1907 : Clemenceau crée les Brigades du Tigre
Pour faire face à un banditisme de plus en plus organisé, le président du Conseil Georges Clemenceau décide de créer le premier ancêtre de la Police judiciaire, les « Brigades du Tigre ».
En ce début d'année 1907, Georges Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l'Intérieur, est confronté à un grave problème. La France est le théâtre d'une nouvelle criminalité particulièrement violente, mieux organisée, qui fait naître dans le pays un sentiment grandissant d'insécurité.
Outre les fameux Apaches [voir notre article], petits voyous délinquants qui sèment le désordre dans Paris et sa banlieue, les campagnes sont de plus en plus victimes des bandes délinquantes, qui commettent méfaits, pillages et assassinats.
Ainsi, les tristement célèbres « Chauffeurs de la Drôme », responsables de dix-huit meurtres, brûlent les pieds de leurs victimes pour se faire remettre leurs économies. La « Bande Pollet » quant à elle, forte de trente bandits sans foi ni loi, terrorise le nord de la France en se rendant coupable de nombreuses exactions. Au même moment, la « Caravane à Pépère », constituée d'une centaine d'hommes, tous déserteurs, bagnards ou malfrats, responsables de nombreux vols et escroqueries, et qui font la une des journaux sans que le gouvernement soit en mesure de mettre fin à leurs agissements.
Pour la seule année 1906, quelque 103 000 affaires criminelles et correctionnelles ont été classées sans que les auteurs aient pu être identifiés.
La police, quant à elle, est encore mal organisée, avec des méthodes et du matériel qui n'ont guère évolué en un siècle. Le 22 avril 1907, Le Petit Parisien se fait l'écho d'une situation peu brillante :
« L’école et le champ d'opérations du Crime se déplacent.
Paris n'a plus que ses Apaches, besogneux sans scrupules, affublés d'un surnom terrible par un quelconque reporter et qui ne sont capables d'un assassinat vulgaire, perpétré au petit bonheur, que lorsque celui ou celle que l'on vole crie un peu trop fort. Le Crime, le vrai Crime ne se découvre plus qu'en Province.
Quand il se découvre ! […]
Les étrangleurs d'Hazebrouck ont pu voler, incendier, assassiner pendant des mois, des années peut-être : les égorgeurs de Langon ont pu accumuler crimes sur crimes et hériter paisiblement de leurs victimes… »
Pour pouvoir apporter une réponse efficace, Georges Clemenceau doit agir de façon radicale. Dans une allocution à l'Assemblée nationale, que le journal Le Matin relate le 1er mars, le « Tigre » résume son projet ; il concerne la création de brigades de police mobiles partout en France.
« J’ai commencé la réorganisation de la Sureté générale, en en confiant la direction à M. Hennion, un professionnel dont personne ne méconnaitra la valeur. […]
Des brigades régionales seront successivement créées, qui agiront isolément, sauf le cas ou elles auraient besoin d'être renforcées par la brigade centrale. […]
Alors que le téléphone, les chemins de fer, le télégraphe ont mis dans les relations des hommes entre eux tant de transformations dont les malfaiteurs ne sont pas les derniers à profiter, il nous faut d'autres agents, et pour cela nous vous demanderons de l’argent. »
Le 4 mars 1907, Clemenceau promulgue un décret qui réorganise entièrement les services de police judiciaire, placés désormais sous le commandement du commissaire Jules Sébille.
La Dépêche du Berry, dans son édition du 15 avril 1907, donne des détails à propos de cette nouvelle police « volante » :
« J’en arrive maintenant aux éléments principaux de la nouvelle organisation : les brigades volantes régionales.
Elles se partageront le territoire en un certain nombre de circonscriptions et leur centre de résidence, leur “quartier”, si vous voulez, sera choisi autant que possible dans un chef-lieu qui soit en même temps le siège d'une cour d'appel. […]
Ces brigades seront à la disposition des parquets ; mais, au point de vue judiciaire, leur suprématie sera “absolue” et – je vous prie d'insister sur ce point – elles ne pourront s'occuper de police judiciaire exclusivement.
Police administrative et police politique leur seront absolument étrangères. »
Ces « Brigades du Tigre », au nombre de douze, sont implantées dans les principales villes de province et dirigées par un commissaire divisionnaire, lui-même assisté de trois commissaires de police. Leurs effectifs comprennent vingt inspecteurs chevronnés, en service 24h/24, qui se relaient par groupes de cinq, en maintenant une pression constante sur le banditisme.
Les hommes du Tigre sont formés aux sports de combat, savate et canne, et ont accès aux derniers progrès de la police scientifique : ils sont en mesure de ficher les criminels grâce aux empreintes digitales et ils bénéficient du télégraphe, du téléphone, et de l'automobile. Clemenceau leur a octroyé des moyens financiers à la hauteur de leur mission. Les résultats ne se feront pas attendre.
Dès leur mise en service, les Brigades réussissent à mettre la main sur les hommes de la « Caravane à Pépère » et sur les « Chauffeurs de la Drôme ».
En un peu moins de deux ans, ils réaliseront 2 695 arrestations, chiffre impressionnant, démantelant presque toutes les bandes qui sévissaient en province, ramenant peu à peu l'ordre dans une République inquiète.