'aurais voulu témoigner pour mes amis, pour les jeunes hommes, pour ceux qui ont combattu, pour ceux qui sont morts (je te vois tirant et mourant derrière le tas de briques ; jeune Juif, comme tu donnes bien ton sang à notre Patrie !) [...].

 

Ils sont autour de moi, sur ce petit territoire de la France, avec leurs visages nus, leurs poitrines marquées par l'honneur, et une grande envie de crier quelque chose. Nous sommes ici, les pieds dans nos cadavres, parmi nos femmes stériles.

 

Nous nous demandons ce que nous allons faire, ce que vont faire les autres hommes. Nous n'avons pas dit notre dernier mot. Plus d'un peuple périra avant nous. »

Pendant toutes les années 20, Drieu écrit inlassablement, publiant essais, nouvelles et romans semi-autobiographiques qui sculptent auprès du public son image de dandy : L'homme couvert de femmes, Blèche, Une femme à sa fenêtre. Menant une vie mondaine intense, il participe aux dîners de la NRF (Nouvelle Revue Française) et y côtoie Bernanos, Malraux, Mauriac.

 

Interviewé en 1928 par le journal nationaliste L'Action française, il dit :

« On a voulu faire de moi un homme politique [...]. Mais peu à peu je m'aperçus qu'un artiste est contraint, par l'universalité de sa compréhension, de se déplacer en tous sens, et de demeurer un témoin toujours disponible de l'humain. Aussi doit-il à son avenir d'être prudent et discret dans l'expression de ses conseils [...].

 

L'écrivain vraiment humain ne s'occupe de rien autre que de bien faire son métier. Et c'est parce qu'il s'y donne sans ménagement, qu'il ne croit pas à la thèse de l'art pour l'art ; il sait que de son œuvre se dégagera une leçon. Et précise.

 

De toute œuvre vivante on peut tirer une politique. J'allais dire un pamphlet. »

En 1931, il écrit Le Feu follet, un court roman racontant la dernière journée d'un suicidé, qui sera plus tard adapté au cinéma avec succès (par Louis Malle en 1963 et par Joachim Trier en 2012, sous le titre d'Oslo, 31 août). Comœdia écrit à sa parution :

« Il serait injuste de reprocher à l'auteur l'immoralité de son sujet puisque, par malheur, ce sujet est vrai, et que, s'il a été un peintre fidèle de son époque, il n'a pas été un peintre complaisant. Son exactitude équivaut, au contraire, à une sorte d'amère condamnation [...].

 

Vous devinerez ce qui a mû La Rochelle. En faveur de la vérité, une élégance par-delà la politesse et le goût, comme on en voit aujourd'hui dans les salons.

 

Mais, n'est-ce pas ? ce sont des « bêtises », comme disait Moréas, et tout à fait indignes d'un artiste comme Drieu La Rochelle, l'un des premiers de sa génération. »

Le tournant a lieu en 1934. C'est l'année où Drieu la Rochelle dirige son regard vers les fascismes italien et surtout allemand. L'historien Guillaume Bridet a montré que ses œuvres de fiction, avec leur «  imaginaire structuré par l’opposition des peuples » et leur « obsession de la force individuelle autant que collective », contenaient déjà les germes de cette orientation.

 

Drieu assume désormais son adhésion à l'idéologie fasciste. Il va répéter que la France « meurt de sa race », de son « invasion » par les étrangers et de sa « conquête » par les Juifs. Pour sauver le pays, il espère le rattachement au Reich allemand, promoteur de la « race nordique » régénératrice. Interviewé en novembre 1934 par L'Echo de Paris, l'écrivain donne son avis sur la « dictature » :

« – Je juge très sévèrement la dictature ; elle a d'évidents inconvénients humains, et d'autres, profonds : elle crée un ensemble de faits psychologiques qu'on ne saurait méconnaître. Par contre – et M. Drieu la Rochelle, ici, prend un temps – l'Histoire ne semble-telle pas nous apprendre, nous démontrer, qu'elle est une manière de fatalité, que les hommes dépasseront sans doute, mais qu'ils semblent ne pas pouvoir éviter, en tant qu'étape. »

La même année, il se rend, admiratif, au congrès de Nuremberg. Et il fait pour le journal de gauche Marianne une série de reportages à travers l'Italie, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Sur l'Italie de Mussolini, il écrit le 26 décembre :

«  Les Italiens découvrirent, tout au long de ce calvaire, que démocratie, marxisme et capitalisme, se corrompant l'un l'autre à l'intérieur d'une vieille formule quotidienne, ne leur apportaient qu'irrésolution et inertie […].

 

De là le fascisme qui avait devant lui une immense tâche : faire passer un pays, qui s'attardait dans les grâces nocives ou vicieuses d'une enfance retrouvée depuis le XVIe siècle, à la rude discipline d'une nation mûrie s'exprimant dans un État moderne [...].

 

Mussolini a peu tué, vraiment. Beaucoup moins qu'aucun des grands serviteurs de la France. Il n'a pas tué du tout au dehors et il a peu tué au dedans. Et pourtant, il a fait une révolution.  »

En 1935, il fait paraître Socialisme fasciste, essai dans lequel il tente de concilier ces deux aspirations contradictoires. Marianne commente :

« Il est impossible de mettre en doute la bonne foi de M. Drieu La Rochelle mais on peut se demander si, en associant comme il fait socialisme et fascisme, il n'est pas dupe à la fois de sa tradition bourgeoise et de son impatience.

 

Justement écœuré par les mœurs politiques d'aujourd'hui, il entend nettoyer les écuries d'Augias ; mais, comme il est sans attaches avec le prolétariat, il ne voit guère, pour opérer cet assainissement, qu'une révolution fasciste. Il ne semble pas se rendre compte que, si la démocratie parlementaire engendre le désordre, elle conserve aussi la liberté, et que la liberté est un bien immense, qu'on ne dénonce que parce qu'on en jouit. »

De 1936 à 1939, il est membre du Parti Populaire Français de Jacques Doriot, principal parti d'inspiration fasciste en France. En 1939 paraît Gilles, roman de l'autodénigrement, qui est aussi une histoire intellectuelle et politique de l'entre-deux guerres.

 

Lorsque l'Allemagne envahit la France, il devient un collaborationniste convaincu. En 1940, la NRF est « épurée » par les nazis : l'auteur désormais âgé de 47 ans en prend la direction. Dressant la liste de ses amis écrivains emprisonnés, il obtiendra leur libération.

 

Il écrit alors ponctuellement des articles dans le journal violemment antisémite et pro-nazi Je suis partout : « Eternelle Germanie » en janvier 1940, « Ils n'ont rien oublié ni rien appris » en juin 1941, « La chose anglaise » en mai 1942. Interviewé en février 1941 par le même journal, qui chante ses louanges, il « dresse un lucide bilan de la défaite » :

« – Pendant vingt ans, dit-il avec violence, nous avons refusé de prendre position. Là est la défaillance essentielle. L'Europe bougeait et nous vivions fenêtres fermées, avides de “conserver”, tandis que les politiciens choisissaient pour rengaine unique “la sécurité” [...].

 

La radio anglaise nous parle beaucoup de l’occupation allemande comme si elle la connaissait mieux que nous, fort peu du blocus. Mais la réalité, pour nous, c'est l'occupation allemande et le blocus anglais. Notre lutte, c'est de nous arranger avec ces deux éléments de notre réalité. Tout le reste est faribole. »

En octobre 1941, à l'invitation de Goebbels, il participe au voyage en Allemagne d'une délégation d'écrivains français collaborationnistes (avec Robert Brasillach, Jacques Chardonne...), dont Paris-Soir, à leur retour, publie la photographie :

Dans les années suivantes de la guerre, Drieu la Rochelle se montre de plus en plus désabusé par la politique. À la Libération, il refuse l'exil et tente de se suicider à deux reprises. Il y parvient finalement le 15 mars 1945, à Paris, en avalant du Gardénal et en arrachant le tuyau de gaz.

Laconique, le journal socialiste Ce Soir commente :

« L'écrivain Drieu La Rochelle, qui fut l'un des intellectuels les plus en vue de la collaboration et dirigea la “Nouvelle Revue française” sous l'occupation, s'est suicidé hier à son domicile. Un mandat d'arrêt venait d'être lancé contre lui. »

Les œuvres complètes de Pierre Drieu la Rochelle ont été réunies dans la bibliothèque de la Pléiade en avril 2012.

Pour en savoir plus :

Jacques Cantier, Pierre Drieu la Rochelle, collection Biographies, Perrin, 2011

Julien Hervier, Drieu la Rochelle, une histoire de désamours, Gallimard, 2018

Guillaume Bridet, Quand un écrivain français perd le nord : Drieu la Rochelle et l'esthétisation fasciste, Revue d'histoire littéraire de la France, 2009, article disponible sur Cairn.info